Toujours le joueur
Steven Spielberg fait partie de ces rares grands cinéastes, avec Michael Mann et David Lynch, qui n’ont pas perdu au fil du temps un peu de la vivacité et de la passion de sa mise en scène. Si le spectaculaire et le virtuose Prêt Joueur Un, Documents du Pentagone et Histoire du côté ouest furent de brillants témoins, Les Fabelman ne fait pas exception à la règle. Prise de vue aérienne, transitions musicales fluides, montage rythmé et ellipses astucieuses rythment une histoire et une réalisation d’une clarté toujours impressionnante de la part du cinéaste.
Comme presque tous les films de Steven Spielberg, Les Fabelman accueille son spectateur avec une évidence et une folle virtuosité discrèterendant son histoire un divertissement vivant et stimulant. Un spectacle plein de dialogues amusants et de situations comiques délicieuses qui rappellent le talent humoristique du cinéaste. En témoigne une galerie de personnages très drôles et hauts en couleurs comme le grand-oncle passionné et la petite amie très (très) religieuse.
Des protagonistes qui ne servent pas seulement de soulagement comique puisque derrière leur extravagance cache systématiquement une tendresse et une jolie sensibilité. Même les personnages de Chad et Logan se révèlent plus sensibles et nuancés que ne le suggère leur simple archétype de tyran. Les Fabelman est donc un divertissement drôle, tendre et sans cesse stimulant, incarné également par un casting particulièrement vivant.
Malgré ses 75 ans et ses près de 40 longs métrages, Steven Spielberg maintient toujours l’exigence de mettre en valeur les jeunes acteurs qui n’ont pas encore, ou commencent tout juste, à s’établir à Hollywood. C’est notamment le cas de Sam Rechner qui donne une belle densité à son rôle archétypal de Logan, de Chloe East qui est à la fois drôle et touchante dans le rôle de Monica Sherwood, et bien sûr de Gabriel LaBelle qui brille dans le rôle de Sam adolescent et jeune adulte.
Tous ces gens adorables insufflent une grande énergie Les Fabelmanqui est également renforcé par l’évolution des codes du teen movie, avec de grands élans de découverte de l’amour, des groupes d’amis heureux et de mauvais patrons de lycée. Le scénario de Steven Spielberg et Tony Kushner reprend la structure apparemment classique du film pour adolescents, mais en l’exécutant avec compétence et sincérité ce qui fait qu’il est difficile de résister au plaisir d’écrire et de réaliser qui est Les Fabelman.
Il était une fois… à Hollywood
Œuvre d’art qui n’est pourtant jamais gratuite, Steven Spielberg réussit une nouvelle fois à conjuguer avec virtuose une mise en scène organique avec un geste théorique beau et touchant. En effet, à travers d’élégants jeux d’ombres, de superbes jets de lumière et de superpositions malicieuses, Les Fabelman vient rendre un bel hommage plastique au cinéma.
L’utilisation de tout ce champ lexical de l’image projetée rend cette déclaration d’amour d’autant plus touchante et délicateen plus d’être techniquement virtuose et parfaitement visuellement stimulant. Une tendresse bien incarnée par une poignée d’images sensibles et poétiques, comme celle d’un enfant émerveillé/terrifié face à son premier écran de cinéma, ou celle de la lumière d’un projecteur qui déborde des mains d’un personnage jusqu’à travers la fente d’une salle fermée. porte.
Tout au long de la première partie du récit, Steven Spielberg met sa créativité au service de la découverte du cinéma par son protagoniste. Un geste plein de tendresse et de délicatesse qui s’incarne particulièrement lorsque le cinéaste met en scène son personnage en train de manipuler des films sur vos bandes de montage ou s’enthousiasmer pour filmer tout et n’importe quoi.
La débrouillardise et la créativité de Sam font également écho à celles de Spielberg lui-même, qui fut l’un des rares réalisateurs à avoir (ré)inventé diverses techniques cinématographiques pour mieux servir ses histoires et sa mise en scène. En filmant avec énergie et passion les débuts d’un jeune cinéphile qui réalise ses premières œuvres en découpant des trous dans la pellicule ou en recouvrant ses acteurs de papier toilette, Steven Spielberg revient aux sources de son propre art et rend un hommage émouvant à l’artisanat cinématographique.
Le cinéaste qui nous terrifiait avec juste une voiture, un acteur et un camion Duelet qui rendait le monde entier squalophobe sans presque jamais montrer le requin du Mâchoiresnous rappelle qu’il suffit d’un appareil photo et d’un peu d’ingéniosité pour véritablement créer. La sincérité et la passion de Steven Spielberg puis contaminer Les Fabelman d’une délicatesse et d’une sensibilité vraiment touchantes.
La face cachée de la Lune
Pour autant, le film ne tombe jamais dans une forme de mièvrerie ou d’admiration hyperbolique. La joie et l’exaltation de la découverte du cinéma par Sam seront même confrontées à la violence du monde, entre l’antisémitisme des lycéens californiens, la fragilité du couple parental et la difficulté d’imposer le septième art comme une véritable passion. Les Fabelman puis déployez une très jolie forme d’amertume qui contraste avec la candeur et l’incandescence de sa première partie.
Cette mélancolie touche particulièrement les parents de la famille Fabelman, brillamment incarnés par Michelle Williams et Paul Dano, qui livrent tous deux une partition d’une très belle fragilité et ambiguïté. Tout au long du film, Sam sera initié aux ténèbres du monde, la plupart du temps à travers le médium cinématographique lui-même. C’est notamment le cas lorsqu’il découvre le secret intime de sa mère en montant un film de vacances en famille.
Après avoir admis que le cinéma peut recréer une image vécue ou imaginée, Sam comprend que la caméra peut également révéler la vérité dans la réalité elle-même. Une découverte qui s’avère terrifiante pour le protagoniste qui prend immédiatement conscience de l’importance des images qu’il crée. Depuis la réjouissance des débuts, Les Fabelman passe ensuite à une très belle inquiétude centrée sur la dangerosité des images que l’on capture/peut capturer.
En témoigne le dernier mouvement du film où Sam filme le personnage de Logan, le beau lycéen qui le harcèle depuis son arrivée en Californie, en héros herculéen impressionnant. Sam dissimule, intentionnellement ou non, la noirceur et l’antisémitisme du personnage derrière le vernis de la performance sportive et du culte du corps.
Tout au long de cet arc final du film, Steven Spielberg achève ainsi l’initiation de son protagoniste en rappelant que si l’on parvient à reproduire la réalité avec une caméra et à trouver la vérité dans l’image, le cinéma peut aussi manipuler et modifier le monde qui nous entoure afin de créer votre propre vérité. Les Fabelman se retrouve alors hanté par la responsabilité des images que l’on filme et de la manière de les filmer. On découvre un Steven Spielberg comme terrifié par ce qu’il est possible de faire avec une image, doublant le film avec une très belle lucidité et une certaine dureté.
Malgré tout, l’arc du film lycéen se conclut par une véritable altération de la réalité, rappelant que les images fabriquées du grand écran peuvent encore avoir un impact positif sur le monde réel. Si une grande et belle angoisse traverse le dernier film réalisé par Steven Spielberg, elle est aussi un espoir profond et beau dans l’image et dans le septième art qui s’en dégage.