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20 décembre 2024 à 17h00
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Avec son dernier album, « Amigos », Eddy Mitchell pourrait, sans paraître y toucher, raviver une mélancolie politique dont la chaleur nous aide à affronter la froideur du - présent.
Cet article est carte blanche, rédigé par un auteur extérieur à la revue et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.
Nous vivons une époque de grisaille macronienne annonçant la froideur de l’extrême droite dans un paysage mondial déjà assez figé (Hongrie, Italie, Argentine, Etats-Unis…). Deux quinquennats médiocres d’un président adepte du Les « beaux discours », du Panthéon à Notre-Dame, plus qu’une politique dotée de sens et d’inspiration, ont accru les probabilités d’accès au pouvoir du Rassemblement national. Juste avant de laisser un bref instant de côté, pendant les fêtes de fin d’année, cette situation « post-fasciste », ou ce que Lionel Jospin a caractérisé lors de la matinale de France-Inter le 16 décembre 2024 comme « risques contre-révolutionnaires »cependant, un grain de sable est apparu.
C’est la sortie du quarantième album studio d’Eddy Mitchell, « Amigos » (en magasin depuis le 20 novembre 2024), qui risque de donner une nouvelle couleur à nos envies d’utopie. Mais ces couleurs mélancoliques n’ignorent pas les épreuves du -, nos erreurs, nos échecs et nos égratignures.
La mélancolie, dans l’ironie autocritique qu’elle s’autorise avec l’expérience et avec elle-même, évite la mythologisation aveugle et aveuglante des espoirs, propice aux illusions narcissiques comme aux excès politiques dogmatiques, voire totalitaires. Il faut dire que pour nous injecter une nouvelle dose de son « vaccin du scepticisme »Schmoll s’est entouré d’autres grands rêveurs mélancoliques dans son nouvel opus, comme Alain Chamfort, William Sheller et Alain Souchon.
«J’ai oublié de l’oublier»… l’utopique d’ailleurs
Le rapport d’Eddy aux rêves d’enfant et aux promesses amoureuses nous interroge depuis longtemps : qu’avons-nous fait de nos vies personnelles et de notre monde commun ? Dès 1966, la chanson « J’ai oublié d’oublier » réveille le souvenir des attentes déçues de cet hier à la fois si proche et si lointain.
“J’ai oublié de l’oublier/Parce que ce rêve inachevé/C’était beau et stupide de pleurer”. « Mort pour toujours », “ce rêve inachevé” ? Pas tout à fait : « Toi, mon cœur, reste à ta place »… Des sentiments enfouis refont surface. En amour ou en politique. Peut-on se contenter de la succession de politiques mornes : Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron… ? Sans parler de celui qui a donné un enduit littéraire à l’abandon d’un sens plus global à l’action politique quotidienne : Mitterrand. Et tout cela pour conduire, probablement, à la victoire d’une politique du ressentiment, autoritaire, nationaliste et xénophobe ! Juste en commentant les tactiques de chacun, leurs intelligences technocratiques s’assèchent et tournent au ralenti, comme regarder un match de football à la télévision ? Abandonner “Cet amour que l’orgueil a tué”, “ne plus rêver” ? Une impuissance personnelle et collective, qui se donne des prétextes faciles, changeants selon les individus : « le méchant Macron », « le méchant Hollande », « le méchant néolibéralisme », « le méchant Mélenchon », etc.
En 1981, au moment politique d’espoir… vite douché en 1983, Eddy rebondit sur la nécessité du rêve impossible avec « Pauvre baby doll ».
Une jeune fille, “fin de l’adolescence”, « promet de ne plus jamais rêver ». “Ses parents ne sont que deux inconnus/Ils ont oublié/Qu’ils s’aimaient tant”. “La vie les a rattrapés”la vie nous a rattrapé, la vie m’a rattrapé… Alors partir, mais vers où ? “Et s’il n’y avait pas d’Amérique/Tout sauf rester/Il y a définitivement une Californie/Quelque part où aller”. Même si l’ailleurs n’existe pas, il faut marcher vers lui, pour redonner un sens global à nos vies et à notre monde. « Même si l’Amérique est très loin/Partir, c’est s’en rapprocher ». L’utopie d’un ailleurs, sans optimisme bienheureux, avec même l’expérience d’un désenchantement ancré dans le corps, comme un horizon qui nous aide à marcher, individuellement et collectivement.
« Aimer autrement » : l’aventure n’est pas terminée !
Après les déboires, les impasses et les blessures, avec nos cicatrices non dissimulées, le dernier album d’Eddy nous invite, non pas à enterrer nos rêves en nous adaptant au monde tel qu’il est, mais à rêver autrement. Sur une musique d’Alain Chamfort, ” Amoureux “ berce avec tendresse notre mélancolie sentimentale et, au-delà, la possibilité d’une utopie mélancolique.
« Amoureux autrement / Amoureux encore / Amoureux maintenant / Comme les vieux enfants / Amoureux autrement / Amoureux tout autant / Amoureux maintenant / Du même feu autrement ». La vie nous a parfois renversés, la politique nous a déçus, nous avons été décevants en amour et en politique, pas seulement à cause de nos amants, pas seulement à cause de « ceux d’en haut » et autres « méchants ». Dans « Humanisme et terreur », en 1947, le philosophe Maurice Merleau-Ponty demande : « N’y a-t-il pas une malédiction à vivre ensemble ? » Mais conjurer cette malédiction n’est pas impossible pour Schmoll, malgré nos blessures et nos bosses : « Amoureux encore / Amoureux maintenant »…
L’aventure ne peut, ne doit pas se terminer dans une impuissance fataliste : « Le même œil d’enfant/La même ivresse d’un autre raisin ». Parce que, comme un autre titre de ” Amis “ sur une musique de William Sheller cette fois, « L’aventure n’est jamais loin ».
L’esprit d’aventure puise dans les rêves d’enfance. Quand le sentiment d’évasion apparaît si palpable : “Et Treasure Island est un monde/Fait de pirates et de marins”. Quelque chose peut y maintenir des chemins ouverts entre nos enfances naïvement exploratrices et nos vies d’adultes tentées par la résignation, voire le cynisme de ceux à qui on ne le fait pas. “Mais l’aventure n’est jamais loin/Dans l’esprit de ces enfants/Elle résiste au -, à tous les vents/Dans le cœur des plus grands”. L’aventure résiste à insuffler de la vie à nos sentiments intérieurs et à nos projets intimes ainsi qu’à des perspectives partagées d’émancipation.
Est-ce que ce serait foutu ? Trop tard ? Nous serions définitivement sarkozysés (avec un bracelet électronique !), hollandisés, macronisés, mélenchonisés… avant d’être lépénisés ou bardellaisés ? Eddy le sage indique d’autres possibilités, mais sans se débarrasser d’un certain lest pessimiste, mélancolique. Dans l’émission “le monde d’Elodie” sur Franceinfo, il répond à la question le 2 décembre 2024, « Est-ce que vous aimez le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui ? – « Je préfère ce monde à celui de ma jeunesse. » Pas de réaction « c’était mieux avant » de la part d’Eddy ! Eddy ne rime pas avec Finky. Joyeux Noël et bonne année Schmoll !
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