Une pétrochimie européenne plus vertueuse grâce au gaz de schiste américain ?

Une pétrochimie européenne plus vertueuse grâce au gaz de schiste américain ?
Une pétrochimie européenne plus vertueuse grâce au gaz de schiste américain ?

L’annonce récente de la construction d’un nouveau craqueur d’éthane par INEOS dans le port d’Anvers a suscité un grand intérêt dans la presse. Cette nouvelle est particulièrement encourageante, car elle démontre qu’une entreprise privée et innovante croit fermement en l’avenir de l’industrie chimique dans l’UE.

Ce projet, baptisé « Project ONE » (1), représente un investissement majeur de plus de 3 milliards d’euros et constitue l’initiative la plus importante du secteur chimique européen depuis une génération. Dans un contexte où l’industrie chimique est souvent critiquée, il est juste de rappeler à quel point notre monde moderne dépend de ses produits, du plastique au textile, en passant par les médicaments et les matériaux de construction.

Un cracker est une installation industrielle complexe utilisée pour « craquer » ou décomposer des molécules d’hydrocarbures plus lourdes en molécules plus légères et plus utiles, notamment l’éthylène. Le fonctionnement d’un craqueur repose sur la consommation d’énergie, car le processus est endothermique et nécessite une quantité importante de chaleur, généralement générée par la combustion de combustibles fossiles. La température à l’intérieur du cracker peut atteindre environ 700-950°C. De plus, des catalyseurs spécifiques à base de matériaux sont utilisés pour réduire l’énergie d’activation requise pour la réaction, ce qui améliore l’efficacité du processus.

L’importance stratégique de l’éthylène dans l’industrie moderne

La construction de nouveaux craqueurs dans l’Union européenne est arrêtée depuis 25 ans, principalement en raison des coûts élevés et des réglementations environnementales strictes, mais aussi de l’opposition sans fin des ONG qui conduit les militants à s’opposer à tout projet présenté par l’industrie chimique. Cette pause a placé l’industrie chimique européenne dans une situation désavantageuse face à ses concurrents américains, chinois et moyen-orientaux qui ont continué à investir massivement dans de nouvelles installations plus efficaces.

Traditionnellement, l’éthylène était produit à partir du naphta, une fraction légère du pétrole brut obtenue lors du raffinage. Le naphta est un mélange complexe d’hydrocarbures qui, lorsqu’il est chauffé à très haute température en présence de vapeur, se décompose pour former de l’éthylène, mais aussi du propylène ainsi que d’autres produits chimiques de base, mais aussi du coke indésirable. Ce procédé produit une gamme plus large de sous-produits, le rendant moins sélectif pour l’éthylène.

L’éthylène est un composé chimique d’une importance centrale pour l’industrie moderne. Il s’agit de la plus grande quantité de produits chimiques organiques produits dans le monde. Il sert de matière première pour la fabrication d’une large gamme de produits, notamment le polyéthylène (le plastique le plus couramment utilisé), l’oxyde d’éthylène (utilisé dans les antigels et les détergents), le chlorure de vinyle (pour le PVC) et l’éthylbenzène (précurseur du styrène et du polystyrène, isolant majeur des habitations). Sous forme d’éthylène glycol, il est utilisé dans la production de polyéthylène téréphtalate pour fabriquer des bouteilles d’eau recyclables. La demande mondiale d’éthylène continue de croître, tirée par l’urbanisation et l’augmentation du niveau de vie dans les pays en développement.

La révolution des gaz de schiste et son impact sur la pétrochimie

La révolution du gaz de schiste aux États-Unis a profondément transformé le paysage énergétique et pétrochimique mondial. L’extraction massive de gaz de schiste a non seulement fourni une source abondante de gaz naturel – ce qui a bouleversé la géopolitique énergétique au point de permettre les accords d’Abraham – mais aussi d’éthane, un composant du gaz naturel. . L’éthane s’est avéré être une matière première plus efficace pour la production d’éthylène que le naphta traditionnellement utilisé. La structure moléculaire de l’éthane (C2H6) est déjà très proche de celle de l’éthylène (C2H4), ce qui rend sa conversion plus simple et plus sélective, car contrairement à la production à partir du naphta, comme on vient de le voir, il y a moins de production de sous-produits et de coke. Le rendement est donc meilleur et plus économique.

Grâce à la production de gaz de schiste au Texas, le nouveau craqueur INEOS d’Anvers sera à la pointe de la technologie, intégrant plusieurs innovations pour améliorer son efficacité énergétique et son bilan environnemental. Parmi ces innovations, on peut citer l’utilisation de fours de craquage de dernière génération et de systèmes avancés de récupération de chaleur. Ces améliorations permettront au cracker INEOS d’émettre moins de la moitié du CO2 par rapport aux installations les plus propres de l’UE.

La réaction chimique pour produire de l’éthylène à partir d’éthane peut être représentée par l’équation suivante :

C2H6 → C2H4 +H

Cette réaction, appelée déshydrogénation, produit non seulement de l’éthylène, mais aussi de l’hydrogène comme sous-produit. Il s’agit d’un aspect crucial du processus, car l’hydrogène lui-même est un produit chimique très important pour l’industrie chimique et pétrochimique.

Innovations technologiques et production d’hydrogène

Conscient de la valeur de cet hydrogène coproduit, INEOS envisage de construire un réseau d’hydrogène dans le complexe pétrochimique du port d’Anvers. Ce réseau permettrait de valoriser ce sous-produit à haute valeur commerciale, en le distribuant à d’autres installations industrielles qui pourraient l’utiliser comme matière première.

Dans le but de paraître plus écologique et de répondre aux préoccupations de décarbonation imposées par l’UE, INEOS prévoit de brûler une partie de cet hydrogène pour alimenter le processus de craquage. Cette approche se présente comme un moyen de réduire l’empreinte carbone du cracker, dans un contexte où la réduction des émissions de CO² est devenue une obsession pour de nombreux acteurs industriels et politiques.

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Mais il s’agit d’une double aberration chimique. L’hydrogène est une ressource précieuse avec de nombreuses applications à forte valeur ajoutée dans l’industrie chimique et ailleurs. sa fabrication émet également du CO². Le brûler uniquement pour produire de la chaleur est un gaspillage de ressources coûteuses, pour un bilan CO² nul. Pour reprendre une expression que j’ai développée dans mon livre « The Hydrogen Utopia », brûler de l’hydrogène équivaudrait à brûler un sac à main Louis Vuitton pour se réchauffer – une utilisation peu judicieuse d’un produit de grande valeur.

Compétitivité et pragmatisme : les clés de l’avenir industriel européen

En conclusion, le projet de craquage d’éthane INEOS à Anvers illustre parfaitement comment la révolution des gaz de schiste, que l’Union européenne a refusée sur son territoire au motif de contrevérités écologiques, transforme l’industrie chimique mondiale. Les producteurs américains de gaz de schiste et les sociétés pétrochimiques qui en profitent réalisent des profits extraordinaires et ont changé la géopolitique de l’énergie grâce à cette nouvelle source d’énergie et de matières premières bon marché. Pendant ce temps, l’industrie chimique européenne est au bord de l’effondrement…

Le projet INEOS démontre qu’il est possible de concilier innovation industrielle, efficacité énergétique et création de richesse. Il souligne également l’importance de maintenir une vision positive du développement industriel, prenant en compte à terme la rentabilité économique. S’il s’avère plus économique d’utiliser l’éthane produit au Texas plutôt que le naphta issu de la distillation du pétrole, un industriel avisé, capable d’analyser lucidement les enjeux géopolitiques de l’énergie, saura naturellement orienter ses choix stratégiques en conséquence. C’est ainsi que nous préservons la compétitivité de l’industrie européenne face à une concurrence mondiale de plus en plus féroce.

En fin de compte, ce projet nous rappelle que la durabilité industrielle ne se mesure pas par les émissions, mais par la capacité d’une entreprise à rester compétitive sur le marché mondial grâce à l’innovation, d’autant plus que l’UE émet moins de 7 % des émissions mondiales de CO₂.

L’industrie chimique, loin d’être un simple pollueur, joue un rôle fondamental dans le développement de solutions techniques avancées. Qu’il s’agisse de matériaux techniques avancés pour l’industrie automobile, d’isolation performante pour les bâtiments ou encore de recyclage des plastiques, ces innovations contribuent à la fois à l’efficacité économique et au progrès technologique. Cet exemple rappelle la forte synergie qui existe entre la politique énergétique et l’industrie chimique, puisque le succès de ce projet innovant de cracker résulte de l’innovation dans la production de pétrole et de gaz de schiste aux États-Unis.

L’innovation permet de maintenir une industrie forte, créatrice d’emplois et de valeur ajoutée, tout en s’adaptant aux évolutions des marchés et aux contraintes géopolitiques. C’est cette approche pragmatique, plutôt qu’une focalisation excessive sur les erreurs de l’écologie politique, qui garantira la survie et la prospérité de l’industrie européenne face à une concurrence mondiale de plus en plus féroce.

(1) https://www.ineos.com/businesses/ineos-olefins-polymers-europe/project-one-groundbreaking/

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