En nommant François Bayrou Premier ministre, Emmanuel Macron a choisi de placer à la tête du gouvernement le patron d’un petit parti – le MoDem – longtemps défavorisé par le mode de vote des législatives – majorité uninominale à deux tours. Tout au long de sa carrière, le maire de Pau a farouchement défendu l’instauration de la représentation proportionnelle. En mars dernier, il jugeait encore “cette question (comme) vitale pour l’avenir de la démocratie française”.
Pour ses défenseurs, ce mode d’élection permettrait une meilleure représentation des plus petites forces politiques, et« assurer un meilleur sentiment de représentativité des citoyens, fondé sur une plus grande adéquation entre le vote et la composition de l’Assemblée »décrit Benjamin Morel, constitutionnaliste, tout en rappelant que les enquêtes d’opinion montrent systématiquement une préférence des Français pour ce mode de vote.
À tel point que dans presque toutes les campagnes présidentielles, les candidats, même ceux des grands partis, en ont fait la promotion. François Hollande en 2012, rejoint dans la foulée par Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron, déjà en 2017, puis de nouveau en 2024. Et pourtant, cela n’a jamais été fait – depuis 1986. Mais il est aujourd’hui l’ambassadeur en chef de ce système qui est à la tête du gouvernement. Alors les choses peuvent-elles changer ?
Les positions sur les formes proportionnelles ont évolué
Lorsque la question se pose, il faut d’abord savoir de quel type de proportionnelle on parle. Intégrale, mesurée, avec un seuil de 5% ou 12%, départementale… ? “Il existe 50 formes de proportionnelle”se souvient Benjamin Morel.
François Bayrou lui-même a changé de périmètre au fil des années. En 2007, il prônait ainsi l’élection de la moitié des députés. Cinq ans plus tard, seul un quart était concerné. La position de son parti oscillait alors entre la fixation d’un seuil à 5 % des voix et une candidature départementale, se cantonnant jusqu’à récemment aux contours flous de“une dose importante”.
Le RN, de son côté, plaide désormais pour une proportionnelle « prime majoritaire ». Ce qui signifierait, selon la conception de son leader, que le vainqueur de l’élection remporterait automatiquement un tiers des sièges, tandis que le reste de l’Assemblée serait partagé proportionnellement aux scores obtenus. Il y a quelques années, Marine Le Pen avait fait campagne pour la représentation proportionnelle intégrale, arguant qu’elle n’était pas suffisamment représentée. Certains pourraient y voir une coïncidence fortuite avec l’évolution des résultats électoraux du parti.
Un débat soumis à la stabilité du nouveau Premier ministre
Pour opérer un tel changement, François Bayrou a appelé à un référendum sur le sujet en 2021. Pas nécessaire d’un point de vue juridique, une simple loi peut changer notre mode de vote. Un projet ou une proposition de loi pourrait aussi se retrouver au cœur des négociations politiques et de la négociation du fameux « accord de non-censure » avec le Parti Socialiste (PS).
Car en juillet dernier, Boris Vallaud, chef de file des députés socialistes, semblait favorable à ce changement. “C’est une des choses que nous pouvons mettre sur la table”a-t-il assuré sur Franceinfo. Mais tous les cadres du parti du poing et de la rose n’affichent pas le même enthousiasme. En 2019, Olivier Faure, premier secrétaire socialiste, s’inquiétait de ce mode de vote : « Les groupes minoritaires feraient la loi […] un jeu extrêmement dangereux, car parfois aussi antidémocratique. »
A droite aussi, les positions pourraient être remises en question. Membre d’un parti historiquement opposé à la disparition de la majorité à deux tours, Michel Barnier, alors devenu Premier ministre, a annoncé en novembre dernier avoir confié au politologue Pascal Perrineau un mandat de ” travail ” sur le sujet.
Une solution à l’impasse politique ?
Avec les élections législatives, le vent semble tourner. Beaucoup y ont vu une manière de résoudre le problème de blocage politique lié à la tripartition, en promouvant une certaine culture du compromis, comme chez nos voisins italiens.
Thomas Ehrhard, maître de conférences en sciences politiques à Paris-II-Panthéon-Assas, affirme néanmoins qu’un changement de paradigme “ne résoudrait pas ce problème”. Pour quoi ? Parce que « La proportionnelle n’est pas un mode de gouvernement, mais un mode de répartition du nombre de voix en nombre de sièges. Ni plus ni moins ». Bref, cela ne permettrait pas plus que le vote majoritaire de faire émerger une majorité politique dans le contexte actuel, le compromis «résultant uniquement de luttes de pouvoir».
Et ironiquement : si le débat sur ce changement a refait surface en raison d’un blocage politique, c’est ce même contexte qui pourrait empêcher qu’il ait lieu. “Il y a une apparence de convergence, mais dans les modalités, ils ne sont pas d’accord, insiste le chercheur. Il y a déjà eu des contextes politiques et institutionnels plus favorables, avec une majorité, comme en 2017, et cela n’a pas été fait.»
Ceci, tandis que “le pays présente d’autres urgences, comme la réduction de la dette et le vote du budget”continue-t-il. Un calendrier très serré, certes, mais également soumis aux choix des impératifs du nouvel exécutif. Et dans ce domaine, dès son quatrième jour à Matignon, le nouveau Premier ministre a prouvé qu’il était capable de bousculer les priorités communément admises.