Il a tout donné, mais il n’a jamais rien reçu en retour. « Je n’ai jamais reçu de récompense. Pas de trophée, pas de reconnaissance, pas d’hommage. Ce milieu, celui du showbiz, est très ingrat», a déclaré Tony Roman, cet homme-orchestre à qui l’industrie du disque québécois doit beaucoup, lui qui a lancé de nombreuses carrières, dont celles de Boule Noire et Nanette Workman, pour ne citer que celles-ci. ces deux-là, et qui a amené avant tout le yé-yé, le rythme et le blues, le psychédélique, le rock, le punk sur la place publique, lui qui a révolutionné la télévision si sage et rigide des années soixante, lui qui…
A 14 ans, à peine pubère, cet Italo-Québécois connaît déjà la musique, dans tous les sens du terme. Dans ses temps libres, qui lui permettent de fréquenter le collège Mont-Saint-Louis, tenu par les Frères des Écoles Chrétiennes, il joue du piano pour accompagner les strip-teaseuses du cabaret français Casino, rue Sainte-Catherine Est – aujourd’hui les Foufounes. électrique –, près du feu rouge de Montréal. C’est peut-être là que son amour immodéré pour les jolies femmes… et que les projecteurs commencent.
Désormais, il vise les sommets et rien ne l’arrêtera. Avec trois complices, il fonde son propre groupe, les Tip Tops, qui se produira dans les nombreuses salles de concert de la banlieue nord de Montréal en plein développement. Sur scène, il chante, joue du piano, mais surtout il saute et danse comme personne. Cela deviendra sa marque de fabrique. Tout pour séduire les femmes.
Puis, il va débouler, entre les hauts et les bas de la vie d’un grand rêveur.
« C’était un guerrier du rock’n’roll, le nez en l’air », disait de lui le producteur Pierre Nolès, qui sera son mentor. Il pouvait ignorer n’importe qui. Renverser le Premier ministre dans la rue ne l’aurait pas dérangé. Il voulait être quelqu’un. Peu importe les moyens. Il avait l’énergie pour ça. Et un courage considérable.
Un tournant avec Nanette Workman
C’est avec la chanson Fais Wah Diddy que sa carrière de chanteur émerge réellement, alors qu’il se produit au cabaret El Mocambo, dans l’est de la ville, encouragé par l’ex-lutteur Johnny Rougeau et nul autre que Dominique Michel, avec qui il entretient une relation adultère.
« J’avais autant de groupies que les Beatles. Ils étaient partout : cachés dans ma voiture, dans l’armoire de mes parents. Certaines personnes ont écrit « Nous t’aimons, Tony » avec du rouge à lèvres sur ma voiture ! Qui est reparti avec des morceaux de toit de ma décapotable. Ils m’ont même donné un fan club, ça veut dire quelque chose. D’ailleurs, en pleine émission de télévision, La jeunesse d’aujourd’hui, une jeune fille de 14 ans de ce fan club lui saute dessus pour lui arracher un baiser. Puis ce furent les tournées yé-yé avec Michèle Richard et Jenny Rock.
Tony est une star, il a beaucoup d’argent, mais il a besoin de nouveaux défis car il étouffe au Québec. Alors, à 23 ans, il part pour New York où il a des amis et des connaissances. Sa rencontre fulgurante avec Nanette Workman, 20 ans, arrivée de son Mississippi natal, marque un tournant dans sa carrière. Tony revient au Québec avec sa nouvelle conquête, qu’il souhaite lancer localement et internationalement. Un premier single pour cette Américaine qui chante en français sans le parler la propulsera au sommet des charts. Puis une deuxième et une troisième : c’est la consécration. Le nouveau Tony Roman est arrivé.
L’ère des grands excès
Mais ce flamboyant producteur dépense plus qu’il ne gagne. C’est une période d’excès. Alcool, sexe et tabagisme. Petit à petit, Tony construit sa réputation d’orgique et de mauvais payeur et plusieurs artistes de son écurie se plaignent de ne pas recevoir leur dû.
La séparation d’avec Guy Cloutier, devenu son associé en affaires, va être brutale. Roman perd des plumes, mais sa capacité à renaître semble infinie. Sentant le vent tourner, il flirte avec la jeunesse contre-culturelle et indépendantiste et met sous contrat le groupe de la Révolution française. C’est dans ce contexte qu’il rencontre Madeleine, la fille du fougueux syndicaliste Michel Chartrand avec qui Tony entretient une relation amoureuse torride depuis plusieurs années.
À la fin des années 1970, épuisé, abandonné, plus ou moins ruiné, Tony part pour Los Angeles où il envisage de poursuivre sa carrière. Il y restera 15 ans, sans jamais percer. Pour ensuite revenir au Québec, fatigué de la jet set hollywoodienne. Il décède à l’hôpital le 8 juin 2007, non sans se réconcilier avec certains de ses ex-amis.
Cette œuvre captivante nous replonge dans toute une époque que les moins de 20 ans ne peuvent pas vivre. Un monde fascinant.
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