L’avocate de la septuagénaire revient sur ces quatre mois de procès, durant lesquels elle a vu son client évoluer et progresser sur le chemin de la vérité. Il n’est cependant pas au bout de son parcours judiciaire, entre un probable procès en appel dans l’affaire du viol de Mazan et des enquêtes en cours sur des crimes plus anciens, pour lesquelles il a été inculpé à deux reprises.
Quelles images gardez-vous des quatre mois du procès ? L’ouverture le 2 septembre ?
Le 2 septembre est une journée d’excitation et les semaines suivantes sont vertigineuses. J’ai cette presse qui est là et qui me bombarde de demandes très légitimes et je suis dans un véritable tourbillon. Si j’avais su cela avant, je pense que je serais arrivé beaucoup plus paralysé. Sauf que tout cela a été pour moi une grosse surprise. Je n’ai jamais pensé à ce qui m’attendait.
Comment avez-vous géré cela ?
Durant ces quatre mois, j’ai vécu cette épreuve très seule, au-delà du soutien de mon entourage. J’ai demandé à Dominique Pelicot si on pouvait être deux en défense, il n’a pas voulu. C’est à ce moment-là que j’ai trouvé cette formule choc qui est véritablement l’illustration de ma pensée : “Eh bien c’est vous et moi Monsieur Pelicot contre le monde entier.” Je savais que j’aurais 40 avocats contre moi, je ne savais pas qu’il y aurait tout cet élan sociétal, tout ce mouvement féministe qui est légitime et qui n’adhère pas à ma cause. C’est normal, c’est leur action, je le respecte totalement, tout comme je respecte le combat de Mme Pelicot et le symbole qu’elle devient de ces femmes agressées sexuellement.
Ce procès public est-il une surprise ?
J’ai eu l’information qu’elle n’allait pas demander un huis clos quelques jours avant le procès, par l’intermédiaire d’un média qui m’a demandé ce que j’en pensais, et j’ai répondu : « Vous plaisantez ? Après réflexion, je me suis dit que cela pourrait être une bonne chose de porter un autre regard sur le viol conjugal et le viol surprise, puisque tout le monde n’entend le viol que comme un viol avec violence.
Avez-vous envisagé un tel impact mondial ?
Cet engouement dans la presse internationale m’a stupéfié. Les médias locaux et nationaux, je savais qu’ils seraient là. Mais l’ouverture des portes du public attire les médias du monde entier. J’étais au tout début de mon activité dans les coulisses du dossier Elf, j’avais déjà entendu parler de ce qu’était la médiatisation, mais là, j’ai vraiment pris conscience d’être en train de vivre quelque chose qui ne serait pas vécu deux fois dans une vie.
Comment comprendre une telle résonance ?
Parce que ça se passe dans la chambre. Au sein d’un couple marié depuis cinquante ans et qui, selon tout le monde, est le couple idéal. On se retrouve dans l’intimité d’un lit conjugal, et c’est dans ces draps que se commet le crime. C’est ce qui captive. Tout le monde peut s’y identifier. Cela peut arriver à n’importe qui.
Très vite, la santé de Dominique Pelicot se détériore. Ce qui s’est passé?
J’ai entendu ici et là que Dominique Pelicot était peut-être malade volontairement, ça m’a bouleversé car il y avait des certificats et des consultations médicales. Après, est-ce qu’il a somatisé, l’anxiété est-elle si forte que le corps n’a pas résisté ? Pourquoi pas. Je ne l’exclus pas. Cet homme s’est retrouvé, le 2 septembre, face à son épouse dans la salle d’audience. Il s’agit de la première confrontation depuis le 2 novembre 2020, date à laquelle ils se sont dit au revoir dans la salle d’attente du commissariat. Pour lui, ce premier face-à-face fut une source d’angoisse terrible. Mais il a eu le courage de ne pas se montrer lâche. Il ne serait peut-être jamais venu à son procès. Combien de fois m’a-t-il dit, je vais mettre fin à mes jours, et combien de fois l’ai-je attrapé avec mes bras en lui disant : ne fais pas ça, tout le monde se réjouira de ta mort. Vous allez continuer, vous devez faire face.
Il dit qu’il voulait dire la vérité, mais semble avoir gardé son côté sombre ?
Je pense que Dominique Pelicot a progressé. Durant les trois ans et demi que nous nous sommes rencontrés dans le cabinet de l’avocat, le pourquoi du comment a été très compliqué pour lui à verbaliser. A partir du 2 septembre, lorsque les débats ont commencé pour identifier les motifs possibles, nous avons commencé à lister. Pour se dire, ça peut être ceci, ou cela. Et puis finalement il dit quelque chose de très vrai : « Soumettez une femme rebelle. » Et aussi ce que je plaidais : n’était-ce pas un corps vieillissant qui transmettait sa virilité aux hommes qui pénétraient sa femme à sa place ? N’est-ce pas en fait sa dernière érection ? Donc. Parfois, au parloir de l’avocat, il me disait : eh bien, c’est tout ! Et je lui ai dit, Monsieur Pelicot, on ne va pas pouvoir se contenter de ça, il faut développer, approfondir, aller au fond des choses. On ne peut pas rester sur des approximations. C’est pourquoi j’ai dû reprendre la parole le dernier jour du débat. En lui disant, c’est juste toi et moi, on oublie le tribunal, le public, on communique en toute confiance. Et il s’est alors libéré de son portable.
Dans quel état est-il ?
Comme je l’ai expliqué, c’est un homme qui est allé jusqu’au bout de lui-même et qui n’a trouvé personne. Il a l’impression qu’il n’est plus rien. Il m’a remercié pour ce que j’ai apporté au tribunal et pour mes propos qu’il a jugés clairs. Il m’a dit : « J’ai encore du travail à faire, mais je pense que j’y arriverai. Je dois sortir de tout ça, mais vous avez souligné des choses réelles. Le travail sera long, mais je sais que j’y arriverai.
Mes paroles lui ont permis d’effleurer les choses. Il était en larmes quand je suis allé le voir après le plaidoyer. C’était un argument utile aux yeux de mon client, et je pense que c’est le plus important pour un avocat.
Son parcours juridique n’est pas terminé. Et pour vous ?
Je n’abandonne absolument pas. Je lui ai demandé : « On continue ensemble ? », et il m’a répondu : « Plus que jamais ! Alors s’il faut aller en appel, à Nîmes ou ailleurs, alors à Versailles, on y ira. Lui et moi encore, contre le monde entier.