Le charme pas si discret de la bourgeoisie selon Tina Barney

Tas de «Vogue»mobilier choisi, autorité du père, le nez dans ses papiers, la désinvolture des enfants, avachis devant la télévision, perfecto sur le dos, baskets sur la table basse… La somme des signes extérieurs de richesse éclipserait presque le véritable sujet de cette scène d’intérieur : les liens du sang. Filmé par Tina Barney, en Super 8 et en noir et blanc, La bibliothèque (1982) inaugure délibérément le cours clôturé par une autre vidéo – Rhode Island Été (1997) – soulignant, des barbecues aux parties de golf, les rites estivaux et les loisirs des GUÊPE de la côte Est.

Sortez la photo du livre

« Ces films encadrent son travail photographique comme un travail préparatoire »» dit Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume et commissaire de la première rétrospective européenne consacrée à Tina Barney, voyant dans ces « montages bruts de moments glanés »la plupart des « travail de construction d’espace accompli dans ses images fixes ». Entre ces deux « bornes », une foule de portraits de famille, avec ou sans couleurs, certains flottant dans des cimaises en verre qui transparaissent, découpant le rez-de-chaussée du centre d’art vingt ans comme les pièces d’une maison. Placé à droite en hauteur, juste au dessus des yeux, le tout étalé en 120 x 150 cm, son format préféré, “pas aussi grand qu’Andreas Gursky, probablement plus petit que Jeff Wall, presque à l’échelle 1 « . Il reste que « Barney appartient à cette génération qui, à la fin des années 1970, va amplifier le volume des images destinées au mur plus qu’au livre. ».

L’autoportrait de Tina Barney [Autoportrait de Tina Barney]2023 ©Tina Barney, avec l’aimable autorisation de l’artiste et Kasmin, New York. class=”taille-moyenne wp-image-197511″ data-lazy-src=”https://locals.dayfr.cam/wp-content/uploads/2024/12/The-not-so-discreet-charm-of -la-bourgeoisie-selon-Tina-Barney.jpg”/> L’autoportrait de Tina Barney [Autoportrait de Tina Barney], 2023 ©Tina Barney, avec l’aimable autorisation de l’artiste et Kasmin, New York. class=”taille-moyenne wp-image-197511″/> Tina Barney, L’autoportrait de Tina Barney [Autoportrait de Tina Barney]2023 ©Tina Barney, avec l’aimable autorisation de l’artiste et Kasmin, New York.

D’ensemble ou de près, la vue varie selon la position du corps et le degré d’attention. De loin, tout semble aller pour le mieux : plusieurs générations vivent ensemble sous le même toit, visiblement à l’abri du besoin. De près, le vernis s’écaille lorsque l’oeil, soudain captivé par un geste, une moue, l’un des mille détails saturant le décor, croit deviner l’autre face. “Cette incapacité à montrer de l’affection physique est dans notre héritage”» affirme Tina Barney, face à l’impression de raideur que donnent ces proches, fatalement distants.

Tina Barney, Commission familiale avec Snake (gros plan) [Comité familial avec serpent (gros-plan)]2007 ©Tina Barney, avec l'aimable autorisation de l'artiste et Kasmin, New York.

Tina Barney, Commission familiale avec serpent (gros plan) [Comité familial avec serpent (gros-plan)]2007 ©Tina Barney, avec l’aimable autorisation de l’artiste et Kasmin, New York.

A hauteur d’enfant

Bien née en 1945 à New York, fille d’un ancien mannequin reconverti en décoratrice d’intérieur et banquier d’affaires qui collectionne ses loisirs, l’octogénaire ignore les travers de sa classe. “La satire sociale ne l’intéresse pas”or, assure Bajac, qui ne trouve pas plus de points communs avec Martin Parr qu’avec les campagnes de Ralph Lauren, auxquelles certaines critiques ont, au gré des cartels développés, pu l’associer. “Le processus d’une communauté qui répète des événements année après année semble avoir toujours été au centre de tout ce que je photographie”résume l’intéressé, infiltré mais renfermé, aussi sensible à la neutralité d’August Sander qu’à celle de l’anthropologue Margaret Mead.

Tina Barney, Le drapeau [Le Drapeau]1977 ©Tina Barney, avec l’aimable autorisation de l’artiste et Kasmin, New York.

Equipé d’une batterie de flashs et posé sur un trépied, l’appareil photo 20 x 25 qu’elle manipule “contre l’usage”à la manière d’un appareil photo instantané, insérer et retirer avec avidité le film tourné, d’abord seul puis avec l’aide d’un assistant, participe pour une large part à ce regard décentré, légèrement en contre-plongée, qui n’est pas sans rappeler celui de son jeune frère Philip-Lorca diCorcia ( né en 1953), un autre conteur. « N’est-ce pas finalement le point de vue de l’enfant qu’elle était ? »» ose Bajac, rejoignant l’avis de Barney, pour qui la photographie constitue “la seule façon de remettre en question l’histoire de votre vie”.

Tina Barney, Tim, Phil et moi [Tim, Phil et moi]1989 ©Tina Barney, avec l’aimable autorisation de l’artiste et Kasmin, New York.

Une brève histoire de la bourgeoisie

Ses suites, a priori, une voie claire : écoles privées, études avortées, mariage, enfants, divorce. Jusqu’à ce hors-piste à Sun Valley, station de ski au cœur des Rocheuses de l’Idaho, où elle s’exile en 1974 avec son mari et leurs deux fils. Elle y suit les cours dispensés par Patrick de Lory et Mark Klett au Centre des et des Humanités, s’adonnant à une passion éveillée par son grand-père maternel, photographe amateur, et entretenue par des tirages signés Robert Frank, Walker Evans ou Lee Friedlander, qu’elle a acheté entre deux missions bénévoles au MoMA. Qui a acquis, en 1983, Dimanche New York Times (1982), revue de presse matinale dans une salle à manger cossue et bondée, incluse la même année dans l’exposition « Big Pictures by Contemporary Photographers ».

Tina Barney, La réception [La Réception]1985 ©Tina Barney, avec l’aimable autorisation de l’artiste et Kasmin, New York.

« A l’époque, la photographie des classes supérieures n’avait pas d’histoire et peu d’antécédents »se souvient Quentin Bajac, citant, outre les fantaisies de Jacques-Henri Lartigue, les bains de soleil sur la Promenade des Anglais, ou les soirées de bal dans les palais suisses, respectivement évoqués par Lisette Model et Jakob Tuggener dans les années 1930. Jamais cependant, les élites n’avaient été vues que sous cet angle domestique. Sally Mann, Mary Frey, Carrie Mae Weems, Nan Goldin… D’autres que Tina Barney incarnent cela Photographie à domicile puis à ses débuts, abandonnant l’anonymat de la rue. Mais elle seule compte autant de privilégiés dans son entourage.

Rien n’a changé

Son sens du relationnel transcende les frontières : de 1996 à 2004, elle a photographié « amis d’amis »riches d’Italie, d’Allemagne ou d’Angleterre. Si les poses solennelles et les expressions austères trahissent le poids des traditions plus qu’à la maison, il n’en reste pas moins que Les Européens (2005) étend Théâtre des Mœurs (1997), une saga dont le système atteint ses limites en Chine, où elle séjourne en 2006 et se heurte à la barrière de la langue. Bientôt, l’image devient vide et Barney, conscient » pour avoir épuisé jusqu’aux limites le genre de la peinture chorégraphiée “, entrer Dallas et Vermeer, De Hooch et Dynastieprend en charge les commandes pour la presse, la mode et la publicité.

Tina Barney, Les filles [Les filles]2002 ©Tina Barney, avec l’aimable autorisation de l’artiste et Kasmin, New York.

Réunis dans le travail Joueurs (2010) – et dans la deuxième salle de la rétrospective – ces œuvres plus dirigées, apparaissant «moins de monde », n’ont pas le charme poli mais effronté de ses premiers essais. Récemment, avant de profiter de la pandémie pour feuilleter ses archives, elle a photographié les petits-enfants de ceux qu’elle regardait il y a trente ans : « À bien des égards, rien n’a changé », constate le nostalgique, posant inlassablement la question de la trace. Le - passe, les déterminismes demeurent.

 
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