Éliane Radigue, papesse de la musique électronique – .

Éliane Radigue, papesse de la musique électronique – .
Éliane Radigue, papesse de la musique électronique – .

Une histoire d’amour passionnée qui a duré près de quarante ans. C’est ainsi qu’Éliane Radigue décrit sa relation avec celui qu’elle a caressé pendant toutes ces années et dont les vibrations ont donné naissance à ses plus grandes œuvres musicales : l’ARP 2500. Elle a rencontré cet imposant synthétiseur lors d’une exposition en 1971 alors qu’elle vivait aux États-Unis. Elle est immédiatement tombée amoureuse de cet instrument à la « voix » si singulière : « on a une voix ou on n’en a pas », confiait-elle, malicieusement, à France Culture en 2020.

Désapprendre pour réapprendre

Par peur de la facilité, elle décide de ne pas prendre le clavier fourni avec l’engin, préférant affronter seule son nouveau compagnon de voyage. Elle l’emmène avec elle dans sa cabine sur le paquebot Franceen route vers de nouvelles aventures musicales à Paris. Décrire en mots les pièces sonores qu’Éliane produit avec son complice expérimental relève presque de la mission impossible. Les écouter est une expérience méditative, un langage étranger complexe, presque métaphysique.

Vous avez une voix ou vous ne l’avez pas

Comme Picasso : « Quand j’avais douze ans, je peignais comme Raphaël. Il m’a fallu toute ma vie pour apprendre à peindre comme un enfant.”, la compositrice a dû désapprendre et réapprendre à écouter avant de trouver “sa petite musique” comme elle l’appelle. Avec une oreille nouvelle, libérée des sonorités familières des instruments classiques et des a priori, elle s’ouvre à ces nouvelles sonorités électriques, « sauvages » qu’elle apprend à apprivoiser, pour en extraire une musicalité singulière.

Avant l’ARP, c’est la harpe qu’Eliane touchait. Et le piano, dont elle jouait jeune fille chez une certaine Madame Roger, qui lui enseignait le solfège et la formait. Personne dans la famille n’était musicien, mais Eliane sentait qu’elle devait pratiquer la musique.

Un nouveau monde sonore à conquérir

Fille unique d’un commerçant des Halles, elle quitte à 19 ans son quartier de Beaubourg où elle a grandi pour s’établir dans la Baie des Anges. Elle y rencontre celui qui deviendra son mari, un sculpteur niçois qui a fait des compressions sa marque de fabrique : Arman. En 1951, elle épouse cet artiste de renom et ami proche d’Yves Klein, avec qui il pratiquait le judo sur les tatamis des salles de sport niçoises.

Ensemble, ils auront trois enfants. Elle continue la musique dans son coin et compose des morceaux dodécaphoniques comme d’autres jouent au sudoku ou font des mots croisés. En tant qu’« épouse de », l’exercice de sa musique est considéré par l’entourage de son mari, le groupe d’artistes des Nouveaux Réalistes, comme un passe-temps féminin et n’intéresse pas grand monde.

C’est comme s’ils nous apportaient un message d’un monde qui nous est inconnu.

L’artiste n’est pas elle. A la radio, elle entend un morceau de Pierre Schaefer, un ingénieur français qui mène des recherches innovantes. Grâce à l’invention du magnétophone, il capte des sons concrets, proposant un nouveau vocabulaire musical, alternative au solfège classique. De ses expériences est née ce qu’il appelle la musique concrète : « Le miracle de la musique concrète, que j’essaie de faire ressentir à mon interlocuteur, c’est qu’au cours des expériences, les choses se mettent à parler d’elles-mêmes. eux-mêmes, comme s’ils nous apportaient le message d’un monde qui nous serait inconnu. »

Eliane veut découvrir ce monde inconnu. Par l’intermédiaire d’un ami, elle rencontre Pierre Schaefer lors d’une conférence et devient son élève. Avec lui, elle découvre de nouvelles techniques, coupe des bandes magnétiques, apprend le montage et le mixage et devient une ambassadrice des musiques concrètes en animant des conférences sur le sujet.

Elle abandonne son maître pour créer, enfin, en toute autonomie

En 1967, son mariage se termine brutalement. Les œuvres d’Arman quelques années plus tôt, ses Colères (1961), un saccage d’instruments de musique qu’il collectionne alors, laissent présager son naufrage. Eliane revient à Paris. Elle y devient l’assistante « bénévole » d’un autre précurseur de la musique électroacoustique, Pierre Henry. Le musicien est machiste et peu avenant, mais il laisse Eliane expérimenter toutes sortes de techniques et manipuler du matériel qu’elle n’aurait pas pu s’offrir. La compositrice prend son envol et laisse son maître créer, enfin, en toute autonomie.

De la frénésie new-yorkaise à la sérénité de la Dordogne

Séparée d’Arman mais pas encore divorcée, elle a utilisé le regroupement familial comme prétexte pour obtenir la fameuse Green Card et s’installer à New York où son mari exposait. L’ambiance y était électrisante à la fin des années soixante. « Notre seul problème était de savoir où aller et quoi faire le soir », dit-elle. Lors des soirées avant-gardistes des lofts de Soho, elle côtoie les artistes du Pop Art et se lie d’amitié avec les grands compositeurs John Cage et Philippe Glass.

Contrairement à la France où elle a subi des remarques sexistes – elle raconte notamment qu’un technicien est arrivé dans les studios et a déclaré que ce qui était bien quand elle était là, c’était que ça sentait bon… –, elle a reçu l’admiration de ses pairs et l’échange avec d’autres compositrices. Eliane était féministe. Mais plutôt que de s’engager pour la cause, elle a préféré agir par sa pratique musicale, subversive en elle-même.

Ma musique est très ambivalente et je veux qu’elle soit ambivalente, c’est-à-dire que chacun puisse y entendre ce qu’il veut.

Avec son partenaire, l’ARP 2500-7101 – Éliane aime dire fièrement que c’est le premier de la série – elle expérimente le larsen. Ces sons obtenus en rapprochant un micro d’un haut-parleur, sans contrôle, peuvent être extrêmement violents, mais Éliane, avec douceur, obtient une matière musicale à moduler. Elle s’en sépare en l’an 2000 après 40 ans de création qui produiront près d’une vingtaine de pièces musicales sensorielles faites de pulsations lentes.

Des harmonies que certains ne peuvent s’empêcher de considérer comme méditatives, sans doute en référence à sa conversion au bouddhisme tibétain en 1974. Une religion qu’elle a pratiquée en autarcie avec son maître en Dordogne pendant près de trois ans. En 2001, le bassiste Kasper Toeplitz lui commande une pièce pour basse électrique. Un retour inattendu à l’instrumental.

Aujourd’hui, ses morceaux sont réinterprétés par des instrumentistes de renom, une façon sans doute pour Eliane de transmettre aux autres sa création née de son long flirt avec l’électronique : « Ma musique est très ambivalente et je veux qu’elle soit ambivalente, c’est-à-dire que tout le monde puisse entendre ce qu’ils veulent. »

 
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