L’effervescence domine dans un des studios de l’École d’architecture de Nantes. Les traits tirés, certains étudiants ont imprimé leurs esquisses tard le soir ou au petit matin. Car après des semaines de travail ce mardi est jour de « rendu » (restitution) de projet. Dispatchés entre différentes tables en carré, les élèves travaillent, échangent. Avant de passer par groupe de trois, maquette et plan à la main, devant le « jury » du jour : trois architectes et leur professeur en « matière et contexte », Hervé Potin.
« J’aime bien ton travail. On pouvait avoir des doutes sur la volumétrie, le fait que ce soit un pastiche de maisons anciennes japonaises. Ce n’est pas une copie maladroite, je n’ai pas de doute sur sa faisabilité », commente ce dernier, questionnant avec ses confrères chaque projet. Ces 44 étudiants en deuxième année (sur une promotion de 120 environ) ont travaillé plusieurs mois à imaginer « Ma Maison à Tokyo ». Une fois passé devant le « jury », chacun pose sa maquette qui (re)constitue un quartier dense de la capitale nipponne à l’échelle 1/200e.
Sur Parcoursup, Joséphine a postulé dans huit écoles d’architecture
« L’architecture est un domaine à la fois créatif, sensible, mais aussi concret, car nous imaginons des formes, des ambiances, des lieux dans lesquels des gens vont habiter », chuchote Joséphine, 19 ans, après son passage devant le jury. Elle nous raconte son arrivée à l’école de Nantes. Originaire des environs de Rennes, la jeune femme avait postulé en terminale sur Parcoursup dans huit écoles d’architecture puis a passé sept entretiens. Elle a finalement été admise à l’Ensa (École nationale supérieure d’architecture) de Nantes, qui forme au diplôme d’État d’architecte (bac+5), et à la maîtrise d’œuvre en son nom propre (bac +6), qui permet de diriger des chantiers.
« Tout candidat doit avoir un bon niveau scolaire et une solide motivation », énonce la direction. « La sélection tient compte des notes de philosophie, de français, d’histoire-géographie, de LV1, de l’enseignement scientifique et des deux spécialités suivies ». Sans oublier la lettre motivation, lue avec attention par des enseignants de l’école. Ensuite, 450 candidats admissibles passent les entretiens vers la mi-mai. Les résultats finaux tombent le 1er juin, toujours sur Parcoursup.
Une école au cœur de l’Ile de Nantes
« Rennes était mon premier choix, mais Nantes est la plus grande école d’archi de France, se félicite Joséphine, en plus nous sommes au cœur d’un quartier qui se transforme, sur l’île de Nantes, pas loin du centre-ville non plus, juste de l’autre côté du pont ». Le bâtiment de béton, verre et plexiglas d’une surface de 13 900 m² a ouvert il y a quinze ans, en bordure de Loire, pour accueillir 800 étudiants. Ses pelouses et son bar extérieur, « L’Absence », sont envahis par les étudiants au premier rayon de soleil.
Au rez-de-chaussée, les étudiants ont accès à un immense hall de fabrication et son atelier numérique. L’espace ne manque pas avec l’auditorium de 300 places et les amphis de 150 places. Dans les étages, une grande « place centrale » jouxte la bibliothèque, plus loin s’enchaînent les ateliers, studios, etc. Sans oublier la place haute (le toit de l’école) ainsi qu’un bâtiment annexe de trois étages, accessible par une passerelle, pour les expositions. « L’espace est top, le seul problème c’est qu’on a tout le temps froid en hiver », grelotte Célia, une étudiante, qui a choisi l’option « sol, matière et structure ».
Nous luttons contre l’habitude de la charrette
Ignacio Requena Ruiz, maître de conférences à l’ENSA Nantes
C’est précisément dans ce domaine également que c’est le jour de la « livraison ». Par groupes de trois, les étudiants ont dû imaginer un ensemble de 45 logements sociaux (15 chacun) à insérer dans un quartier de Nantes : Zola. « Je suis vraiment heureux de travailler à partir de ce qui existe déjà. Je suis plus à l’aise avec le béton qu’avec l’excentrique, nous raconte Maxime, 19 ans, en deuxième année. Devant deux professeurs, les plans détaillés des logements dessinés par les élèves sont aimantés sur un tableau. A côté, sont exposés des visuels de projets d’architectes inspirants. Sans oublier une immense maquette de quartier Zola réduit, sur laquelle chaque groupe insère sa proposition.
« Il est clair que l’issue reste un moment de jugement. Nous essayons de leur soulager la pression en les accompagnant en amont, Le professeur Ignacio Requena Ruiz explique : nous luttons contre l’habitude de la « charrette » [surtravailler dans les dernières heures, NLDR]en fixant des limites, en nous obligeant à anticiper. Le duo pédagogique détaille chaque projet étudiant : « là, dans tes croquis je ne vois pas de garde-corps autour de ta terrasse. Comment ça marche ? » « A ce niveau, en deuxième année, on a souvent du mal à coller à la réalité. Nous essayons de leur apprendre le respect et l’humilité par rapport au terrain, pour éviter le côté « architecte star » qui conçoit un projet en surface », conclut. l’enseignante et architecte Fanny Perrot, elle-même diplômée de l’Ensa Nantes en 2007.