« Les mains sont comme la couleur des yeux »

Henrike Stahl est le deuxième artiste invité dans le cadre de la résidence INSTANTS de Château Palmer et Leica. Le photographe allemand a capturé avec une grande acuité le travail des vignerons de la région bordelaise, et plus particulièrement une certaine jeunesse en plein apprentissage.

Transmission, mise en valeur des marges… « L’arc sera parmi les nuages ​​» fait actuellement l’objet d’un exposition au Leica Store du Village Royal à Paris, à découvrir jusqu’au 22 juin 2024, ainsi qu’un livre photo publié dans éditions Filigranes. Nous avons eu l’occasion de rencontrer l’artiste ; l’occasion idéale d’approfondir démarche artistique.

© Henrike Stahl

Entre portrait Et expérimentation esthétiqueHenrike Stahl fait de la photographie son propre langage pour démontrer les marges, de l’entre-deux. Sensible aux questions de transition (identitaire, écologique), c’est tout naturellement que les apprentis vignerons étaient pour elle un terrain idéal pour, une fois encore, remettre la périphérie au centre, tisser des dialogues et briser les frontières.

“L’arc sera parmi les nuages” est un vrai pont entre générationsautant de pont entre les pratiques, quand on voit à quel point le travail de la terre a influence sa photographie, concrètement – ​​allant jusqu’à immerger ses tirages dans le sol, ou y laisser la nature intervenir directement par d’autres moyens. C’est l’heure de l’entretien.


Pouvez-vous nous parler de votre travail réalisé dans le cadre de cette résidence Chateau Palmer x Leica ?

J’ai fait trois séjours d’une semaine, et quelques allers-retours à des moments clés en dehors de cela. Le tout a duré un cycle de vie de la vigne. J’ai travaillé avec un Leica SL2, et avec des tirages que j’apportais à chaque fois des photos prises lors des séjours précédents pour travailler sur place. Enfin, laisser la nature agir sur place.

Qu’avez-vous essayé de photographier pendant cette résidence ?

J’ai parcouru les vignes à la recherche des interactions des humains entre eux, avec la nature, et de la nature avec eux. Je me suis soumis à la nature que j’ai laissé intervenir librement sur mes tirages, et j’ai collecté la douceur interhumaine pour les sauver pour un monde futur, au-delà du déluge.

On commence à découvrir votre projet par son nom, « L’Arc sera parmi les nuages ​​». Peut-être pourrions-nous commencer cette interview par cela, et que vouliez-vous dire avec ce titre ?

C’est une phrase tirée du livre de la Genèse de l’Arche de Noé, une sorte de message de paix de Dieu à l’humanité qui dit qu’il n’y aura plus à s’inquiéter des inondations, que le déluge est terminé. Que nous sommes sur un nouveau départ.

© Henrike Stahl pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2023

Tout le travail que j’ai fait là-bas [dans le cadre de la résidence à Château Palmer dans la région de Bordeaux. NDLR] Cela m’a fait penser à l’Arche de Noé. Ce n’était pas une intention au départ, ça m’est venu en chemin, comme un rideau qui tombe, avec la photo du jeune brandissant la feuille comme l’oiseau avec la branche dans le bec, le message de paix.

Et l’idée de transporter ses pairs vers un monde futur. Je trouve dommage que notre époque puisse être rappelée plus tard par les guerres qui ont lieu aujourd’hui. J’ai eu envie de transmettre à plus tard, dans une bouteille dans la cave du château, un moment de douceur, pour dire ce qu’il s’est passé de bien aujourd’hui, entre humains.

En quoi la photographie est-elle pour vous un moyen de mettre en valeur les marges ?

En apprenant aux gens à percevoir les différences avec douceur. Photographier le béton sous une lumière douce le rend chaleureux ; attirer les gens avec quelque chose de choquant (ce qui arrive souvent dans -) est trop bon marché attirer le public pour moi, ce qui coûte cher aux sujets des images et à leur estime de soi.

Et les jeunes en particulier ?

Encore une fois, nous sommes des dresseurs du regard, nous leur apprenons ce qui est important à voir, et ce qui ne l’est pas à mettre en valeur. Nous sommes responsables du fait qu’ils ne veulent pas se voir, ce sont des bourgeons et nous sommes responsables de leur vision d’eux-mêmes et du monde qui les entoure.

© Henrike Stahl pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2023

L’histoire que vous racontez ici est aussi une histoire de transmission. Etait-ce important pour vous ?

Oui, pour moi, transmettre ce que nous avons appris est l’un des seuls moyens de sauver notre planète. Si chacun reste dans son coin, chacun pour soi, on n’ira nulle part.

Pouvez-vous nous parler de l’importance des mains dans votre travail ?

Pour moi, les mains des gens, c’est un peu la couleur de leurs yeux, elles racontent leur vie. Et ils sont aussi un moyen de transmission, de contact. Comme les sarments de vignes qui sont reliés par les vignerons pour transmettre entre eux leurs souvenirs.

Ce projet vous a amené à expérimenter, par exemple en enfouissant vos tirages sous terre jusqu’à ce qu’ils germent. Vous n’hésitez pas à laisser la nature intervenir dans vos photographies. Que vous permet ce travail plastique ? Que dit-il de votre sujet ?

Je voulais laisser parler la nature, notamment l’eau. La nature est devenue commissaire. Et l’accident un outil. J’ai laissé des tirages trempés dans l’eau, je les ai laissés moisir avec l’humidité, j’ai enterré des photos sur tissu dans la terre du château. L’idée était aussi de profiter du temps dont on dispose lors d’une résidence, les interventions ayant pris des semaines voire des mois.

© Henrike Stahl pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2023

Pouvez-vous nous parler de vos influences esthétiques, en général et pour ce projet plus spécifiquement ?

Je ne peux pas citer d’influences particulières, si ce n’est ma grande curiosité. Je m’inspire d’affiches publicitaires déchirées dans des écrans rotatifs, d’une reproduction d’une photo que j’ai vue sortir du portefeuille d’un naufragé, de l’intervention du sel sur les empreintes, de voir des accidents et de les assimiler en les expérimentant. Laisser parler les accidents, c’est pour moi la même chose que laisser parler les minorités : c’est accepter ses différences plutôt que de les combattre. Cela signifie également contribuer à construire un monde vivable pour nos enfants.

Enfin, quel est votre premier souvenir de photographie ?

Une exposition de Rijneke Dijkstra que j’ai vue quand j’avais 16 ans, alors que je me promenais avec des billets de train bon marché le week-end, à Essen, en Allemagne. J’ai toujours l’affiche du jeune homme maigre au bord de la mer dans son maillot de bain rouge mouillé, et son regard vers un monde trop grand pour lui. J’ai été touché par sa fragilité et son ton direct, ouvert, sans artificialité.

Sinon, la toute première photo dont je me souviens est celle que mon père a prise de moi dans les bras de ma mère, devant la fenêtre rétroéclairée, avec les oreilles rouge flamboyantes à cause du soleil qui les transperçait.


Merci à Henrike Stahl pour ses réponses.

Informations utiles :
L’arc sera parmi les nuagesHenrike Stahl
Boutique Leica Paris Village Royal
Du 5 avril au 22 juin 2024
26 rue Boissy d’Anglas, 75008 Paris
Du lundi au samedi de 10h à 19h
ENTRÉE LIBRE

L’arc sera parmi les nuagesHenrike Stahl
Éditeur : Filigranes
35 €, 132 pages dont 125 photographies couleurs, livre de poche suisse, 23 x 31 cm
Acheter le livre : Fnac, Editions Filigranes

 
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