Politique
Publié le 21 décembre 2024
Mis à jour le 21 décembre 2024
La destitution du président sud-coréen suite à sa désastreuse déclaration de la loi martiale a déclenché une course contre la montre pour le leader controversé de l’opposition.
« Yoon a le droit d’échouer, mais le devoir d’essayer, et surtout l’obligation de ne pas trahir l’essentiel. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que nos vœux suite à l’élection de Yoon Suk-yeol* à la présidence de la République sud-coréenne n’ont pas vraiment été exaucés.
Dès le départ, on savait que sa tâche était très compliquée par une opposition obstructionniste contrôlant l’assemblée, son inexpérience politique, sa propension à accumuler les bourdes et son attachement par défaut à une famille politique plombée par les extrémistes.
Sa seule voie possible semblait être de gouverner depuis le centre, en s’appuyant sur des réformateurs modérés des deux côtés, mais Yoon n’a jamais vraiment fait preuve de flexibilité et s’est entouré de personnalités controversées. Surtout, il s’est obstiné à protéger les membres de son camp d’une justice qu’il était justement censé restaurer suite aux exactions de son prédécesseur. Lui, l’ancien procureur incorruptible porté au pouvoir pour avoir défendu l’indépendance de la justice, aura utilisé tous les moyens pour éviter toute enquête contre son épouse, bien qu’étant impliqué dans une série de scandales.
Hormis lorsqu’il chante à la Maison Blanche, Yoon ne cherche pas vraiment à plaire ou à se complaire dans le populisme, n’hésitant pas à se lancer à corps perdu dans des réformes aussi délicates que nécessaires, comme en matière de santé. À part entière aux côtés des États-Unis, il a aussi investi massivement dans une défense commune avec des alliés de la région ou en faveur de l’Ukraine. La volonté de cet fonceur de réveiller la compétitivité du pays a aidé l’administration à stimuler l’innovation.
Mais ses éléments les plus conservateurs ont relégué le pays au classement de la liberté de la presse, et le rapprochement diplomatique avec le Japon s’est fait en faisant taire des causes aussi sensibles que celle des « femmes de réconfort ». Et si son prédécesseur Moon Jae-in avait poussé un peu trop loin le rapprochement avec les voisins du nord (au point d’affaiblir la sécurité nationale), Yoon a pointé le curseur vers l’autre extrême et les relations sont au plus bas, surtout depuis Kim Jong. -on a trouvé en Vladimir Poutine un moyen de contrebalancer sa dépendance à l’égard de Pékin.
En face, l’opposition a fait trop d’obstruction. Non seulement pour défendre Lee Jae-myung dans le cadre de nombreuses procédures judiciaires, mais aussi pour paralyser toute action gouvernementale, même lorsqu’il s’agit de sauver l’économie ou de défendre l’intérêt national comme dans une affaire d’espionnage. Au point que de nombreux militants de gauche ne reconnaissent plus un parti plus véritablement progressiste.
Loi martiale déclarée sans force préalable
Mais le très impopulaire Yoon doit sa défaite écrasante aux élections législatives de l’année dernière au moins autant à ses propres fautes qu’à ce torpillage total de l’opposition. Il est le premier président sud-coréen à faire face à une opposition majoritaire tout au long de son mandat – à tel point qu’elle frôle les deux tiers, donnant presque tous les pouvoirs. Sauf que Yoon Suk-yeol n’a aucune chance d’achever son mandat puisqu’il vient d’être démis par cette même assemblée, suffisamment de membres de son parti ayant rejoint l’opposition lors du second vote le 14 décembre.
Ce limogeage ne faisait guère de doute après son étonnante déclaration de la loi martiale le 4 décembre au soir. On savait que l’opposition était sur le point de forcer sa chance et de briser la dernière barrière du système judiciaire pour protéger Lee Jae-myung (et le remplacer par un juge nommé par Moon Jae-in), mais de là à déclencher l’arme nucléaire politique, le pays tout entier était abasourdi.
A commencer par le cabinet, convoqué et prévenu à la dernière minute par un président si litigieux qu’il a déclaré la loi martiale à la télévision avant même d’entreprendre la moindre action. Tout coup d’État qui se respecte déclare la loi martiale après avoir pris le contrôle des médias, de l’opposition et bien sûr de l’appareil policier et militaire. Pour le coup de Yoon, seul le ministre de la Défense était au courant, et les troupes d’élite envoyées à l’assemblée pensaient au départ qu’elles dirigeaient une opération spéciale en Corée du Nord.
Quelques minutes après cette déclaration surréaliste, il semblait déjà évident que l’opération allait être de courte durée. Le président le plus impopulaire n’avait dès le départ aucune chance d’être suivi et d’appliquer la loi martiale. Il suffisait de voir les médias attendre tranquillement à l’assemblée et les députés des deux camps arriver sans réelle résistance : à leur tête, Lee Jae-myung pour l’opposition et Han Dong-hoon pour le PPP de Yoon, qui avaient tous deux dénoncé le coup d’État du président. Il était clair qu’un vote unanime allait avoir lieu très prochainement, annulant En fait l’état de loi martiale. Un retrait confirmé peu après par Yoon à la télévision. Rideau.
Pas de tirs, pas de victimes, sauf bien sûr ce président qui se tire une balle dans le pied et donne à ses adversaires politiques une occasion incroyable de se poser en héros de la résistance. Cet épisode tragi-comique a prouvé à quel point Yoon Suk-yeol s’était déconnecté de toute réalité politique. Incapable de prendre le moindre recul sur lui-même, il s’est enfermé jusqu’au bout dans le rôle du procureur. Obsédé par l’idée de démontrer la culpabilité de sa cible, il n’a jamais su devenir un défenseur de sa propre cause, avec le jugement nécessaire pour se critiquer. Il n’a jamais pu apprécier réellement la situation ni les perspectives désastreuses de sa décision.
L’histoire du coup d’État de Chun
Alors pourquoi cette folie ? Yoon l’a justifié par la dérive dictatoriale de l’opposition parlementaire, des risques évidents et imminents pour la sécurité nationale, la mise en danger de l’économie, une trahison en faveur de la Corée du Nord, ou encore une atteinte à l’intégrité des élections.
Il n’y a pas que de la paranoïa : il est vrai que l’opposition a modifié les rapports de force et qu’elle était sur le point d’abuser à nouveau du sien pour faire basculer complètement la justice dans son camp, qu’une minorité d’extrémistes soutient Pyongyang et que les législatives les blocages coûtent très cher à la compétitivité et à la sécurité du pays : le rejet d’un projet de loi a permis à un espion pris en flagrant délit de ne pas être poursuivi. Mais si quelques incidents inquiétants ont bel et bien entaché l’élection présidentielle de 2022 sans en modifier le résultat, le score de 2024 semble cohérent avec les tendances constatées dans les sondages.
Quoi qu’il en soit, décréter la loi martiale n’est absolument pas la manière pour un président étroitement élu et ultra impopulaire de traiter une majorité parlementaire largement élue deux ans après lui. Et surtout pas en Corée du Sud, un pays où le peuple ne permettra jamais qu’une telle chose se produise après ce qu’il a vécu, notamment sous son dictateur le plus détesté, Chun Doo-hwan, coupable d’un violent coup d’État 45 ans plus tôt presque jusqu’au jour, 12 décembre 1979 (voir le film 12.12 Le jour pour une version à peine romancée), puis déclenchant la dernière loi martiale quelques mois plus tard, au lendemain de son massacre massif d’opposants à Gwangju. D’où l’incrédulité de voir Yoon se lancer dans une opération qui dès le départ ne pouvait aboutir qu’à sa démission ou son limogeage.
Si le parti de Yoon a boycotté le vote de destitution du 7 décembre, le rendant nul en raison du nombre insuffisant de participants, il a participé à celui du 14, Han Dong-hoon ayant dénoncé le refus du président de céder le pouvoir. La grande majorité des députés de droite voteront contre, mais la destitution sera finalement adoptée par quatre voix.
Qu’est-il arrivé au jeune Yoon Suk-yeol qui a mené un procès simulé contre Chun ? Qu’est-il arrivé au procureur Yoon Suk-yeol, qui a aidé à destituer la présidente Park Geun-hye ? Un leader pathétique qui a trahi le peuple, sa mission première et sa propre mémoire.
Lee Jae-myung comme Donald Trump ?
Nous avons vu comment la trahison par Moon Jae-in de la mémoire de Roh Moo-hyun a créé la candidature de Yoon*. Aujourd’hui, le suicide politique de ce dernier offre un formidable élan à celui de son rival Lee Jae-myung, qui n’en espérait pas tant, même dans ses rêves les plus fous.
Si les caméras du monde entier braquées sur lui ne suffisaient pas, l’immense favori des sondages (désormais six fois plus d’intentions de vote que son premier poursuivant) a pris soin de « s’auto-saisir », enjambant la haie de l’assemblée le soir du déclaration de la loi martiale – ah, si Mitterrand avait eu un smartphone pour son épisode de l’Observatoire…
Personne ne semble pouvoir résister à Lee Jae-myung. Ni Han Dong-hoon, plombé par son boycott du premier vote de destitution, ni même Ahn Cheol-soo, l’un des trois seuls membres du PPP à y avoir participé, mais trop centriste pour réussir dans un pays aussi divisé. L’ambitieux maire de Séoul, Oh Se-hoon, pourrait être tenté, mais il risque de perdre son emploi et n’a aucune chance dans les sondages. Comme après le limogeage de Park Geun-hye, le PPP perdra les élections et changera de nom sans parvenir à se réformer, toujours tiraillé entre forces autodestructrices (hyperconservateurs, antiféministes, fondamentalistes, anti-LGBT, K-MAGA). alimentée par les théories du complot…).
La seule question qui importe désormais est de savoir si le très controversé Lee Jae-myung parviendra, comme Donald Trump, à échapper à la justice jusqu’aux élections.
D’une part, le conseil constitutionnel a six mois pour se prononcer. Il lui en a fallu trois pour annuler le licenciement injustifié de Roh Moo-hyun et cinq pour celui, demandé par la quasi-totalité de la population mais constitutionnellement plus discutable, de Park Geun-hye. Cela pourrait aller très vite pour (ou plutôt contre) Yoon. L’élection doit alors avoir lieu dans un délai de 60 jours. Mais l’assemblée voudra agir au plus vite pour aider Lee qui, de son côté, peut traîner six mois entre ses jugements et ses appels…
La Corée du Sud a démontré une fois de plus qu’elle reste une démocratie très dynamique, grâce à un peuple capable de tout renverser pour la défendre. Mais même après la chute de Yoon, elle n’en a pas fini avec les dirigeants à remplacer.
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À propos de l’auteur
Auteur et designer né à Paris et basé à Séoul. Observateur de la société coréenne depuis un quart de siècle, cet expert en stratégie et innovation a survécu à trois start-up avant de participer à la création de Cegetel et d’assurer la veille stratégique chez SFR. Fondateur de nombreux blogs dont SéoulVillage.com, il est également auteur de fiction et passionné d’urbanisme.