Une exposition entièrement consacrée au dialogue entre les œuvres « nocturnes » des deux qui ont en commun leur fascination pour la nuit, le noir, le gris, les points lumineux qui mettent en valeur les nuances de l’obscurité. Avec leur regard nocturne, ils transforment leur environnement immédiat et leurs impressions en images oniriques ambiguës qui soulèvent plus de questions que de réponses.
Le parcours proposé se déroule le temps d’une nuit, commençant au crépuscule où l’on peut encore voir le symboliste Spilliaert et le « pictorialiste » Dirk Braeckman traiter ses photographies comme un peintre ses peintures. L’obscurité arrive et avec elle, la solitude et la mélancolie.
Insomnie
On plonge alors dans la nuit et ses richesses. Spilliaert souffrait d’insomnie et faisait de longues promenades dans les rues et les pages désertes d’Ostende. Pour lui, la nuit oblige à la réflexion et c’est alors qu’il réalise une série d’autoportraits saisissants (1907-1908), trahissant son cruel manque de sommeil.
Dans sa jeunesse, Dirk Braeckman s’est également essayé à l’autoportrait, dont un exemple inquiétant peut être vu dans l’exposition.
Et puis il y a Ostende la nuit. Les plages désolées peintes par Spilliaert, avec parfois un petit personnage au loin, contrastent complètement avec la station balnéaire animée qu’était alors Ostende le jour. Spilliaert fait d’Ostende une ville presque abstraite avec des angles aigus, de grands plans géométriques, des diagonales plongeant vers l’infini, ou encore une ruelle étroite remplie de brume.
Puis l’aube et une faible lumière s’annoncent déjà. Chez Dirk Braeckman, elle s’infiltre le long des rideaux tirés ou le long d’un canapé. Chez Spilliaert, ce sont de petits points de lumière qui semblent accentuer encore davantage l’obscurité.
En 1916, Spilliaert se marie, a une fille, puis quitte l’obscurité pour se consacrer aux marines colorées et à la peinture d’arbres.
Inclassable
Leurs œuvres (une cinquantaine de pastels de Spilliaert, une trentaine de grands formats de Braeckman) semblent émerger du même univers émotionnel : elles montrent le mystérieux, l’insaisissable et l’indéfinissable.
mouetteLe mystérieux, l’insaisissable et l’indéfinissable.
Léon Spilliaert est l’homme des solitudes inquiétantes, des perspectives infinies, des questions métaphysiques qui le poussent à explorer l’intimité d’espaces abandonnés et vides de toute présence humaine. La mer du Nord s’impose à lui et reste omniprésente. Il y ajoute souvent une ambiance nocturne inquiétante, soulignant la ligne d’horizon où s’inscrivent les contours de la côte urbaine. Toute une symbolique de la nuit intérieure. Où classer Spilliaert ? Il a parfois été classé parmi les derniers symbolistes, ou faisant la transition entre symbolisme et surréalisme. Mais ses visages hallucinés flirtent tout autant avec l’expressionnisme et ses paysages épurés semblent annoncer le minimalisme. En réalité, il était inclassable, ce qui fait son génie et explique la passion que tant d’amateurs d’art lui portent.
La majorité des images créées par Dirk Braeckman dans sa chambre noire sont prises dans des espaces fermés et oppressants. Ils n’ont jamais d’autre titre qu’un numéro de classement. On aperçoit un tapis persan, une pièce vide, parfois de grands rideaux cachent on ne sait quel mystère, ouvrant sur on ne sait quel théâtre d’ombres de la vie. Ses images ne disent rien, ne renvoient à rien mais, paradoxalement grâce à cette disparition de toute anecdote, elles nous ouvrent à tous les imaginaires. A chacun d’imaginer des histoires. Une expérience qui nous place dans les coulisses de la vie, face à nous-mêmes, à notre inconscient.
Cinquante nuances de Grey de Dirk Braeckman
A voir avec l’exposition Booremans au Voorlinden Museum voisin.
Léon Spilliaert et Dirk Braeckman, au Musée d’Art de La Haye, jusqu’en janvier