On dit souvent que Janette Bertrand a dénigré le Québec. C’est vrai. Socialement. Sexuellement. Idéologiquement.
On peut aussi dire que Daniel Pinard nous a discrédités. Culinaire. Gourmandise (même si le mot n’existe pas, pour Pinard il faudrait l’inventer).
Avec Janette, nous avons agi moins bêtement. Avec Pinard, on mangeait moins bêtement.
Et si Janette nous tendait entre les deux oreilles, Pinard le faisait entre les deux mâchoires.
Les pieds dans la vaisselle
J’ai été surpris hier, à l’annonce de son décès, qu’on associe Pinard et « gastronomie ». Alors que j’associe Pinard et truculent, Pinard et Gargantua, Pinard et plaisir simple. C’était le contraire de « prout, prout, ma chère ». Il a vanté les produits qui ont un goût particulier et la simple tomate écrasée sur une tranche de pain préalablement frottée avec une gousse d’ail.
Je n’ai qu’un seul reproche à faire à Daniel Pinard : avec lui, on est passé du « ketchup partout » au « piment d’Espelette partout ». Cr****** Piment d’Espelette. Et la fleur de sel !
J’ai toujours trouvé hilarant que quelqu’un qui aimait tant manger et boire porte « Pinard » comme nom de famille. Pour moi qui suis née en France et y ai vécu jusqu’à l’âge de 12 ans, le pinard, c’est ce qu’on appelle le vin rouge en argot ! « Aubergiste, versez-moi un verre de vin !
La première fois que j’ai entendu un Pinard parler de nourriture, j’ai cru que c’était une blague, probablement un pseudonyme ou un nom d’artiste.
J’ai travaillé avec Daniel Pinard comme collègue à Télé-Québec. Au tournant des années 2000, il anime ses émissions culinaires, J’ai cuisiné pour les artistes sur le magazine culturel Les choix de Sophie.
Mais tu sais quoi ? Pinard était tellement cultivé et érudit qu’il aurait pu animer mon émission alors que je n’aurais jamais pu animer la sienne ! Je me spécialise dans les pâtes insuffisamment cuites et le poulet carbonisé.
J’ai déjà enregistré une émission avec Daniel Pinard qui n’a jamais été diffusée, car j’étais tout simplement incapable d’allumer le barbecue que j’étais venu lui vanter. Pas de problème : j’ai hurlé de rire pendant une heure, entre ses blagues grivoises et ses références culturelles coquines.
Car Daniel Pinard a également parlé d’art et de culture dans diverses émissions de radio et de télévision.
Mon amie Lyne Robert, originaire de Saint-Hyacinthe et qui œuvre dans le monde artistique et musical depuis des années, a publié un hommage très touchant à Daniel Pinard sur sa page Facebook :
« Vivant dans une région où les arts visuels étaient inexistants, sans lui, adolescent, je n’aurais jamais développé une passion pour les expressionnistes américains, notamment Jackson Pollock et Mark Rothko. Il m’a fait apprécier, comprendre et vivre l’art au plus profond de mon être. Je dois une partie de mon bonheur à M. Pinard. Je lui ai écrit le jour d’un de ses anniversaires que, grâce à sa manière de populariser l’art, je ne trouverais jamais la vie laide, car il m’avait donné accès à toute la beauté du monde.
Je pense que c’est aussi pour cela que Daniel Pinard était tant aimé des Québécois : il ne les a pas entraînés vers le bas, mais il les a relevés.
Un homme cultivé et gourmand… avec une pincée de fleur de sel.
