l’essentiel
NEOM, la ville futuriste à 500 milliards de dollars voulue par Mohamed ben Salmane, accumule les difficultés.
Les images raffinées d’un paradis terrestre ensoleillé, luxueux, ultramoderne et technologique, modèle de développement respectueux de l’environnement, ont inondé le Web et fasciné la planète. Mais dans le désert saoudien, à deux pas de la mer Rouge, le projet urbain le plus ambitieux jamais imaginé est sur le point de passer du rêve au cauchemar.
NEOM, cette ville futuriste estimée à 500 milliards de dollars, cristallise, en fait, toutes les contradictions du royaume wahhabite en pleine transformation. Entre démesure architecturale et polémiques sociales, ce projet pharaonique, pierre angulaire de la Vision 2030 portée par le prince héritier Mohammed ben Salmane, peine aujourd’hui à convaincre.
Annoncé en grande pompe en 2017, NEOM se veut une vitrine technologique : des voitures volantes, des robots domestiques, une plage de sable phosphorescent et même une lune artificielle. Au cœur du projet, The Line, ville linéaire de 170 kilomètres de long, entièrement alimentée par les énergies renouvelables, devrait accueillir neuf millions d’habitants d’ici 2045. Un défi architectural vertigineux qui soulève de nombreuses questions techniques.
Mais derrière les infographies soignées et les promesses d’un avenir radieux, la réalité du chantier est plus sombre. Selon les récentes révélations du Wall Street Journal, le site qui emploie près de 100 000 ouvriers est le théâtre d’une situation sociale alarmante. Accidents mortels, violences, suicides… Les conditions de vie précaires des ouvriers rappellent les polémiques qui ont entouré la construction des stades de la Coupe du monde au Qatar.
Une situation sociale alarmante
Les difficultés ne s’arrêtent pas là. Malgré la manne pétrolière, le royaume peine à financer ce projet titanesque. Les investisseurs privés, bien que courtisés, restent prudents face à un business plan jugé risqué. Le départ précipité en 2023 du directeur général Nadhmi al-Nasr, en poste depuis 2018, n’a fait que renforcer les doutes sur la viabilité du projet.
NEOM cristallise également les tensions politiques qui traversent le royaume. Pour ses détracteurs, ce projet incarne les dérives autoritaires du prince héritier. L’expulsion des tribus bédouines qui occupaient ces terres depuis des générations a particulièrement suscité une vive émotion. En 2020, la mort d’Abdul Rahim al-Huwaiti, opposé à son déplacement forcé, est devenue le symbole de la répression.
Mais pour Mohammed ben Salmane, NEOM représente bien plus qu’un simple projet immobilier. C’est l’incarnation de sa vision de moderniser le royaume et de réduire sa dépendance aux hydrocarbures. Une vitrine destinée à attirer les investisseurs étrangers et à diversifier l’économie saoudienne.
Mais à l’heure où le pays est confronté à un déficit budgétaire croissant, la pertinence d’un tel investissement pose question. Et huit ans après son lancement, NEOM reste un projet aux contours flous. Si les travaux avancent, notamment sur The Line, le calendrier initial semble déjà compromis et le rêve d’une Silicon Valley dans le désert se heurte aux réalités économiques et sociales d’un pays en pleine transformation.
Cette situation ne surprend pas le journaliste toulousain Clarence Rodriguez*, spécialiste de l’Arabie saoudite et qui fut correspondant pendant 12 ans à Riyad. « Ce projet ne s’adresse pas directement aux Saoudiens, c’est-à-dire qu’il ne représente absolument pas l’Arabie Saoudite », observait-elle récemment dans l’émission « Le sous des images » d’Arte.
« Mohammed ben Salmane fait diversion »
“Ce qui m’a frappé [dans les vidéos promotionnelles] c’est l’omniprésence de ces femmes longtemps recluses, reléguées dans des foyers et on ne les voyait pas sur le devant de la scène. Sauf que ce ne sont pas des Saoudiennes », constate Clarence Rodriguez.
« A travers ces vidéos, le prince Mohammed ben Salmane voulait en réalité séduire, flirter avec les investisseurs internationaux. Il veut montrer que l’Arabie Saoudite est sur la voie de la modernité. Mais Mohamed ben Salmane fait diversion. « Je ne parle pas des droits de l’homme, de tout ce qui touche l’Arabie saoudite, y compris le chômage qui touche de nombreux Saoudiens », a-t-elle déclaré.
Derrière l’utopie se cache une réalité implacable.