Isabelle Carré, on vous voit souvent dans des films sur les couples. Et justement, comment crée-t-on un couple de cinéma ?
Isabelle Carré: Honnêtement, je n’avais pas du tout réfléchi à cette question. Je voulais simplement travailler avec François Damiens. Je me souviens qu’après le tournage des Émotifs Anonymes avec Benoît Poelvoorde, il y a quinze ans, j’ai rencontré François et il m’a avoué qu’il était lui-même très émotif. La façon dont il l’a dit m’a touché et, surtout, j’ai vu dans son regard qu’il était sincère. Ensuite, j’ai vu beaucoup de films dans lesquels il joue, et je savais que nous allions nous connecter dans l’échange, que ce serait fluide, généreux, que nous serions ouverts l’un à l’autre. Et effectivement, dès les premières répétitions, c’était fantastique. J’aime son jeu, toujours surprenant, jamais conventionnel, très ouvert, très perméable.
François Damiens, êtes-vous vraiment si émotif ?
François Damiens: Oui, bizarrement, je suis très émotif. Quand j’arrive quelque part, je suis souvent mal à l’aise. Je dis bonjour plusieurs fois à la même personne, je suis complètement hors de propos. J’ai une aversion pour les cocktails gênants. Nous n’avons jamais rien à dire. J’ai donc en stock des phrases toutes faites comme « C’est génial ce qui t’arrive ! ».
Le problème c’est que je me suis trompé de personne. Mais ce n’est pas grave, ça passe et, au final, ça brise le mal-être.
Vous aussi, vous aviez envie de travailler avec Isabelle Carré depuis un moment ?
FD : Oui, Benoît Poelvoorde m’a dit qu’elle était une actrice exceptionnelle. Habituellement, les réalisateurs choisissent les duos, mais ici c’était une évidence, d’autant que le film était particulièrement sensible. Si ça ne marche pas entre deux acteurs, c’est une vraie difficulté mais, là, ça s’est tout de suite bien passé.
Votre approche change-t-elle lorsque vous incarnez des personnages plus exubérants dans les comédies ?
FD : Oui. Ici, il fallait jouer un rôle plus profond, avec beaucoup de défauts intérieurs. Cela demande beaucoup plus d’investissement et de concentration. Agnès de Sacy, la réalisatrice, met en scène de manière très précise. Ce n’est pas un rôle que l’on peut jouer à moitié. Il faut y être, sincère, sans trop exagérer. C’est délicat. J’ai donc longuement parlé avec elle et appris des détails sur son père – dont mon personnage s’inspire – pour comprendre le rôle. J’ai aussi essayé de ne pas surjouer. Le but était d’être le plus malléable possible.
Et pour vous, Isabelle Carré, interprète la mère d’Agnès de Sacy. Était-ce spécial ?
CI : C’est une grande responsabilité. Mais Agnès nous a permis de nous éloigner. Par exemple, elle m’a fait colorer mes cheveux en rouge et les onduler, ce qui était un signe pour nous dire que nous pouvions nous approprier ces personnages.
« La Fille d’un grand amour » se déroule dans les années 1990. Une époque qui semble à la fois proche et lointaine, notamment en termes de tolérance…
FD : Oui, c’est fou de voir que les thérapies de conversion ont été interdites récemment, en 2022. C’est encore très frais. Mais ces thématiques, et notamment l’évolution de la tolérance, me semblent essentielles. Nous devons préciser que l’orientation sexuelle n’est pas un choix.
CI : C’est impressionnant de voir que, malgré le temps qui passe, il y a encore des gens qui n’arrivent pas à accepter certaines réalités. C’est révoltant.
Dans le film, les retrouvailles entre la mère et le père partent d’un documentaire filmé par leur fille. Pensez-vous qu’un objet cinématographique a vraiment le pouvoir de changer des vies ?
CI : Oui, un documentaire peut changer votre vie. Par exemple, là-bas, nous apprenons des choses sur nos parents que nous n’avions jamais soupçonnées. Le film invite le spectateur à voir leurs ancêtres sous un autre jour, à les considérer comme des êtres humains, avec des émotions, des défauts, des pulsions, et non seulement comme des figures parentales.
FD : Il peut également y avoir un impact sur les parents, comme le montre le film. Le documentaire leur permet de renouer avec leur passé, leur vérité et de réévaluer leur propre histoire.
Le film aborde également des thèmes comme l’amour et le désir. Ces thèmes vous ont-ils particulièrement marqué ?
CI : Oui, le film montre que l’amour n’est pas toujours parfait. Ce n’est pas un conte de fées. Ce qui est beau, c’est de voir que l’amour peut exister même avec ses paradoxes et ses zones d’ombre. C’est un message puissant.
FD : Et il n’existe pas un seul type d’amour. Il y a l’amour passionné, mais aussi celui qui résulte du compromis, de la résilience. Ce film montre que l’amour peut être imparfait, mais il peut aussi être profond et sincère. On le voit aussi dans la scène du mariage, un acte qui peut aussi être un mélange d’amour et de compromis. Tout n’est pas rose, mais c’est ce qui fait sa beauté.
Révision des tarifs
Histoire
Ana (Isabelle Carré) et Yves (François Damiens) se sont aimés passionnément puis se sont séparés
taillé. Des années plus tard, leur fille, Cécile (Claire Duburcq), réalise un documentaire sur leur rencontre. Ils se retrouvent à cette occasion. Encore marqués par leur amour passé, ils vont alors chercher le moyen de revenir l’un vers l’autre…
Notre avis
Scénariste principalement connue pour ses collaborations sur les films de Valeria Bruni-Tedeschi, Agnès de Sacy passe du temps derrière la caméra le temps d’un film personnel, alors qu’elle revient sur l’homosexualité de son père, qu’elle a apprise sur le tard. Certains éléments sont modifiés, pour mieux coller à la fiction, mais son point de vue, celui de montrer un quinquagénaire, encore contraint de vivre avec ce secret dans les années 1990, donne le ton de ce drame intimiste.
La nouvelle cinéaste aborde ce sujet avec tact, en se concentrant sur la relation complexe de ses parents, séparés.
marié avant de se remarier plusieurs années plus tard. En séparant l’amour du désir, elle pose une réflexion intéressante sur les sentiments et leur évolution au fil du temps. Les solides interprétations d’Isabelle Carré et de François Damiens, qui nous font ressentir, avec beaucoup de retenue, toutes les fissures et blessures d’Yves, apportent une certaine tendresse à cette proposition. Leur alchimie est remarquable. De quoi compenser un manque de romantisme et le fait qu’Agnès de Sacy manque parfois de recul pour apporter certaines nuances.
> By Agnès De Sacy (France/Belgium). With Isabelle Carré, François Damiens, Claire Duburcq…Drama comedy. 1:34 a.m.