La virginité de la place rénovée est telle qu’on se croirait à « Notre-Dame éternelle », le captivant voyage numérique qui explore la cathédrale et son histoire en réalité virtuelle. Il est disponible à quelques mètres seulement, sous la place. Mais ce vendredi matin glacial, sous un beau ciel bleu, c’est devant le vaisseau de pierre bien réel que le président de la République, accompagné de son épouse, s’avance pour saluer les autorités présentes sur place, Mgr Ulrich, Rachida Dati, Anne Hidalgo. Valérie Pécresse, Laurent Nunez, le préfet de police de Paris… Emmanuel Macron s’apprête à révéler aux yeux du monde, dans un dispositif savamment réalisé pour les images, “l’éclat” promise de la cathédrale restaurée et sublimée. “Elle est bien plus hospitalière avec cette pierre blonde”glisse Emmanuel Macron une fois revenu.
La déambulation permet au Président de la République de faire le tour des chantiers emblématiques et des métiers associés, accompagné de Philippe Jost, le président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, qui présente chacune des étapes. Après la vision d’ensemble de Philippe Villeneuve, architecte en chef des Monuments Historiques, on se concentre sur les voûtes, la traversée du transept, avant la charpente – Emmanuel et Brigitte Macron montent dans la « forêt », sans Anne Hidalgo qui a pourtant tenté de rejoindre eux, mais ils ne figuraient pas au programme – l’enceinte nord du chœur, la chapelle Saint-Marcel, le déambulatoire sud, le vœu de Louis XIII et le grand orgue. Le chef de l’Etat discute avec les chefs des principales entreprises : Jean-Louis Bidet pour les Ateliers Perrault (charpente du chœur), Henry de Reviers pour les voûtes (Lefèvre), Julien Le Bras (charpente de la croisée)…
« Est-il là, Monseigneur Ulrich, ou l’avons-nous perdu ? » : les propos présidentiels affluent, souvent joyeux, parfois un peu plus risqués, trop désireux de montrer ce qu’il sait, ou gentiment corrigés par un restaurateur. Il est également rémunéré en échange de ses remerciements et compliments : « Vous nous avez imposé un délai qui était le bon, nous nous en rendons compte aujourd’hui… Nous n’avons sacrifié ni les délais ni la qualité »dit Philippe Jost, heureux de redécouvrir “la cathédrale dans son silence”loin du bruit du chantier. Quelques chiffres émergent : 20 000 heures d’études, 100 000 heures de découpage, 40 000 heures de pose pour la charpente de la traversée, détaille Julien Le Bras. « Merci pour le coup de pouce donné au patrimoine »qui a « besoin de cohérence »il dit au président : il faut une dizaine d’années pour maîtriser le métier…
Emmanuel Macron distille déjà quelques éléments du propos qu’il prononcera prochainement : « La fatigue, la lassitude parfois, étaient tenues par l’esprit d’équipe et l’envie d’être ensemble ». Philippe Jost délivre également un message qu’il n’a cessé de marteler : “Cette restauration n’a pas seulement réparé les dégâts de l’incendie : elle a permis de redonner tout son éclat à la cathédrale, bien au-delà.” Les mots sont choisis, les échanges bien orchestrés, mais ce sont surtout les images sublimes qui resteront.
Le discours de remerciement du président
Avec beaucoup de retard, le président de la République prend enfin la parole, au cœur de la nef qui semble plus grande que jamais. Plus de 1 300 compagnons, artisans, mécènes et donateurs y sont rassemblés, debout. Emmanuel Macron n’est pas allé jusqu’à monter en chaire : c’est sur une petite tribune qu’il attaque son discours, exprimant son « une émotion énorme » s’exprimer là où se trouvait la cathédrale “un champ de ruines” il y a cinq ans. Il salue le « grand choc d’espoir » dont ont été victimes les acteurs du chantier. “les alchimistes”. Les remerciements seront longs, il y a tant de métiers et de métiers à saluer ! A commencer par les pompiers, dont le courage est une nouvelle fois mis en avant. Les donateurs suivent, remerciés pour leur générosité. «Je reconnais beaucoup de visages ici»note le président, est venu “dis ton amour pour Notre-Dame, ce qu’elle représente pour le payss » : “l’âme de notre pays”insiste-t-il peu de temps après.
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Il s’agit de célébrer la réussite d’un défi auquel peu de gens croyaient : « Vous avez été l’antidote au découragement, par l’énergie avec laquelle vous avez abordé le chantier, par l’enthousiasme avec lequel vous avez répondu à ce défi. Oui, en avril 2019, nous avons décidé que cela prendrait cinq ans. […] Mais au fond, derrière ce simple objectif, il y avait une agrégation de toutes les volontés et vous l’avez fait. Vous avez réussi […] c’est impossible. »
On pense évidemment à celui qui a porté cette aventure pendant quatre ans : « Il fallait une forte personnalité, un leader, et c’était le général Georgelin. Pour nous tous, de 2019 à 2023, il était le visage et la voix du site. » Mort accidentelle en montagne à l’été 2023, « Il aurait dû être avec nous. Il aurait été fier. Il vous aurait salué, chacun par votre prénom et votre nom, comme d’habitude, avec cette voix de stentor… »
Après l’épée, le goupillon : l’heure est à l’apaisement. Même si le moment n’est pas du tout spirituel – il faudra attendre la réouverture le 7 et la première messe le 8 – Emmanuel Macron engage la diplomatie avec l’Église, saluant un « une coopération fructueuse »célébrant “l’esprit de dialogue”nommant Mgr Aupetit, archevêque de Paris, et Mgr Chauvet, recteur de la cathédrale au moment de l’incendie… et leurs successeurs, respectivement Mgr Ulrich et Mgr Ribadeau-Dumas. En remerciant le « facteurs d’orgues et campanistes qui ont donné sa voix à la cathédrale »le chef de l’Etat s’est même adressé à l’archevêque de Paris pour préciser « sous vos instructions, Monseigneur, le 7 décembre »…
Il s’adresse principalement aux compagnons : « Vous avez repris une chaîne qui vous a précédé de plus de huit siècles. Celles des compagnons du Moyen Âge. […] Vous avez démontré, en faisant de ce projet une métaphore de la vie de la nation, que chaque femme, chaque homme est nécessaire. » Le président célèbre l’esprit qui a animé ce projet exceptionnel : « Le square Jean-XXIII, grâce à vous tous, est devenu un véritable village. Sous les tilleuls, nous nous sommes rencontrés, nous avons échangé, nous avons pris des nouvelles les uns des autres avec, là aussi, une forme de famille qui a commencé à exister au fil de toutes ces années. »
Tous les métiers sont répertoriés – “ ornemaniste, fondeur, ferronnier d’art, serrurier, patineur, lustreur… » Avec un mot pour chacun, pour rappeler à chacun qu’il a été partie prenante d’un projet “inouï” : « Oui, nous n’avions jamais vu un tel chantier. Vous avez tous participé au projet de construction du siècle. Un site de formation, un site modèle. »
Une célébration de « l’esprit de famille » du site
Sont également inclus ceux qui n’ont pas travaillé sur place, « de tant d’endroits en France »… Emmanuel Macron revient sur l’esprit de famille : « Il y avait un esprit de fraternité unique et je veux y croire, je veux que cela reste, qu’il continue. Vous avez été une grande famille pendant cinq ans, avec ses joies, ses moments de fierté comme aujourd’hui et ses douleurs. J’en ai parlé avec le général, et je n’en ai rien oublié, notamment celui d’un de ses fidèles soldats, si je puis dire, vous l’avez tous connu : Azzedine Hedna, l’échafaud de Notre-Dame.. A l’évocation de cette figure marquante du chantier, décédé subitement chez lui dans la nuit du 8 au 9 novembre, le public a enfin repris vie, saluant sa mémoire par une salve d’applaudissements.
Emmanuel Macron conclut : « Au fond, vous avez montré au monde que rien ne résiste à la volonté, au travail et à cet espoir. Vous nous avez appris à lever les yeux pour voir cette flèche, la flèche de Notre-Dame, à lever les yeux pour redécouvrir notre cathédrale de l’intérieur. Et pour tout cela, la reconnaissance de notre pays est immense. » Elle sera également exprimée dans un diplôme qui sera remis à « toutes les personnes qui ont participé à ce projet ». Après un mot pour les familles, qui ont parfois consenti des sacrifices pour accompagner une restauration menée à toute vitesse, le président célèbre une nouvelle fois la promesse tenue, « une immense fierté pour toute la nation. […] La France vous est infiniment reconnaissante. »
Les artisans, souvent regroupés en grappes d’une même entreprise dont ils portent la veste (sécurité, vitrail, nettoyage, tailleurs de pierre, etc.), côtoient dans la nef des donateurs anonymes, mécènes et grands patrons – on y voit Patrick Pouyanné, le PDG de Total. La fin du discours et le lancement de “photos de famille” – vingt au total, un par échange – sont ponctués d’une ovation. Ils ont eu leur moment – en attendant leur messe du 15 décembre – et le président aussi. Il n’a oublié personne, n’a commis aucune erreur, mais nous étions loin du simple mot de remerciement promis : contrairement à ce que son entourage avait annoncé, il s’agissait d’un véritable discours écrit, qui a duré une bonne vingtaine de minutes. Pour le fameux discours du 7 décembre, l’Élysée a assuré qu’il serait court… Faut-il en douter ? L’essentiel est ailleurs : Notre-Dame est prête à rouvrir, et on l’a vu « encore plus beau ».