75 ans. C’est le bon moment pour profiter de la vie, recevoir, donner, aimer. Mais c’est tous les deux jeunes. Si jeune. Niels Arestrup est décédé ce dimanche à l’âge de 75 ans.
L’acteur aux trois César (à chaque fois dans la catégorie du meilleur acteur dans un second rôle pour « Battre mon cœur arrêté » en 2006, « Un prophète » en 2010 et « Quai d’Orsay » en 2014) laisse derrière lui un CV qui force le respect, que ce soit dans le septième art, à la télévision ou sur scène, mais aussi l’image d’un acteur hors du commun.
Nicolas Duvauchelle, qui a joué dans l’une de ses dernières créations, la série “Les Papillons Noirs” d’Olivier Abbou en 2022, a parfaitement décrit l’aura du comédien dans nos colonnes : «Quand il entre dans une pièce, quelque chose se passe. Il est imposant. Il met en place quelque chose, et puis il a des yeux perçants, cette voix… La veille de notre première scène, je n’avais pas très bien dormi parce qu’il est impressionnant. C’est un vieux lion, il a un côté animal dans son jeu, il est précis et c’est un plaisir de travailler avec lui.
Acteur par hasard
Arestrup appartient à cette catégorie d’acteurs difficile à classer. A la fois bestial, inquiétant, magnétique, charismatique, autoritaire, calme et imposant.
Niels Arestrup est né en février 1949 à Montreuil, ville ouvrière de Seine-Saint-Denis. Ce bastion communiste, aujourd’hui apprécié de nombreux acteurs et actrices (Reda Kateb, Romane Bohringer, Philippe Rebbot, Romain Gavras) a longtemps été une commune prolétarienne où se côtoient près de 90 nationalités.
A la fin de la guerre, la diaspora italienne fuyant le fascisme s’installe dans cette banlieue est et de nombreuses vagues d’immigration s’ensuivent : Maliens, Sénégalais, Maghrébins mais aussi voyageurs puisque les Hornecs, une grande famille Yéniches, dont certains membres étaient liés aux le crime organisé, ont fait de Montreuil leur base.
C’est ici que Knud Arestrup, un jeune ouvrier danois ayant fui son pays bombardé par l’Allemagne nazie, s’est installé en pleine Seconde Guerre mondiale.
Alors qu’il envisageait de rejoindre New York via Le Havre, Knud s’arrête à Paris où, dans un café, il tombe amoureux d’Yvonne Turmel. De leur amour naîtra Niels Arestrup, leur unique enfant.
Fils d’ouvrier, le jeune Niels s’habitue vite à la solitude. On dit qu’il est timide. Introverti. Incapable d’approcher l’autre. Mais cette sensibilité va changer lorsqu’en 1968, il tombe sur un reportage télévisé sur Tania Balachova, une actrice russe immigrée à Paris.
Il suit ses cours et, face à l’insistance de son nouveau chaperon, monte sur scène où il interprète « Caligula » de Camus. Le théâtre est fait pour lui et deviendra son fil conducteur artistique (lauréat de quatre Molières entre 1999 et 2020) même si le cinéma lui apportera une autre visibilité.
Audiard, la rencontre
Après plusieurs seconds rôles et films d’art et d’essai au cinéma entre 1973 et 2005, le grand public le découvre réellement via Jacques Audiard, d’abord dans le rôle du père perdu et intrigant dans “Le battement de mon cœur s’est arrêté” mais surtout dans le rôle d’un gangster corse contrôlant sa prison tel un despote dans “Un Prophète” où il joue face à Tahar Rahim.
“Je suis un des rares acteurs à pouvoir se promener comme je veux en banlieue, où les gens viennent me dire qu’ils ont aimé le personnage de Luciani, le parrain corse que j’incarnais”, il raconte Monde en 2019.
Après ce doublé réussi chez Audiard, Arestrup s’émancipe et s’essaye à tous les registres et à tous les réalisateurs haut de gamme: Steven Spielberg (“War Horse”), Bertrand Tavernier (“Quai d’Orsay”), Frédéric Schoendoerffer (“96 heures”), Albert Dupontel (« Au revoir là-haut ») ou Volker Schlöndorff (« Diplomatie »). Des réussites incontestées et indéniables.
Même si sa carrière reste marquée par des effusions de sang sur deux tournages, avec Isabelle Adjani en 1983 et Myriam Boyer en 1996, il reste un acteur marquant du septième. Une bouche. Une voix. Un chiffre.
“J’ai l’extrême douleur de partager la douleur suite au décès de mon mari, l’immense acteur Niels Arestrup au terme d’un combat courageux contre la maladie, il s’est entouré de l’amour des siens”, a simplement déclaré son épouse, l’actrice, scénariste et autrice Isabel Le Nouvel, ce dimanche matin.
Après Michel Blanc, un autre acteur majeur du cinéma français tire sa révérence fin 2024, laissant derrière lui une filmographie et des souvenirs exceptionnels.
«J’ai toujours l’impression de jouer aux cowboys et aux indiens dans la cour de récréation» a lancé l’acteur, toujours Mondequand il parlait de son travail. Le jeu a perdu l’un de ses représentants les plus talentueux.