Bertrand Blier est décédé lundi 20 janvier à l’âge de 85 ans. Les réponses grossières du maître de la provocation sont-elles encore valables aux yeux d’un jeune critique ? Revue du commerce de détail à l’ère post-#MeToo.
Par Augustin Pietron-Locatelli
Publié le 21 janvier 2025 à 12h53
Qorsque nous avons la vingtaine et que nous sortons en salles depuis le début des années 2010, le pape de la subversion moderne est Gaspar Noé. Mais l’aura provocatrice et grossière de Bertrand Blier le précède. Nous avons entendu à de nombreuses reprises le réplique de Valses, tous deux sous sa forme courte – « Est-ce qu’on n’est pas bien ici ? » – uniquement dans son intégralité, avant de découvrir le film à la télé. La férocité d’un Noé repose en grande partie sur l’esthétique ; avec Blier, le diable est dans les dialogues.
Ça provoque, ça provoque : un festival de réponses incendiaires. Dans Tenue de soirée (1986), Depardieu a une série de bons mots toxiques : “fagot” éclatent à un rythme obsessionnel. Mais plutôt que de dresser un portrait de l’homosexualité à coups de hache, il s’agit avant tout de s’attaquer à toutes les couches de la société. C’est souvent méchant, parfois facile, jamais stupide. La cruauté gratuite de Acteurs (2000) devient ludique : chacun (Arditi, Brialy, Rich et une quinzaine d’autres, dans leurs rôles) joue au slumming, se réjouissant de sa grossièreté feinte. Et dans un monologue intemporel, Delon résume le métier.
-Son documentaire est tout aussi génial Hitler, je ne sais pas !. Un premier film sorti cinq ans avant Mai 68, immédiatement interdit aux moins de 18 ans. Une leçon de montage : onze jeunes, des jeunes mamans aux garçons à papa, racontent leurs malheurs et se répondent sans s’être croisés sur le tournage. N’étant plus véritablement subversif aujourd’hui, le film reste un formidable document d’archives sur le l’air du temps alors. Dans leurs propres rôles, ces jeunes font mieux figure que le personnage d’Anouk Grinberg dans Un, deux, trois, soleil (1993), dont la frénésie rebelle sonne un peu faux.
Seulement le son Calme (1976) reste inregardable. Inexcusable, il l’était déjà lors de sa sortie, après enquête auprès de collègues susceptibles de l’avoir vu au XXe siècle. Marielle et Rochefort, pour qui la gent féminine mènerait (sous condition) une vie dure, connaîtraient une sorte d’inversion et subiraient alors (toujours sous conditions) ce qu’endurent les femmes. Très vite, le film ne sait plus quoi raconter et s’enlise dans sa misogynie. Et son « usine à viol », punition des deux voyous, n’est pas tant subversive que très ignoble. Rétrospectivement, Blier semble en être conscient et s’en excuse sans s’excuser : « Le scénario était bon, mais je n’avais pas […] ni l’argent ni les acteurs [pour le réussir]. »
“Qu’il est bête, C’Blier”, jette un de ses Acteurs. La propension des femmes à se retrouver déshabillées est sans doute un peu plus importante chez Blier que chez ses collègues. Pour ses dialogues, la principale erreur du cinéma français vise généralement correctement. Appuyez là où ça fait mal. Et appuie à nouveau derrière. Son ironie n’a pas de date d’expiration, tant que l’écriture suit.