Le cofondateur du Front national, décédé ce mardi 7 janvier, s’est retrouvé, à la surprise générale, qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle de 2002. Confronté à Jacques Chirac après l’élimination de Lionel Jospin, Jean-Marie Le Pen avait alors dû faire face à une mobilisation historique contre lui. Ce moment marque aussi l’éveil politique de toute une génération.
France 2, 20 heures, le 21 avril 2002, au soir du premier tour de l’élection présidentielle. C’est avec un visage défait que le journaliste David Pujadas donne les résultats. “Jacques Chirac est qualifié pour le second tour et grosse surprise, Jean-Marie Le Pen semble être le deuxième”, commente-t-il.
Etonnement dans le monde politique comme en France : Lionel Jospin, alors Premier ministre, et qui avait déjà fait imprimer tous les tracts pour l’entre-deux tours, arrive en troisième position avec 16,12 % des voix. A sa place, on retrouve donc Jean-Marie Le Pen (16,95%) face à Jacques Chirac (19,71%).
Une qualification que personne n’a vu venir
Du côté du cofondateur du Front National, c’est d’abord l’incrédulité qui domine. Si celui que l’on surnomme le Menhir avait effectivement évoqué l’hypothèse d’une présence au second tour en 1995, sept ans plus tard, l’horizon s’est assombri.
Son mouvement sort épuisé d’une guerre fratricide contre Bruno Mégret, numéro 2 du RN, qui finit par claquer la porte en 1999 et lancer son propre mouvement. Et puis Jean-Marie Le Pen n’a guère renouvelé ses thèmes de campagne. Mêmes thèmes, mêmes résultats ? Comme en 1995 où il était arrivé en 4ème position, il multiplie les meetings contre l’immigration et l’insécurité.
Le résultat des dernières élections législatives, cinq ans plus tôt, ne laisse pas non plus grand espoir. Ces élections surprises, après la dissolution de Jacques Chirac, ont même tourné au fiasco : le FN n’a pas réussi à élire un seul député. Avec une scène qui fait tousser même les plus proches de Jean-Marie Le Pen : son agression en 1997 contre un élu socialiste des Yvelines lors d’un déplacement pour soutenir sa fille Marie-Caroline, candidate sur le territoire.
Deux ans plus tard, aux élections européennes, le FN n’arrive qu’en huitième position. Autant dire qu’une accession au second tour en 2002 paraît très improbable.
A l’exception de Bernadette Chirac qui murmurait à l’oreille de son mari qu’elle avait rencontré des Français qui lui disaient se sentir de plus en plus proches des idées lépénistes, peu de gens avaient envisagé l’hypothèse, ne serait-ce que quelques secondes, d’un match entre Jacques Chirac et et Jean-Marie Le Pen.
Jean-Marie Le Pen « ne veut pas être au second tour »
Et tant pis si la candidature de Lionel Jospin, alors Premier ministre, ne décolle jamais vraiment, entre une déclaration d’entrée en campagne par fax, un programme qui peine à inspirer et un sentiment d’insécurité qui explose et auquel il peine à répondre. . A peine trois jours avant le second tour, la violente agression contre un retraité surnommé Papy Voise à Orléans a fait le tour des médias.
Depuis son QG de campagne à Saint-Cloud, le 21 avril au soir, Jean-Marie Le Pen est donc, logiquement, abasourdi. Pas une seule fois le cofondateur du FN ne s’est imaginé à l’Élysée. Son costume de pourfendeur du « système politique et médiatique », alimenté par de nombreuses polémiques et condamnations judiciaires, lui va très bien.
Quelques jours avant le premier tour, le septuagénaire avait même déclaré au journaliste Olivier Mazerolles « qu’il ne voulait pas être au second tour ».
Lors de son discours devant les militants après l’annonce de sa qualification, l’ancien député est apparu profondément mal à l’aise. Tout en évoquant « le cadeau inattendu » que lui ont fait les Français, il a refusé de laisser ses troupes laisser exploser leur joie, leur demandant même de ne pas applaudir son discours retransmis à la télévision.
Et tant pis si ses proches exultent. “C’est fou”, confie son épouse Jany Le Pen sur France 2 le soir même. « Avec l’accouchement, ça doit être le jour le plus beau de notre vie je pense. C’est à peu près pareil, c’est la naissance de quelque chose», ajoute Marine Le Pen.
« Un front républicain sans faille » face à Jean-Marie Le Pen
Pour mettre du cœur à l’ouvrage pour les deux prochaines semaines de la campagne qui s’ouvre, Jean-Marie Le Pen appelle « les petits », « les sans rangs », « les exclus à ne pas se laisser manipuler par les vieilles astuces des politiques qui veulent garder leur petite boutique ».
Du côté des perdants du premier tour, l’hésitation était en revanche peu présente, quelques minutes après l’annonce des résultats. D’Olivier Besancenot à Christine Boutin en passant par François Bayrou, la consigne est claire : bloquer Jean-Marie Le Pen au « nom du front républicain ».
Si le monde politique comprend très vite que le président sortant sera largement réélu, une onde de choc traverse le pays. « Ce coup de foudre », comme le appelle Lionel Jospin, qui, sans hésiter, s’est retiré de la vie politique dès le soir même du premier tour, a poussé des milliers de personnes à converger spontanément vers la place de la République à Paris.
Le lendemain, c’est la Une de Libération qui servait d’étendard à de nombreux cortèges improvisés : le visage de Jean-Marie Le Pen barré d’un simple « non » en majuscules.
Plus d’un million de Français dans la rue
Plus que les appels à vaincre le Front national de ses adversaires politiques, c’est l’énorme mobilisation de la jeunesse qui frappe Jean-Marie Le Pen. Pourtant, les jeunes se sont largement abstenus dès le premier tour. Selon un sondage Ipsos, 37 % des 18-24 ans n’ont pas voté au premier tour contre 25 % en 1995.
La colère dans les rues augmente au fil des jours avec des dizaines de milliers de visages, souvent des lycéens ou des universitaires, qui déferlent dans les rues au son de « F pour Facho, N pour Nazi », « la jeunesse fait chier le Front National ». ou encore « nous sommes tous des enfants d’immigrés ».
Le 1er mai, qui est traditionnellement un jour de cortège syndical, se transforme en un immense rassemblement anti-FN. Plus de 1,3 million de personnes ont défilé ce jour-là, un chiffre historique.
Le mouvement marque aussi l’éveil politique de toute une génération. Gabriel Attal a par exemple déclaré Le Figaro Magazine ayant défilé dans la rue avec ses parents quand il avait 13 ans.
Jacques Chirac profite aussi de l’ambiance pour se renforcer politiquement. Vondiée par la gauche ces dernières décennies, sa décision de ne pas débattre contre Jean-Marie Le Pen entre les deux tours, une première depuis 1974, est appréciée par les sympathisants socialistes. Une décision que le président explique par son refus de « la banalisation de l’intolérance et de la haine ».
Le 5 mai suivant, Jacques Chirac l’emporte largement au second tour avec 82,21 %. Jean-Marie Le Pen ne parvient pas à transformer l’essai quelques semaines plus tard. Alors que la droite craint des élections législatives très compliquées, avec de multiples élections triangulaires qui permettraient au FN de l’emporter dans de nombreuses circonscriptions, la droite parvient à élire 398 députés, soit 260 de plus que sous le mandat précédent. Le FN n’élit aucun candidat.
En 2007, Jean-Marie Le Pen n’obtient que 10 % des voix avant de passer définitivement la main à Marine Le Pen en 2012.