Le photographe italien décédé le 13 janvier à l’âge de 82 ans laisse derrière lui des photographies chocs pour la marque Benetton qui ont marqué l’histoire de la mode.
Si la mode a toujours été une histoire de création et de transgression, certains comme Oliviero Toscani en ont fait leur marque de fabrique. Son héritage est évidemment marqué par sa collaboration avec Luciano Benetton, le fondateur de la marque Benetton, débutée au début des années 1980. En 1986, il déclenche sa première polémique avec l’image – toujours malheureusement d’actualité – de deux adolescents israéliens et palestiniens tenant un globe dans leurs mains. À partir des années 1990, presque toutes les campagnes de Benetton ont déclenché une polémique dont on a parlé dans les journaux télévisés et dans les cours d’école : le jeune homme sur son lit de mort, décédé du sida en 1992 ; les vêtements tachés de sang d’un soldat retrouvés sur un champ de bataille en Bosnie, ou encore les trois cœurs « Hearts » identiques mais associés à une couleur (blanc, noir, jaune). Dans le documentaire « Fashion Scandals», Loïc Prigent revenant sur la publicité du baiser entre une sœur et un prêtre en 1991 qui avait fait dire à un passant : « Je ne vois pas l’intérêt de choquer les gens pour vendre des pulls ! »
En 2015, le photographe nous accordait une interview alors qu’il exposait des photographies d’hommes et de femmes de toutes morphologies sur le parvis de la gare Saint-Lazare à Paris.
LE FIGARO. – Depuis vos débuts dans la photographie de mode dans les années 60, avez-vous le sentiment que les clichés ont évolué, que certains tabous sont tombés ?
Oliviero TOSCANI. – Tu sais, j’ai photographié la première couverture de Elle nous avec un mannequin noir, Alek Wek, en 1997. Les tabous mettent du temps à tomber… Aujourd’hui, j’ai plutôt l’impression que les femmes n’ont jamais été aussi harcelées par l’obligation d’être belles… même les belles femmes. Ils se conforment à une beauté étroite. Nous vivons dans une société qui admet la discrimination physique. Regardez les magazines féminins : ils sont réalisés par des femmes qui habillent leurs modèles, comme elles habillent leurs poupées. Regardez leur Une : il y a toujours un de ces titres, régime, orgasme, médecine esthétique… Pourquoi ? Vendre des complexes.
Quelles femmes aimez-vous photographier ?
Il faut avant tout trouver des personnalités qui s’acceptent telles qu’elles sont. Il est impossible de trouver une belle femme si elle ne s’aime pas. Dans mon métier, j’ai toujours travaillé avec des mannequins qui débutaient. Photographier des ouvriers du mannequin ne m’intéresse pas, une personne trop photographiée devient vide. Mais vous, les femmes, semblez aimer ces visages vides ! Moi, plutôt que de contacter des agences de mannequins avec des critères aussi formatés, j’ai toujours préféré repérer mes modèles dans la rue. Ce qu’on appelle bêtement dans la mode, du casting sauvage comme si on était au zoo. C’est simplement du casting de rue. Je collabore depuis longtemps avec Brice Compagnon (directeur de casting influent dans la presse et le luxe, NDLR) avec cette idée de choisir des looks, des personnalités, du charisme plutôt que de la plasticité.
La mode vous intéresse toujours ?
Je continue de shooter pour les magazines féminins, toujours avec un certain second degré. Le problème de la mode actuelle vient de son manque d’audace et de liberté. Le marketing a pris le pas sur la créativité. Autrefois, la mode influençait les comportements sociopolitiques. Il y a cinquante ans, la minijupe faisait plus que bien des livres dits militants pour l’émancipation féminine. Pourtant, aujourd’hui, ce sont les grandes marques qui conditionnent la rue et la presse en s’intéressant peu à l’individu… Pourquoi continuer la photographie de mode ? Quand on est reporter de guerre, pourquoi continuer, parce qu’on aime la guerre ?