A l’occasion de la rétrospective du photographe Gilles Aymard aux Archives municipales de Lyon du 8 novembre 2024 au 8 février 2025, nous avons rencontré Laurent Baridon, professeur à Lyon 2 et historien de l’art spécialisé entre autres dans l’architecture du XIXe siècle, conservateur attitré. de l’exposition.
Qu’est-ce qui t’a fait amenprésenter le travail de Gilles Aymard ?
Il y a plusieurs choses, d’abord une familiarité avec Mourad Laangry (responsable d’exposition aux Archives municipales de Lyon) avec qui j’ai travaillé à plusieurs reprises autour des archives. Puis il m’a proposé de participer à une rencontre avec Gilles Aymard, au fil des échanges je me suis pris au jeu et Mourad m’a proposé d’assurer le commissariat et en même temps de réaliser le catalogue de l’exposition. Nous avons beaucoup discuté avec Gilles sur le but de cette exposition rétrospective, il nous a montré des centaines et des centaines de photos, mais comment combiner tout cela ?
Nous avons fini par trouver ensemble une ligne directrice pour raconter la diversité de son travail, mais aussi la façon dont il photographie les gens dans les lieux et dans les métiers avec une forte empathie. L’exposition est construite autour de l’architecture mais aussi sur la manière dont il pourrait donner vie à l’architecture – pour ceux qui la regardent. En effet, peu de gens pensent à le regarder et à l’apprécier ainsi, non seulement dans les grands monuments mais aussi dans la vie quotidienne. Comment rendre l’architecture vivante et comment montrer que la vie en architecture est fondamentale ? C’est-à-dire comment montrer que l’homme et la vie font vivre l’architecture, et que le photographe doit réussir à insuffler toutes ces dimensions dans ses images ? C’est ce que nous avons essayé de mettre en évidence. Pour le catalogue, j’ai rédigé la plupart des textes aux côtés de Nathalie Pintus, également historienne de l’art et qui a travaillé spécifiquement sur la photographie d’architecture du XIXe siècle. Mourad s’intéressait aussi à ce double regard et à cette mise en perspective de la photographie d’architecture.
Connaissez-vous la photographie ?
Pas spécifiquement à la photographie en tant que telle, mais à la représentation de l’architecture en général, en particulier à la manière dont elle rassemble les discours dans les livres. Je suis très intéressé par l’illustration en général, et donc aussi par l’illustration de livres d’architecture.
Et selon vous, comment la photographie a-t-elle servi l’architecture ?
Au début, je pense que la photographie a remplacé le dessin. On situe l’illustration dans le texte et l’essor du livre illustré dans toutes les catégories dans la première moitié du XIXe siècle. L’exemple typique est le Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle par Viollet-le-Duc en 1858. Il s’agit du premier grand livre véritablement ambitieux, historique et théorique, comportant une illustration dans le texte. Ici la photographie a clairement pour mission de se substituer au dessin, même si à cette époque il n’était pas évident de la reproduire et de l’intégrer dans un livre. Les techniques ne le permettent pas tout de suite. Mais c’est bien cette tradition du dessin architectural qui est reprise, notamment dans le but très précis de mettre en valeur le patrimoine national. En effet, le patrimoine est un vecteur extrêmement important dans le développement de la photographie d’architecture. C’est aussi en même temps que sont établies les listes de classement pour prioriser les bâtiments à sauver ou trouver des budgets pour les financer. Il y a donc deux choses, le livre illustré et la grande tradition des images architecturales, devenue une discipline et qui a forcément évolué avec les outils de prise de vue utilisés.
Il existe évidemment plusieurs genres de photographie d’architecture. Tout à l’heure, je montrais à mes élèves les photographies de l’Acropole d’Athènes de Corbusier lors de son voyage en 1911. Il a un petit appareil photo portable, c’est de la photographie témoin mais il y a quand même des clichés qui sont très esthétiques.
Il y a aussi la photographie d’architecture très visuelle, je pense notamment à Thomas Ruff, ou encore aux agences d’architecture comme Herzog & de Meuron qui utilisent cette convergence esthétique entre le bâti et le cliché.
Et puis il y a, comme le dit Gilles lui-même, la photographie d’architecture commerciale, qui produit des images pour les architectes et pour les promoteurs, c’est un produit commercial. Le talent de Gilles, c’est d’avoir su en développer un plus artistique à côté de cette photographie. Il y a bien sûr l’aspect formel, la compréhension des volumes et des jeux d’ombres, mais Gilles a aussi de l’empathie pour les bâtiments qu’il photographie. Comme on dresserait le portrait d’une personne, pour Gilles ce n’est pas seulement un bâtiment qu’il doit mettre en valeur, il va essayer de le mettre en valeur avec la compréhension intime de ce que l’architecte a voulu faire.
Son talent est aussi de percevoir les petits détails et comme le disait Mies van der Rohe, le diable est dans les détails. L’architecture, même colossale, est une question de détails et de finitions, et Gilles l’a bien compris. Il donne vie aux volumes, il montre à la fois les forces et les tensions, toujours de manière très subtile. On ne peut s’empêcher de penser aux photographes de la nouvelle objectivité, notamment autour du Bauhaus avec ces balcons en contre-plongée, compositions géométriques très fortes en contraste. La photographie fait partie intégrante de la définition esthétique des objets architecturaux, et n’est pas seulement un commentaire ou une explication. Cela en fait vraiment partie, même si évidemment l’objet architectural est là avant d’être photographié, les intentions esthétiques restent les mêmes.
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