« Diaspora bond » du Sénégal, un pari pas gagné d’avance !

« Diaspora bond » du Sénégal, un pari pas gagné d’avance !
« Diaspora bond » du Sénégal, un pari pas gagné d’avance !

Par Samir Bouzidi*

La décision est inscrite dans la dernière Loi de Finances 2025, votée par le Parlement le 24 décembre ; Senega aura en ces termes « le recours aux obligations de la diaspora afin de diversifier la dette en monnaie locale ». Signe de l’avancée du chantier, le calendrier est déjà fixé avec un lancement prévu d’une première campagne avant l’été prochain ainsi que le niveau de rendement de 5% servi aux créanciers (contre 7,75% pour la dernière émission d’eurobonds). ).

A l’échelle africaine, un exercice très sélectif et périlleux…

Le Nigeria reste le premier pays africain à avoir brillamment lancé une « diaspora bond » en 2017 pour un montant de 300 millions USD. Depuis, peu de pays du continent se sont lancés dans l’aventure. Pas même le Nigeria, qui n’a pas jugé opportun de répéter d’autres campagnes, préférant s’endetter en eurobonds, pourtant très chers. (Des informations officielles nigérianes circulent néanmoins depuis cet été concernant le lancement d’un nouveau « diaspora bond » en 2025).

Sur le papier, les « diaspora bonds » ont tout pour plaire à un État africain : dette moins coûteuse, liens plus étroits avec la diaspora, souveraineté financière… En pratique, la démarche implique une procédure opérationnelle complexe et longue, à l’impact final très incertain. . L’erreur d’appréciation communément commise par les stratèges africains consiste à considérer que plus les transferts de la diaspora sont bons, plus le « lien diaspora » est nécessaire ! Ce prisme renvoie souvent à des réalités bien plus ambivalentes. Premièrement, contrairement aux souscripteurs de « diaspora bonds », ceux qui envoient massivement des fonds à leur famille sont plutôt issus des segments populaires (ouvriers, petits commerçants…), ceux qui sont partis à l’étranger justement pour subvenir aux besoins de leur famille. leurs proches.

Deuxièmement, dans le cas des « diaspora bonds », le mécanisme est nettement moins émotionnel et implique davantage de rationalités : niveau d’éducation financière de la diaspora, seuil critique de performance financière, processus de souscription, garanties… jusqu’au trust du capital dans l’État, le l’établissement émetteur et ses intermédiaires.

Même si le contexte politique a changé au Sénégal, il faut rappeler qu’en 2019, le « diaspora bond » d’un montant de 30 millions d’euros, émis par la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS), une banque dotée d’un certain réputation auprès de la diaspora, n’avait été souscrite qu’à 43% par la diaspora sénégalaise et africaine… le solde étant assuré par les institutions de la sous-région.

Déjà boosté l’épargne des Sénégalais de l’étranger…

En réalité, le premier marqueur de réussite ou non d’un futur « lien diaspora » est le taux d’épargne de la diaspora dans le pays d’origine. Or, aujourd’hui, à peine 5% des 2,94 milliards d’euros (en 2023) envoyés par les Sénégalais à l’étranger sont dédiés à l’épargne (essentiellement de l’épargne courante et donc liquide). Fort de cette réalité, l’État du Sénégal devrait également donner la priorité à une meilleure mobilisation de l’épargne bancaire de la diaspora, notamment à travers le lancement de produits dédiés plus en adéquation avec les exigences de ces clients stratégiques et les enjeux clés du développement. national (par exemple : plan d’épargne de développement régional ou plan d’épargne de souveraineté alimentaire, etc.). Aussi, compte tenu du profil de la diaspora sénégalaise, le lancement de « sukuks » (obligations conformes à l’éthique islamique) devrait être envisagé, ce qui élargirait la base d’investisseurs vers la « oumma » islamique d’Afrique. et le monde.

Les prérequis et les marqueurs de réussite d’un « lien diaspora » ?

Réussir à créer un « lien avec la diaspora » n’est pas une recette, mais il existe des marqueurs communs entre les pays qui y parviennent. L’Inde et Israël, deux champions mondiaux en la matière, fondent leurs succès sur l’intégration particulièrement réussie de leur diaspora à tous les niveaux institutionnels, sociétaux et économiques. En Inde, 30 % des IDE proviennent directement ou indirectement de la diaspora. Quant à Israël, c’est le seul État au monde construit par la diaspora.

Le Nigeria a réussi à s’ancrer au sein de sa puissante diaspora financière et entrepreneuriale aux États-Unis et au Royaume-Uni. C’est notamment grâce aux compétences et au soft power de cette diaspora financière et économique que la « diaspora bond » nigériane émise en 2017 a obtenu l’approbation de la très sélective « Securities and Exchange Commission » américaine et de son équivalent britannique, la Financial Conduct Authority. Une grande première historique pour un État africain !

Dans le cas du Sénégal et contrairement au Nigeria, il sera très compliqué de répondre aux exigences des autorités financières prudentielles en (1er pays d’accueil de la diaspora), en Italie, en Espagne… réfractaires en principe aux véhicules de mobilisation de l’épargne publique pour un pays extérieur. l’UE et en l’occurrence l’Afrique.

En substance, il faut anticiper un processus opérationnel complexe et lourd avec pour points clés : le positionnement stratégique, les actifs communs, les conditions financières, les garanties, les cibles et ancrages prioritaires, la distribution, le processus de souscription… et enfin et surtout : le capital confiance crucial pour consolider, voire réparer.

Sur le fond, tout doit être étudié avec attention et sur la forme, la règle est de co-construire avec la diaspora (notamment financière). Par exemple, la Loi de Finances 2025 prévoit de financer notamment, via le prochain « diaspora bond », la construction d’une usine de transformation de mangues en Casamance ; Selon moi, il serait certainement plus impactant en termes de proposition de valeur d’envisager plutôt la construction d’un barrage hydro-énergétique ou tout investissement structurant pour la région et le pays.

Le timing est-il bon ?

Faire rêver la diaspora tout en sachant s’impliquer et au bon moment, telle est l’équation complexe pour un Etat émetteur. Et mieux vaut ne pas repartir affaibli aux yeux et au portefeuille d’une diaspora sénégalaise aujourd’hui profondément divisée. C’est le principal enjeu du futur « diaspora bond » sénégalais, prévu pour le premier semestre 2025, moins d’un an après les échéances électorales difficiles et très clivantes de 2024.

Peut-être, comme le souligne le proverbe sénégalais « Un bon converti sera un meilleur prédicateur », est-il temps désormais de rassembler, de comprendre et d’écouter TOUTE la diaspora : une « unité diasporique » bénéfique…

About Samir Bouzidi

Ethnomarketeur & expert international en mobilisation des diasporas africaines

Entrepreneur engagé, Samir Bouzidi est le

PDG de la startup solidaire « Impact Diaspora », Promoteur du programme panafricain « Invest in diaspora ».

 
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