A Mayotte, la visite tardive du gouvernement n’apaise pas les inquiétudes

A Mayotte, la visite tardive du gouvernement n’apaise pas les inquiétudes
A Mayotte, la visite tardive du gouvernement n’apaise pas les inquiétudes

Lundi 30 décembre, collège Kawéni 2, Mayotte. Deux enfants s’assoient à l’ombre d’un bloc de béton. Devant cet établissement dans lequel ils sont scolarisés, Kani et Jalal attendent patiemment l’arrivée du Premier ministre François Bayrou, de la ministre de l’Éducation Élisabeth Borne et du ministre de l’Outre-mer, Manuel Valls. “Nous voulons juste retourner à l’école”assure Kani en regardant l’arrivée des gyrophares du convoi.

Sur l’île, cette visite express est scrutée, après celle du président Emmanuel Macron il y a un peu plus d’une semaine. Dans ce collège, comme dans 45 % de ceux de l’archipel, le travail est colossal. Le 14 décembre, sous les rafales du cyclone Chido, certains murs ont été emportés par le vent, laissant apparaître les salles de classe en plein jour. Dans la cour de récréation, des tôles froissées côtoient des poutres brisées.

Des doutes sur la rentrée scolaire

Accompagnés du recteur de l’académie de Mayotte, Jacques Mikulovic, et du maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila, François Bayrou et ses ministres avancent dans les couloirs et examinent les salles, dont certaines ont été pillées après le cyclone, faute de matériel suffisant. protection. « Ventilation naturelle »ironise le recteur devant une salle de physique-chimie béante sur l’extérieur, laissant apparaître un arbre tombé et les bidonvilles à flanc de colline.

Il a annoncé aux ministres qu’hier deux jeunes ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de voler du matériel. La veille, plusieurs agents de la BAC sont intervenus à proximité du collège, en amont de la visite ministérielle. Ainsi que des ouvriers, chargés de nettoyer l’établissement pour le rendre présentable pour la rentrée scolaire prévue le 20 janvier 2025.

Valentin, professeur d’éducation physique dans un collège voisin, s’entretient quelques minutes avec le Premier ministre. A la fin de cet échange, il confie son désarroi. « Quand on voit qu’il est prévu de nous ramener le 13, je ne vois pas comment cela pourrait être possible. Tout le est encore sous le choc, on n’a vu aucune aide de l’État arriver deux semaines après le cyclone. Élisabeth Borne n’a pas visité les maisons de tôle. Il y a quelques jours, j’ai moi-même emmené une dame blessée à l’hôpital. »

Aux côtés du recteur, deux professeurs du lycée Zena Mdere de Petite-Terre sont inquiets. « Comment allons-nous faire en sorte que nos enfants retournent à l’école dans de bonnes conditions si leurs établissements sont détruits ? » Jacques Mikulovic se veut rassurant, prometteur « des rotations, pour que les élèves puissent revenir progressivement en classe ».

« Le premier point de distribution est à 5 km »

La visite est rapide, les questions sont nombreuses. Alors que les ministres s’apprêtent à partir pour l’hôpital de campagne Cavani Sud, Élisabeth Borne est interrogée par deux enseignants. Antoine, CPE au collège Kawéni 2 et Yann, professeur d’EPS, ont laissé éclater leur colère. Depuis deux semaines au lycée des Lumières, à cinquante mètres d’ici, ils organisent des distributions d’eau et de nourriture sur leurs propres fonds pour des dizaines de familles déplacées.

« Nos étudiants mouraient de faim. C’est grâce à nos actions que nous avons pu les sauver. De là, nous savons que la nourriture part du point A, mais qu’au point B personne ne la voit. »“Les gens n’étaient peut-être pas bien informés, il y avait des points de distribution”Élisabeth Borne tente de répondre. Les deux professeurs protestent d’une seule voix. « Personne n’est passé par les bidonvilles ni par nos établissements ! Le premier point de distribution est à 5 km, voyez-vous des gens faire 10 km au milieu de nulle part ? C’est dommage ! »

Devant les grilles du collège, la discussion houleuse se poursuit entre le CPE et l’ancien président de la section locale du MoDem – le parti de François Bayrou – Daniel Martial Henry. Ce dernier lui reproche de ne penser qu’aux bidonvilles. Le ton monte. « Depuis deux semaines que je distribue de la nourriture aux personnes affamées, je n’ai jamais demandé la nationalité des gens, jeAntoine s’emballe. Vous voulez mettre les choses au clair, je ne vois que des humains ! »

Reconstruire « en deux ans »

Sous les grandes tentes blanches de l’hôpital de campagne, ouvert depuis mercredi, François Bayrou rencontre les pompiers et militaires déployés sur le terrain. Ici, 200 patients sont reçus chaque jour pour décharger le principal hôpital de Mamoudzou, qui fonctionne désormais à 70 % de sa capacité. Interrogé sur le décompte officiel des morts, le Premier ministre balaye d’une phrase les rumeurs parfois folles qui circulent depuis deux semaines. L’un d’eux est allé jusqu’à évoquer le chiffre de 60 000 victimes. « Nous devons être extrêmement prudents car ces rumeurs sont infondées. » Et d’ajouter cependant : « Nous n’avons pas renoncé à dresser un bilan définitif. »

Interrogé sur le délai de reconstruction, le Premier ministre a évoqué Notre-Dame de Paris et les doutes qui planaient sur les délais de reconstruction de la cathédrale. Ici, le gouvernement se fixe un objectif, reconstruire “dans deux ans”. Si une partie des Mahorais attendent une réponse des compagnies d’assurance, sur les hauteurs, les bidonvilles repoussent à grande vitesse. Les tas de tôles ont laissé la place à de nouveaux bangas et depuis quelques jours, les centres d’hébergement d’urgence se vident peu à peu. “Il faut reconstruire, on n’a pas le choix”dit Kani, le jeune étudiant que nous avons rencontré plus tôt.

« Ne faites pas les mêmes erreurs »

Cette visite répondra-t-elle aux attentes des habitants du 101e département français ? Samedi, le président de Médecins du Monde a exhorté le nouveau gouvernement à « ne faites pas les mêmes erreurs »craignant que des milliers de personnes ne se retrouvent à nouveau dans des bidonvilles. Au risque, en cas de nouvel épisode cyclonique, de voir se répéter le terrible scénario du 14 décembre.

Au Lycée des Lumières, l’inquiétude est palpable. Les quelque 400 personnes encore présentes au centre d’hébergement d’urgence ont entendu parler de la volonté de la mairie de Mamoudzou de les faire partir d’ici le 31 décembre. Et les chefs d’établissement pourraient solliciter le concours de la force publique. “Nos parents n’ont pas reconstruit une maison en tôle, ils ont suivi les instructions et maintenant nous voulons les jeter sans qu’ils aient où aller”, se désole Yasmine, 18 ans, “tandis que nous aussi, papiers ou pas, nous avons des droits”.

____

Le plan « Mayotte debout »

Le Premier ministre a présenté son plan pour Mayotte lundi 30 décembre au terme de sa visite. Parmi les mesures :

Eau : Augmentation de la production d’eau potable de 38 000 m3 (avant Chido) à 40 000 m3 à fin juin ; création d’une deuxième usine de dessalement et d’un troisième réservoir collinaire sur l’île.

Électricité: Reprise fin janvier.

Télécommunications : Utilisation d’urgence du réseau Starlink ; déploiement de la 5G d’ici fin juin et de la fibre optique d’ici deux ans.

Ecole : Rentrée scolaire à partir du 13 janvier ; plan de fidélisation des enseignants et appel à bénévoles.

Bidonvilles : Reconstruction interdite.

Économie : Pour les particuliers, mise en place d’un prêt gratuit garanti par l’Etat pendant cinq ans ; pour les entreprises, suspension des cotisations sociales jusqu’au 31 mars et indemnisation du chiffre d’affaires jusqu’à 20 000 €.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Le PGA Tour lance son propre studio de création de contenu
NEXT KoBold Metals lève 537 millions de dollars pour découvrir des gisements grâce à l’IA