Par
Augustin Delaporte
Publié le
28 décembre 2024 à 7h44
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C’était un brouhaha de plus en plus enveloppant, à mesure que les marches menaient à la surface de l’entrée du métro. Château d’eauà Paris (10e). Malgré l’heure parfois tardive, des files d’attente informes s’étendaient sur des dizaines de personnes. magasins exigus et presque identiques et encombrait les trottoirs, où il fallait se faufiler.
Devant les épiceries, les parkings à vélos ont été squattés par des groupes de personnes qui mangeaient un morceau et buvaient un verre en criant. Il en émanait un bruit, parfois insupportable, qui arrivait jusqu’aux fenêtres des appartements du boulevard. Puis, le 20 décembre 2024, le bruit s’est calmé. Et le quartier a découvert ce qu’était un niveau de bruit « acceptable ».
La préfecture serre la vis
Un changement brutal provoqué par un arrêté préfectoral, obligeant de nombreux commerces du quartier à fermer leurs portes entre 20h et 5h du matinpendant un mois. « L’effet a été presque immédiat et le contraste était tellement saisissant… C’était incroyable », se souvient Delphine Martin, toujours visiblement abasourdie. La riveraine apprécie d’autant plus la métamorphose qu’elle habite le quartier depuis 20 ans et qu’elle était d’ailleurs aux premières loges pour voir en situation voir gangrène depuis une dizaine d’années, dit-elle.
« Nous n’avons presque plus diversification commercialeregrette le Parisien. Sur le boulevard [de Strasbourg]nous avons dénombré près de 80 coiffeurs, ongleries et vendeurs de produits cosmétiques qui sont, en réalité, les grossistes des établissements cités ci-dessus […] Nous aimerions trouver des commerces de proximité, des boulangeries, etc. »
Le quartier est donc durement touché par le travail clandestin et les ventes ambulantes. Au cours de la dernière année, 236 infractions dont 21 pour travail dissimulé ont été constatés lors des contrôles d’établissement effectués par l’unité de police administrative et le groupe de lutte contre le travail clandestin. « L’écosystème des salons de manucure, dont nous le soupçonne d’être mafieuxest difficile à pénétrer. Nous travaillons sur des questions de droit du travail (…) Mais quand un dirigeant est condamné, un autre apparaît le lendemain», a notamment concédé la maire du 10e, Alexandra Cordebard, dans les colonnes du parisien début décembre.
Delphine Martin ne le sait que trop bien. « Ce sont réseaux qui échangent entre eux des baux commerciaux. Ces derniers sont subdivisés car les prix des loyers dans le quartier sont élevés, ce qui explique que les magasins soient exigus et que les files d’attente débordent sur le trottoir. Et comme d’habitude certains restent ouverts jusqu’à 2 heures du matin… »
Un décret qui a mis cinq ans à voir le jour
Mais si elle est si bien informée, c’est parce qu’elle est aujourd’hui présidente d’une association d’habitants qui compte plus de 200 membres. Et elle mène ce combat depuis de nombreuses années maintenant. «Après avoir dû quitter mon domicile pendant neuf mois à cause des nuisances olfactives des salons de manucure, j’ai lancé une pétition avec mon mari en 2018. Elle avait obtenu à l’époque entre 2 000 et 2 500 signatures», explique-t-elle.
De cette initiative est né un collectif. Delphine Martin poursuit : « Pour diverses raisons, nous avons ensuite dû nous structurer et le collectif est devenu une association début 2021. Mais le décret qui vient de paraître a été dès le départ au centre de nos préoccupations. Finalement, nous l’avons attendu presque cinq ans… » Et de rappeler : « Nous avons eu une réunion avec le préfet précédent et la préfecture s’était engagée à prendre cet arrêté courant 2019, mais la pandémie a tout mis entre parenthèses. »
Sauver l’enthousiasme des médias
Sans que l’association ne relâche ses efforts. En 2021, celui-ci a notamment été soumis au vote de budget participatif un projet de lutte contre la mono-activité dans le quartier. Acceptée, cette dernière n’a finalement jamais été mise en œuvre. « Je ne crois pas que le problème soit si complexe, ni qu’il y ait un manque de volonté, je pense simplement que personne ne s’est vraiment penché là-dessus », juge aujourd’hui Delphine Martin, avec le recul.
C’était du moins le cas avant commission d’enquête publique sur la révision du plan local d’urbanisme (PLU) touche à sa fin. Dans son rapport final, le commissaire alerte la Ville sur la « situation délicate » du Château d’Eau et la nécessité de définir un ensemble de mesures d’urgence. Parmi eux : la restriction, par le préfet, des horaires des commerces de proximité, ainsi qu’une politique active de préemption des locaux.
Une brèche sur laquelle l’association s’est précipitée, notamment en envoyant un courrier ouvrir à la maire de Paris, Anne Hidalgo, au préfet, Laurent Nuñez, et à Alexandra Cordebard. “La Ville nous a d’abord dit qu’elle ne relevait pas du PLU, mais ensuite il y a eu un relais d’opinion, probablement grâce aux médias, et ça a fait la différence.”
Une solution équivalente déjà existante à Saint-Denis
Il ne manquait plus qu’une pièce du puzzle pour déplacer les lignes. Delphine Martin sourit : « Un membre de l’association s’est rendu compte queun décret comme celui que nous avons demandé existait déjà à Saint-Denis, entre autres. C’est d’autant plus frappant que plusieurs commerçants de notre quartier y sont habitués, soit parce qu’ils en sont originaires, soit parce qu’ils ont un autre magasin dans cette ville. »
Les travaux de la préfecture étaient donc pré-achevés. Avec l’engouement médiatique autour du sujet relativement récent des salons de manucure, le fichier soudainement accéléré. « Le changement a été très contrasté dès l’entrée en vigueur du décret. Pour les riverains, c’était Noël avant l’heure», se réjouit le président de l’association de quartier.
Reste à savoir si, comme à Saint-Denis, le décret sera régulièrement renouvelé. C’est en tout cas le souhait des pensionnaires du Château d’Eau représentés par Delphine Martin : « D’autant que pour nous, le pic, c’est au printemps et en été ».
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