Adèle Haenel regarde l’homme assis en face d’elle. Sept scènes du film « Les Diables » de Christophe Ruggia viennent d’être diffusées devant le public, provoquant un profond malaise dans la salle. L’enfant, alors âgée de 12 ans, apparaît à chaque fois nue, se caressant lascivement, léchant les doigts, le cou et les oreilles d’un jeune homme supposé être son frère.
Un « directeur pédagogique »
La présidente a lu le rapport d’enquête, évoquant trois ans de samedis après-midi systématiquement passés avec la réalisatrice, alors âgée de presque quarante ans, qu’elle accusait de l’avoir agressée sexuellement. Christophe Ruggia est appelé à la barre, et invité à donner son avis sur sa relation avec Adèle Haenel. “Je me suis rendu compte qu’elle avait peut-être été choquée par le tournage, qu’elle avait peut-être trouvé ça lourd de me voir aussi souvent par la suite”, raconte le réalisateur de 59 ans. Le tribunal s’efforce de suivre les détours de son discours, les nombreuses digressions, les détails inutiles, en passant toujours à côté de l’essentiel.
Le prévenu élude les témoignages recueillis au cours de l’enquête, ses collaborateurs gênés par ce « gourou réalisateur » qui isolait les enfants du reste de l’équipe, trop tactile, notamment avec sa jeune comédienne, au point que la mère d’Adèle s’inquiétait de voir cet homme de 37 ans traiter sa fille comme « une petite amie ». « Sur le plateau, Adèle me suit partout », raconte Christophe Ruggia au tribunal. Elle est captivée, elle vient s’asseoir sur mes genoux, alors oui… J’aurais pu la prendre par les épaules, l’embrasser sur la tête, dans les cheveux… J’aurais dû l’encadrer davantage”. Une évaluatrice hausse un peu la voix, met le pied à terre : « Vous, Monsieur, un homme de presque 40 ans, quelles étaient vos attentes en passant tous vos samedis après-midi avec Adèle ? »
Dans un flot de phrases filandreuses, le cinéaste parle de son cinéphile, de sa bibliothèque de 300 DVD, de ses conseils de lecture donnés à cet enfant avide d’apprendre, il raconte avoir voulu « créer une famille de cinéma, comme François Truffaut. » C’est Adèle qui voulait venir chez lui, elle trouvait que les garçons de son âge n’avaient rien en tête, et que les filles ne pensaient qu’aux garçons. D’ailleurs lors de ces rendez-vous, c’était elle qui traînait, il finissait par lui dire « Allez, rentre chez toi ».
Les confidences bouleversantes de son ex-compagne
Sur le banc des parties civiles, Adèle Haenel bouillonne, tape du doigt sur la table, change de place. Durant ces années, entre 2001 et 2004, le réalisateur n’avait pas d’associé. Mona A, qui a partagé un - sa vie quelques années plus tard, en 2010, et qui est venue témoigner à l’audience, a parlé d’un homme immature, tant sur le plan psychologique que sexuel. Il lui aurait confié à l’époque qu’il était “fou amoureux” d’Adèle Haenel. Surtout, il lui aurait rapporté une scène, qui se serait produite lors d’un de ces fameux samedis après-midi. Alors que l’enfant était allongé sur son canapé, Ruggia aurait remonté sa main sur son corps, touchant sa poitrine, avant de retirer sa main. “Il en parlait avec fierté, comme si cela avait été très vertueux de retirer sa main”, a déclaré Mona A.
Il était “fou amoureux” d’Adèle Haenel
L’analyse de son ordinateur a montré des recherches sur Internet pour « Adèle Haenel Hot ». Dans un texte retrouvé chez lui, le réalisateur écrit que l’enfant était « extrêmement sensuelle » et qu’un jour, chez lui, « elle a roulé la langue avec un érotisme digne d’un film porno ». . A la barre, il nie catégoriquement. Les attouchements, les baisers dans le cou, les déclarations d’amour, « ça n’est jamais arrivé, clairement ! proclame-t-il. Autant j’imagine des gestes d’affection qu’elle aurait réinterprété par la suite, autant mettre la main dans son pantalon ou sur sa poitrine est un pur mensonge. Je n’ai jamais fait ça, jamais ! J’essaie de comprendre de quoi on m’accuse depuis 5 ans. »
Vengeance ou radicalisation ? Le choix de la défense
L’évaluateur souligne que la plaignante, considérée comme plus intelligente que la moyenne, n’a jamais varié dans ses déclarations. ” Pour quoi ? Pourquoi te ferait-elle autant de mal ? » demande le magistrat. «Je pense qu’elle s’est radicalisée avec #Metoo», répond Christophe Ruggia. Regardez son parcours au cours des 5 dernières années ! Ça commence par les accusations contre moi, ça continue avec sa sortie lors des César, puis elle soutient Assa Traoré, Révolution Permanente, et puis elle quitte le cinéma, elle n’a que la haine dans la tête ! Le procès stalinien a eu lieu, c’est l’article de Mediapart ! Il fallait lancer un #Metoo en France, ça m’est tombé dessus. Je n’ai jamais été amoureux d’Adèle Haenel ! »
Le réalisateur se dit victime d’une vengeance de la part de son ex-égérie, qui aurait été déçue et meurtrie de ne pas avoir réalisé un deuxième film avec lui. Le tribunal a demandé à Adèle Haenel pourquoi elle revenait chez Ruggia tous les samedis pendant trois ans. Elle dit que les gens de son âge ne la comprenaient pas. «Ils m’ont dit, mais tu as réellement joué dans un film porno ?! Et qui m’a alors dit qu’il n’y avait rien d’anormal dans tout cela, sinon lui ? Cette violence qu’il m’a fait subir, c’est aussi lui qui m’en a protégé, avec ses paroles ! » Christophe Ruggia rétorque qu’il a essayé de la protéger du regard des gens de son âge : « Je lui ai proposé de prendre un nom de scène, pour préserver son anonymat. C’est moi qui lui ai dit de prendre le nom de son grand-père, Haenel… »
« MAIS FERME TA BOUCHE !!! » crie Adèle Haenel en frappant sur la table, avant de quitter la salle. Dans son réquisitoire, la procureure parle des répercussions psychologiques massives sur l’actrice, de son mal-être. Les experts en psychologie pointent du doigt un dérèglement des marqueurs identitaires, une envie de mourir, des tics nerveux au visage lorsque les faits sont évoqués. Le parquet a requis 2 ans de prison, une peine modulable, éventuellement purgée à domicile, ainsi que l’inscription du prévenu au FIJAIS (Fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles). L’avocate de Christophe Ruggia, Me Fanny Colin, affirme qu’il n’a ni le profil ni la personnalité d’un pédophile. Pour elle, après les déclarations chocs d’Adèle Haenel à Mediapart, la justice s’est sentie attaquée, et s’est empressée d’ouvrir une enquête. Le dossier est en délibéré jusqu’au 3 février 2025.