Marc Dubois, chercheur en sciences économiques à l’université de Mayotte, a vécu sur place le cyclone Chido le 14 décembre. Les jours suivants, il a pu voir les files d’attente se succéder à Mamoudzou, Dembéni ou Kawéni. Il nous livre une analyse des raisons sous-jacentes à ces pénuries d’eau, de carburant et de nourriture, qui réveillent implacablement les fantômes des inégalités de l’île aux hippocampes.
Lorsqu’un jeune homme de la Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DEAL) est venu présenter les différents risques auxquels Mayotte était confrontée l’année dernière, le public l’a écouté avec une attention timide. Parmi ces risques, il y avait bien sûr le risque cyclonique. « Nous ne nous attendions pas à cela. » Cette observation de la plupart des habitants en décembre 2024 implique qu’ils avaient, subjectivement, réduit la probabilité d’apparition d’un territoire dévasté.
Lire la suite : Mayotte : cyclone météorologique et cyclone social
Au moment du passage cyclonique, il existe un risque lié à la survie, à l’état matériel des biens immobiliers et des véhicules. Quelques minutes seulement après l’accalmie, les hommes des bidonvilles, sans aucune planification, se sont précipités sur les tôles éparpillées. Les clous, vis et autres boulons encore utilisables ont été soigneusement emballés pendant qu’ils martelaient pour redresser les tôles tordues. Vingt-quatre heures plus tard en moyenne, une partie importante des « bangas » (cabanes en tôle) étaient reconstruites, encore plus fragiles que la veille.
Ligne de voitures vides
Le passage du cyclone est-il un événement à risque ? Il s’agirait plutôt d’un événement multirisque. Le cyclone a détruit la grande majorité des arbres fruitiers. Quelques minutes après son passage, dans les villages, les femmes et les mineurs les plus pauvres entraient sur les terres désormais sans clôtures pour récolter papayes, mangues, bananes et autres fruits échoués. Au même moment, les « wazoungous » (femmes et hommes blancs) cherchaient un réseau pour appeler leurs proches. Un cyclone entraîne presque inévitablement une panne d’électricité et de télécommunications dans tous les foyers. Sans électricité et sans arbres fruitiers, d’autres risques surviennent, ces risques sont liés à l’accessibilité des produits de première nécessité.
Une semaine après le passage du cyclone, six heures du matin, au nord de Mamoudzou, une file de voitures vides s’installe sur des centaines de mètres mordant la route de Kawéni à la station service, fermée. Leurs occupants ont probablement attendu des heures la veille, mais n’ont pas obtenu le carburant qu’ils espéraient. Au même moment, à Hajangoua, lieu reculé de la commune de Dembéni, une dame d’une cinquantaine d’années, sans mari mais avec quatre personnes à charge, rassemble enfin ses modestes moyens pour reconstruire les clôtures en tôle tombées. depuis samedi 14. Son visage trahit sa malnutrition. Quel est le point commun entre chaque occupant des véhicules laissés à Kawéni et cette dame ? Depuis de nombreux jours, ils sont confrontés à des pénuries de marché sur un territoire de 374 kilomètres carrés qui fonctionne en économie fermée.
Haro sur les comportements anticoncurrentiels
Remarquablement, depuis l’ouragan, tous les marchés de produits de première nécessité et d’autres biens courants sont en pénurie ; les quantités proposées sont (nettement) inférieures aux quantités demandées. Le marché des devises lui-même est en pénurie.
Abonnez-vous aujourd’hui !
Que vous soyez managers en recherche de stratégies ou salariés s’interrogeant sur les choix de leur hiérarchie, recevez notre newsletter thématique « Entreprise(s) » : les clés de recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts.
Le comportement anticoncurrentiel de fournisseurs peu scrupuleux n’est même plus déguisé. Après la livraison d’une vingtaine de bouteilles de gaz, un vendeur de Mtsapéré a refusé de les vendre aux demandeurs attentifs qui faisaient déjà la queue devant son modeste stand. Ce n’est qu’après avoir été menacé d’amende pour comportement anticoncurrentiel que le vendeur a changé d’avis. Furieux parce que son orgueil était blessé, il a accédé à la demande des consommateurs désespérés à l’idée de ne pas pouvoir cuisiner leur alimentation quotidienne.
Lorsque la distribution d’eau en bouteille a débuté dans les quartiers de Mamoudzou, la quantité proposée était nettement inférieure à la demande. Aussi, lors de la distribution des dernières bouteilles, les requérants ont tenté violemment de glaner un peu d’eau. Au même moment, les épiciers voisins étaient déjà retournés à leurs commerces et avaient déjà placé bien en évidence sur les étagères les mêmes packs d’eau qui leur avaient été distribués gratuitement quelques minutes plus tôt.
1 paquet d’eau par personne, un sac de riz par personne
Les pénuries ne constituent pas une situation sans précédent sur les marchés à Mayotte. Bien avant le passage du cyclone, chaque consommateur mahorais ressentait déjà régulièrement le mécontentement de ne pas trouver d’eau en bouteille, de farine ou d’œufs dans les magasins. Ces pénuries sont le résultat de plusieurs facteurs : l’incapacité des importateurs de produits alimentaires à stocker les produits importés et la pénurie du marché foncier, ancrée dans les esprits comme inévitable.
Lire la suite : Mayotte : l’urbanisation à repenser
Aujourd’hui, à l’entrée de tous les supermarchés est écrit : « 1 pack d’eau par personne, un sac de riz par personne, un carton de sardines par personne ». Le rationnement est en place pour prévenir les comportements abusifs des consommateurs en période de pénurie aiguë.
Le pouvoir des supermarchés et des épiceries locales
L’État a décidé d’intervenir sur les marchés des biens de consommation et des matériaux de construction. Ainsi, ces marchés sont désormais réglementés et les prix « bloqués » aux niveaux observés avant l’ouragan. Ces régulations ont le double objectif de proposer une répartition équitable des produits de première nécessité et de stabiliser les prix à un moment où le moment est idéal pour les comportements spéculatifs.
Bien que prise en urgence, cette solution ponctuelle répond au mécontentement plus ancien des Mahorais qui estiment que le coût de la vie sur l’île est trop élevé. De telles mesures avaient déjà été prises lorsque l’eau potable était très rare sur l’île. Les magasins disposant des plus grandes surfaces de vente respectaient scrupuleusement la réglementation. Cependant, faute de contrôles suffisants, les épiceries de proximité (essentielles pour la partie de la population qui n’a pas accès aux transports) ont exercé leur pouvoir de marché comme si de rien n’était.