Privé de majorité à l’Assemblée, le Premier ministre a été contraint d’utiliser l’article 49.3 pour voter le budget de la Sécurité sociale, donnant ainsi l’opportunité à l’opposition de faire tomber le gouvernement.
Il défendra sa position jusqu’au bout. Michel Barnier est l’invité du JT de 20 heures, sur France 2 et TF1, mardi 3 décembre, à la veille d’un vote qui devrait – sauf surprise – le renverser. En déclenchant son premier 49,3 pour faire adopter le budget de la Sécurité sociale, le Premier ministre semble avoir scellé son sort. “Ça a l’air cuit…” Les députés macronistes le prédisaient lundi dans les couloirs de l’Assemblée, le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national ayant confirmé qu’ils voteraient la censure mercredi, à partir de 16 heures. Un renversement du gouvernement serait une première depuis 1962 et représenterait un échec. pour celui qui est arrivé à Matignon il y a à peine trois mois, malgré une réputation de fin négociateur, fort de son expérience à la Commission européenne lors du Brexit.
Lundi 2 décembre, le Savoyard a attendu 15h30 pour annoncer d’une voix apaisée ce qui semblait désormais inévitable : le recours à l’article 49.3 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). “J’ai été au bout du dialogue avec tous les groupes politiques, en restant toujours ouvert et à l’écoute”a-t-il assuré, rappelant son « méthode basée sur le respect et le dialogue ». Mais ses tentatives ont échoué, y compris ses concessions dans la toute dernière ligne droite.
« Écoute et dialogue » : ces deux mots rythmaient déjà largement son discours de politique générale à l’Assemblée le 1er octobre. Quelques jours plus tard, son gouvernement échappait à sa première motion de censure grâce à l’abstention des 124 députés du Rassemblement national. Les choses n’ont pas si mal commencé entre Michel Barnier et Marine Le Pen, qui n’a pas opposé son veto à sa nomination à Matignon. Le Premier ministre a même téléphoné au président du groupe RN à l’Assemblée, après une sortie du ministre de l’Économie excluant le parti d’extrême droite de l’arc républicain. « Nous ne censurons pas, car un seul tweet de Marine Le Pen suffit à faire changer la position du Premier ministre sur la désindexation des salaires. (…) Nous préférons faire pression sur un gouvernement de moindre mal »Le député RN Guillaume Bigot s’est ensuite vanté depuis la tribune de l’Assemblée.
Mais lorsque les discussions sur les textes budgétaires ont débuté fin octobre, les relations se sont sensiblement détériorées, au point que Marine Le Pen et ses troupes ont évoqué la possibilité d’une censure. Leurs menaces ont redoublé après les réquisitions du parquet contre Marine Le Pen, dans l’affaire des assistants parlementaires européens, pour laquelle elle risque une peine d’inéligibilité. « Il ne nous considère pas, il nous ignore complètement. Je trouve ça étrange, parce que c’est nous qui avons le pouce levé ou baissé.”» murmurait mi-novembre un conseiller de l’ancien candidat à la présidentielle. « J’ai envoyé notre contre-budget à Laurent Saint-Martin et Antoine Armand [respectivement ministres du Budget et de l’Economie]. Je l’ai même imprimé pour eux et je l’ai fait livrer lors du QAG. Et ils ne m’ont jamais répondu, rien »» s’est encore plaint le député Jean-Philippe Tanguy lundi.
Du côté de Matignon, on assure que le Rassemblement national est traité « comme les autres forces politiques » et que le Premier ministre est “écoute” verser “Trouver un compromis”. “Mais il ne négocie pas avec eux”insiste un adjoint proche du chef du gouvernement. “Il ne faut donner aucune garantie au RN, le Premier ministre a raison de leur parler, de dire qu’il écoute, mais s’il cède, s’il négocie, c’est fini, il est devenu leur otage”dit un sénateur macroniste.
Pour faire baisser la pression, un cycle d’entretiens entre Michel Barnier et les groupes parlementaires est organisé par Matignon. A la tête du plus grand contingent de parlementaires, Marine Le Pen a été invitée en première, lundi 25 novembre. Mais elle sort déçue de cette réunion et estime que le chef du gouvernement est « Debout sur ses positions ». “Nous avons pris les 70 mesures de notre contre-budget, nous n’en avons gardé que dix, nous avons fait des efforts jusqu’au bout”dit un conseiller RN.
“Le Premier ministre nous a expliqué qu’il ne s’agissait pas d’une négociation.”
Un conseiller RNsur franceinfo
A une semaine du vote du budget de la Sécurité sociale, le locataire de Matignon fait cependant quelques concessions, sans les attribuer directement au RN, qui n’est pas le seul parti à les réclamer. Le premier ministre mentionne un « chantier » sur l’instauration d’une dose proportionnelle et annule une hausse de taxe sur l’électricité. « Le Rassemblement national vient de remporter une victoire en obtenant de Michel Barnier l’annulation des 3 milliards d’euros de taxe sur l’électricité »se félicite Jordan Bardella, le 28 novembre, sur le réseau social X.
Mais c’est encore insuffisant pour le président du parti, qui assure que “d’autres lignes rouges subsistent”faisant référence à la radiation des médicaments. Le Premier ministre annonce également une réduction de l’aide médicale de l’État (AME), à laquelle ont droit les sans-papiers. “Michel Barnier est un négociateur, il décide d’entendre une partie de la colère, et dans l’intérêt de la nation, il vaut mieux avoir un budget et donc il lâche prise sur certains points”analyse un de ses proches.
La veille du vote, Marine Le Pen appelle à La Tribune du dimanche le retrait de deux mesures : le déremboursement de certains médicaments et la désindexation des pensions de retraite à l’inflation. Sinon, menace-t-elle une nouvelle fois, Michel Barnier sera censuré. Dans la toute dernière ligne droite, l’ancien commissaire européen finit par changer de ligne. Lundi matin, il a téléphoné à Marine Le Pen pour lui dire qu’il était prêt à reconsidérer le déremboursement des médicaments. Mieux, Matignon annonce ce geste dans un communiqué citant nommément Marine Le Pen. Cette dernière répond qu’elle va consulter Jordan Bardella, mais lorsqu’elle le rappelle, c’est pour lui dire que la désindexation des retraites reste une ligne rouge. Michel Barnier ne bouge plus et décide quelques heures plus tard d’initier le 49.3 sur le budget de la Sécurité sociale.
“Elle sortait des demandes les unes après les autres… Il fallait dire stop à un moment donné, sinon c’était comme un cirque.”
Un député MoDemsur franceinfo
Dans le socle commun, nombreux sont ceux qui imputent l’échec de Michel Barnier à l’agenda judiciaire de Marine Le Pen. “Il voulait voir si elle était sincère, il devait être sûr qu’elle menaçait de censure dans son intérêt légal”assure un proche du Premier ministre. « Elle a pris la décision d’appuyer sur le bouton « gâcher le pays » pour organiser une élection présidentielle anticipée et ne pas risquer d’attendre d’être condamnée et inéligible.
Au RN, ce blocage est attribué à Michel Barnier, qui n’aurait pas pris leurs revendications au sérieux. « Il s’est laissé enivrer par les discours de son entourage, du microcosme parisien, et il pensait qu’on n’allait pas voter la censure. Mais ni le chantage ni les menaces ne nous empêcheront de voter pour »dit Philippe Ballard. De nombreux macronistes ne croyaient pas à cette perspective. « Elle censurera plus tard, mais elle ne prendra pas le risque de plonger le pays dans le chaos juste avant Noël »voulait croire un parlementaire macroniste.
Les deux camps continuent de se rejeter la responsabilité de ce fiasco. Mardi, l’entourage du chef du gouvernement a pris soin d’informer la presse que “Ces dernières semaines, les gardes du corps de Marine Le Pen ont refusé à trois reprises un rendez-vous à Matignon”juger “étonnant de voir le RN dire qu’ils ont été reçus trop tard”. “Faux et extrêmement faux”répond le Rassemblement national.
Arrivé à la tête du gouvernement auréolé de sa réputation d’ancien négociateur du Brexit, Michel Barnier n’a pas réussi à faire fonctionner sa méthode. « Face à cette Assemblée, il n’y avait pas d’autre équation. Il a suivi son rôle et il a bien fait”fait valoir un député de droite, qui estime néanmoins qu’il aurait pu être judicieux d’utiliser le 49.3 plus tôt, avant que le parti d’extrême droite ne durcisse trop le ton, notamment après les réquisitions dans le procès des assistants parlementaires du FN. Pour certains macronistes, le chef du gouvernement est allé trop loin lors de ces négociations.
“Michel Barnier a perdu et il a fait beaucoup de choses que je n’aurais pas faites.”
Un cadre du groupe macroniste à l’Assembléesur franceinfo
« Il fallait garder une cohérence, par rapport au déficit, et par rapport aux valeurs du socle communpoursuit ce député, amer. Le communiqué sur les médicaments est une bonne nouvelle pour les Français, mais cela nous a gêné qu’il l’attribue au RN.»
« Il me semble endommagé. On n’aurait pas dû négocier au grand jour avec le RN : on ne négocie pas avec un parti non républicain”deplores another deputy from Ensemble pour la République. “Et Michel Barnier a sa part de responsabilité”poursuit cet élu, estimant que le chef du gouvernement n’a pas assez de moyens “animé” son socle commun.
« Comment a-t-il pu céder sans avoir l’assurance qu’elle n’allait pas s’abstenir de la censure ? Je ne comprends pas.”
Un parlementaire macronistesur franceinfo
L’autre tactique de Michel Barnier – parier sur les socialistes pour qu’ils ne votent pas la censure – semble également avoir échoué. « Pas un seul de nos électeurs ne comprendrait qu’on sauve ce gouvernement qui négocie avec le RN.asserts PS deputy Emmanuel Grégoire. Il a mené une négociation exclusive avec le RN et il s’est piégé.»
“C’est une faute politique et une faute morale, car beaucoup de députés de sa base ont été élus pour tenir tête au RN.”
Emmanuel Grégoire, socialist deputysur franceinfo
La partie de poker mensongère qui dure depuis plusieurs semaines entre le Premier ministre et le Rassemblement national touche donc à sa fin. Ou presque ? De nombreux élus de la base commune espèrent le voir rester à Matignon, même en cas de censure. Emmanuel Macron pourrait en effet le renommer immédiatement, afin de faire adopter sans trop de retard les budgets pour 2025. « Il est le mieux placé pour défendre ces textes, il les connaît. Et puis il a acquis l’image d’un homme sage, calme, sans arrogance »» fait l’éloge d’un élu républicain. « Avant, quand tu échouais, tu étais un perdant. Mais les gens ne pourront pas lui reprocher son échec, ils lui seront reconnaissants d’avoir essayé.»