C’est grâce à une inquiétante flotte fantôme de pétroliers vieillissants, au moins 500, mal ou pas assurés, que la Russie parvient à vendre autant de pétrole et presque aussi cher qu’avant, malgré les sanctions occidentales. C’est l’une des principales sources de revenus du Kremlin qui permet à Vladimir Poutine de poursuivre sa guerre contre l’Ukraine.
Le « M. Sanctions» de l’Union européenne, David O’Sullivan, a lui-même reconnu que ces sanctions contre le trafic pétrolier ne fonctionnent plus guère, dans l’interview qu’il a accordée à Ouest de la France en octobre.
À tel point que, face à ce qui tourne au fiasco, le Parlement européen a exigé, le 14 novembre, que l’Union européenne durcisse significativement sa politique.
Contrairement au gaz russe, toujours autorisé en Europe, le pétrole brut russe y est interdit depuis décembre 2022, et les produits raffinés (carburants, fioul, naphta) depuis février 2023. Seules quelques exceptions subsistent pour la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. , qui se disent toujours dépendants des pipelines hérités de l’ère soviétique.
Le choix de laisser le robinet russe ouvert
Le pétrole n’est pas seulement transporté via l’imposant réseau de pipelines russes vers l’Europe et la Chine. Mais aussi et surtout dans des navires très faciles à réacheminer partout dans le monde. Les sanctions européennes n’auraient eu aucun effet si elles n’avaient pas été étendues au niveau du G7. Ce qui, outre l’Allemagne, la France et l’Italie, déjà liées par les mesures européennes, comprend le Canada, le Japon, le Royaume-Uni et surtout les États-Unis.
Ces derniers sont non seulement le premier producteur de pétrole mais ont la plus forte capacité répressive au monde, de par leur poids économique et le rôle du dollar comme monnaie de paiement des matières premières.
C’est ce qui confère aux États-Unis un pouvoir « extraterritorial » en tant que gendarme économique mondial. Mais même eux ne parviennent pas à endiguer l’activité de la flotte fantôme du Kremlin.
Si des tankers remplis d’Ural, de Sokol et d’Espo – les trois principales variétés de pétrole russe – circulent encore en toute impunité vers l’Inde, la Chine, la Turquie et le Brésil, c’est que l’objectif n’était pas d’en bloquer la commercialisation. Vouloir tarir le flux de pétrole avec lequel la Russie irrigue la planète, alors qu’elle est le troisième producteur avec 11% du total mondial, aurait fait flamber les prix et punirait tout le monde, à commencer par les pays les plus pauvres. .
Un système en deux parties, dont l’une ne fonctionne plus
Les sanctions occidentales visent donc uniquement à restreindre les ressources du Kremlin. Cette dernière tire 40 % de ses revenus des énergies fossiles. Nous avons donc mis en place un système en deux parties. D’une part, l’interdiction pure et simple du pétrole russe dans l’Union européenne et dans certains pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni.
En revanche, il est interdit à d’autres – sous peine de représailles économiques – d’acheter du pétrole russe au-dessus d’un prix « plafond » fixé à 60 dollars le baril. Ce que l’on appelle le « price cap » dans le jargon anglais. Par ailleurs, il est interdit d’accueillir des pétroliers et de fournir des services (assurance, financement bancaire, contrôle technique, etc.) aux pétroliers transportant du pétrole russe qui sont sous sanction ou qui ne respectent pas le prix plafond. .
Le système a en partie porté ses fruits au début. Selon une étude du Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur (Crea), un groupe de réflexion finlandais sur l’énergie, les sanctions ont réduit les revenus issus des produits fossiles russes (principalement le pétrole, ainsi que le charbon) de 30 à 20 milliards d’euros par mois.
Mais cette chute observée en 2022 ne s’est pas poursuivie par la suite. En incluant toutes les énergies fossiles qu’elle exporte par voie terrestre et maritime, la Russie continue, depuis début 2023, d’engranger 600 millions d’euros par jour, soit plus de 200 milliards par an. L’économie russe souffre, mais le Kremlin…