La chute de Bachar al-Assad en Syrie a entraîné la disparition du cadre idéologique sur lequel reposait le régime baasiste, ainsi que de son cadre politique et constitutionnel. Ce bouleversement aura certainement des répercussions sur les relais politiques de l’ancien régime au Liban. A leur tête, les deux partis pro-Assad, le Parti social-nationaliste syrien (PSNS) et le Parti Baas socialiste arabe au Liban, mais aussi un cortège de personnalités implantées au Liban par Damas dans le but d’y perpétuer son influence. Cette galaxie politique, qui a voté sans réserve pour la dynastie Assad, a-t-elle un avenir au Liban ?
Evidemment, le seul soutien sur lequel le Baas libanais et le PSNS peuvent compter aujourd’hui est le Hezbollah et l’axe iranien dont la Syrie vient d’être écartée. Un changement dans l’équilibre actuel que l’Iran a fini par accepter, bon gré mal gré, mais qui en dit long sur le réalisme politique auquel Téhéran a été récemment contraint après la guerre de Gaza et son extension au Liban. La question, cependant, est de savoir dans quelle mesure le Hezbollah, lui aussi exsangue, peut encore conférer un semblant de légitimité à ses alliés.
En avril 2005, un premier affront est infligé aux partis pro-syriens suite au retrait des troupes syriennes qui occupaient le Liban depuis deux décennies. A l’époque, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait déclaré lors d’une conférence de presse que c’était désormais à son parti « de prendre le relais au Liban et dans la région ». Bien qu’extrêmement affaibli aujourd’hui par l’affrontement avec Israël, le parti chiite continue de clamer haut et fort sur la scène locale sa pérennité et la poursuite de la “résistance” malgré les coups durs subis, comme l’a rappelé samedi son secrétaire général, Naïm Kassem. « Le Hezbollah est fort, se rétablit et continuera à agir… La résistance continue, même si ses capacités sont limitées », a-t-il déclaré.
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Un PSNS pluriel
En attendant que le futur paysage politique se stabilise, les partis pro-syriens sont contraints de s’adapter en maintenant un discours similaire, du moins pour le PSNS. Fondé dans les années 1930 par Antoun Saadé, un grec orthodoxe de Dhour Choueir qui prit le titre de « Führer » en raison de ses antécédents d’avant la Seconde Guerre mondiale, c’était fondamentalement un parti anti-arabe qui prônait la formation d’une « Grande Syrie ». » réunissant le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Palestine, l’Irak, le Koweït, le Sinaï, la Cilicie ou encore Chypre. Une vision qui a depuis radicalement changé face à une histoire émaillée de combats armés, de coups d’État (en 1961) et d’assassinats (Bachir Gemayel assassiné en 1982 par un membre du parti).
Devenu satellite du régime Assad, « le PSNS était favorable à l’accord politique de 1990 et soutenait l’accord de Taif », indique anonymement une Source proche d’une des multiples branches du parti présidé par Assaad Hardane. Mais aujourd’hui, le PSNS est divisé en son sein et affaibli depuis des années par des guerres internes. “Dans l’histoire récente, c’est notre parti qui a défendu l’unité du Liban alors qu’il était fragmenté lors de la guerre civile entre plusieurs petits groupes communautaires”, insiste la Source.
Reste à savoir dans quelle mesure son avis correspond à celui des dirigeants des quatre autres branches du PSNS. Hassan Sakr, membre du parti présidé par Rabih Banat, fait un discours plus détaillé sur le lien avec Damas. Rappelons alors que le PSNS est éminemment libanais, dont l’idéologie a été établie bien avant le régime d’Assad. « Par conséquent, sa relation avec la Syrie est similaire à celle qu’elle entretient avec, par exemple, la Jordanie et l’Irak », défend Sakr, tout en affirmant que le régime syrien renversé – accusé d’innombrables crimes contre l’humanité – « était l’une des meilleures relations possibles ». “. . En 2011, la section armée du parti, « les Aigles tourbillonnants », s’est engagée dans plusieurs combats aux côtés du régime, notamment à Homs et à Alep. Un investissement qui lui a permis de « retrouver sa raison d’être », aujourd’hui remise en question. Des attaques contre des branches de cette formation dans plusieurs régions, dont le Akkar, ont eu lieu après la chute du dictateur syrien.
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Quant au Baas, qui n’est qu’une branche locale du parti au pouvoir en Syrie entre 1963 et 2024, sa légitimité au Liban est encore plus remise en question. Le 11 décembre, le groupe annonce dans un communiqué la suspension de son activité politique. Ali Hijazi, secrétaire général de la branche libanaise, fera-t-il de même ? La veille de la fuite de Bachar al-Assad, il semblait toujours dans le déni. « Le régime de Bachar al-Assad perdurera pour toujours. Son armée se battra et gagnera », a-t-il déclaré dans des communiqués de presse. Celui qui aspirait à jouer un rôle à l’échelle nationale en vue des prochaines élections législatives avait organisé, en mai dernier, une cérémonie en grande pompe pour célébrer l’anniversaire de la fondation du parti. Un rassemblement qualifié à l’époque de « véritable invasion baasiste ». Fin septembre, Israël a bombardé le poste de garde et sa maison dans le quartier de Mhatta, à l’entrée de la ville de Baalbeck, un acte qui sonnait déjà comme un avertissement à la Syrie et à ses acolytes libanais. En novembre, le siège du parti à Ras el-Nabeh, à Beyrouth, a également été détruit par Israël, lors d’une attaque qui a tué l’ancien porte-parole du Hezbollah, Mohammad Naboulsi. Contacté par L’HUILE Au cours du week-end, Ali Hijazi a refusé de commenter.
Il n’en reste pas moins que le Baas et le PSNS restent tous deux autorisés à opérer sur le sol libanais, indépendamment de l’évolution de la situation en Syrie. Même si certains analystes estiment que l’ambition du PSNS de créer une « Grande Syrie » contredit la Constitution libanaise qui déclare que le Liban est « une nation définitive », cette thèse est rejetée par les juristes. « Tout le monde n’est pas convaincu que le Liban est une nation définitive. Si l’idéologie du PSNS ou du parti Baas contredit cette notion, on peut en dire autant des fédéralistes, partisans de la partition ou de l’islam politique », commente Nizar Saghiyé, directeur exécutif de Legal Agenda. “Il s’agit d’un sujet dangereux qui risque de s’étendre de manière démesurée et d’avoir des répercussions sur d’autres groupes ou partis présents”, ajoute l’avocat. Pour le directeur de Justicia, Paul Morcos, un parti, quel qu’il soit, peut légitimement aussi avoir pour objectif la modification de la Constitution. « Le danger réside uniquement dans les méthodes adoptées – explique l’avocat – et c’est dans la transformation de n’importe quel parti en un groupe secret et armé et dans le recours à la violence. »
La chute de Bachar al-Assad en Syrie a entraîné la disparition du cadre idéologique sur lequel reposait le régime baasiste, ainsi que de son cadre politique et constitutionnel. Ce bouleversement aura certainement des répercussions sur les relais politiques de l’ancien régime au Liban. A leur tête se trouvent les deux partis pro-Assad, le Parti social-nationaliste syrien…