- Auteur, Armand Mouko Boudombo
- Rôle, Journaliste -BBC News Afrique
- Gazouillement, @AmoukoB
- Rapport de Dakar
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2 janvier 2025
Lors de leurs homélies à l’occasion de la célébration du Nouvel An, plusieurs évêques camerounais ont lancé des piques, critiquant la gouvernance de Paul Biya, alors que ce dernier se dit toujours « déterminé à servir » le pays.
Fin de l’homélie tonitruante le 1er janvier 2025 à la cathédrale de Yagoua, dans la région de l’extrême nord du Cameroun. Mgr Barthélemy Yaouda Hourgo, coiffé de sa mitre beige, ornée de décorations rouges, a l’air agité lorsqu’il se déchaîne :
« Nous n’allons plus souffrir davantage. Nous avons déjà souffert. Le pire n’arrivera pas. Même le diable, qu’il prenne d’abord le pouvoir au Cameroun, et nous verrons plus tard. »
Dès que cette déclaration devant son troupeau est terminée, l’homme de Dieu récupère ses papiers en chaire (table dédiée à l’homélie), commence à tourner le dos au public, avant de prononcer le traditionnel « amen », qui termine l’homélie.
Cette fin de discours a été vivement acclamée par l’assistance. L’extrait de cette « exhortation » de l’évêque de Yagoua est devenu viral le 2 janvier sur les réseaux sociaux au Cameroun.
Tout comme celui de l’évêque de Ngaoundéré, capitale de la région de l’Adamaoua. Mgr Emmanuel Abbo a préféré se concentrer sur « les souffrances qu’endurent les Camerounais ».
« Qu’est-ce que les Camerounais n’ont pas encore enduré ? Comment est-il possible que le malheur des Camerounais ne pousse pas les dirigeants de ce pays à mettre fin à trop de souffrances ? » demande le prélat.
Avant de poursuivre « La plus grande souffrance, c’est qu’il est interdit aux Camerounais d’exprimer leur souffrance en promettant que l’État est un rouleau compresseur, un Moulinex qui réduit en bouillie tout Camerounais qui ose exprimer sa souffrance. Qui gouvernerons-nous quand nous aurons écrasé tous les Camerounais ? »
Dans cette homélie diffusée à la télévision locale, l’évêque conclut « Nous demandons aux Camerounais d’éviter les discours de haine, mais les paroles de violence nous viennent d’en haut. »
Le Cameroun organisera une élection présidentielle en octobre 2025. Paul Biya, 92 ans dont 42 au pouvoir, n’a pas encore précisé s’il serait candidat ou non.
Cela représente l’un des défis majeurs de l’année, selon Mgr Jean Mbarga, archevêque de Yaoundé, qui, dans son homélie, a appelé l’Etat à « tout faire pour que la voix des Camerounais soit entendue ».
Hostilités lancées par Samuel Kléda
Cette explosion est partie de Douala, la capitale économique et plus grande ville du pays. Dans les médias français la semaine dernière, Samuel Kléda, l’archevêque et ancien président de la Conférence épiscopale nationale, n’a pas mâché ses mots pour appeler le président camerounais à quitter le pouvoir cette année.
« Ce que je souhaite pour mon pays (ndlr) : une transition apaisée. » Commentant l’âge du dirigeant camerounais, Samuel Kleda a déclaré : « Nous sommes des êtres humains. À un moment donné, on quitte ce monde, on ne peut pas faire de miracle. »
Ajoutant qu’une candidature de Paul Biya « n’est pas réaliste ».
Une sortie qui a fait des vagues au sein de l’opinion publique, poussant un proche du parti au pouvoir à déclarer anonymement que « Mgr Kleda se prête au jeu de feu Christian Tumi », du nom de l’unique cardinal du pays, connu pour ses positions dures. contre le régime de Yaoundé, décédé en 2021.
Paul Biya toujours « déterminé » à servir
Nos efforts pour obtenir une réaction officielle du RDPC, parti au pouvoir, sur ces sorties des évêques camerounais, sont restés vains.
Mais le leader camerounais semble tracer son sillon à l’approche des élections d’octobre prochain. S’il n’a pas encore donné sa position pour cette échéance électorale, Paul Biya n’en semble pas moins ambitieux.
Lors de son discours à la nation le 31 décembre, le dirigeant camerounais a remercié ses compatriotes pour le « soutien massif » qu’ils « ont continué » à « lui apporter durant toutes ces années », et a affirmé que sa « détermination à servir reste intacte et se renforce sur au quotidien. »
Il a décrit 2025 comme une année pleine de défis avant de se montrer optimiste. « Oui, mes chers compatriotes, nous saurons, ensemble, comme par le passé, transformer ces défis en opportunités. Et nous poursuivrons, ensemble, notre marche déterminée vers le progrès, dans la sécurité et la paix. »
Thomas Atenga, professeur de communication à l’Université de Douala, estime que la position de certains membres du clergé catholique camerounais est révélatrice de la fragmentation de « ce qu’on peut appeler le pays réel dont les évêques se disent proches et en contact avec la souffrance quotidienne des Camerounais, leurs inquiétudes, leurs souffrances ; et de l’autre côté, la classe politique qui est coupée des réalités des Camerounais.
Pour lui, l’Église catholique, en tant qu’institution forte, « n’a d’autre choix, dans les temps où nous nous trouvons, que de porter ce message de libération et de liberté. Car après 42 ans de pouvoir, il est encore temps pour les Camerounais d’expérimenter d’autres formes d’espoir, de gouvernement qui leur permettent de penser que le monde est différent de celui qu’ils ont connu ces années-là. »
Il conseille toujours la tempérance. Considérant qu’il ne s’agit pas là d’une position officielle de l’Eglise catholique camerounaise, mais celle d’une partie du clergé.
L’enseignant estime également que cette situation est « simplement révélatrice du fait » qu’au sein de cette Église en tant qu’institution elle-même, il existe aujourd’hui des lignes de fragmentation qui sont claires entre ceux qui ont choisi d’être ouvertement la voix des sans-voix, la voix des le peuple silencieux, et ceux qui continuent d’être au pouvoir, dans une forme de compromis qui est en contradiction avec les valeurs évangéliques, à savoir libérer l’homme, être du côté des opprimés, du côté des pauvres, de la veuve, de la orphelin.”