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On se souvient notamment de la révolte d’une soixantaine de prêtres fin 2016, qui avaient exprimé leurs doutes et protestations dans une lettre adressée aux autorités ecclésiastiques. Sans conséquences jusqu’à présent pour le prélat. « La situation est de pire en pire » affirment plusieurs paroissiens.
Ces derniers temps, ils n’ont pas hésité à contacter directement le Saint-Siège à Rome. Vatican qui a ainsi reçu bon nombre de plaintes, de quoi déclencher une visite « fraternelle ». Derrière cette qualification, il n’y a pourtant rien d’amical, mais une évaluation sérieuse de la situation du diocèse, comme nous l’écrivions au printemps dernier.
Cinq mois plus tard, Mgr Antoine Hérouard, archevêque de Dijon qui a dirigé la « visite fraternelle », nous explique son œuvre, ce qu’il en a appris et ce qu’elle pourrait apporter.
Pouvez-vous nous rappeler quelle mission le Vatican vous a confiée ?
C’est le Dicastère pour les Évêques de Rome qui m’a confié cette visite fraternelle après que des informations soient arrivées au Vatican qui montraient qu’il y avait potentiellement des difficultés. L’objectif premier de ma mission était de photographier la situation du diocèse, pour avoir une vision la plus juste possible. Et à cette occasion j’ai rencontré l’évêque, ses collaborateurs, mais aussi plusieurs fidèles.
Comment se sont déroulées les réunions ?
J’ai passé deux fois une semaine dans le diocèse, début juin puis début juillet. J’ai été installé au Carmel de Bayonne. Pour m’accompagner dans les entretiens, une religieuse d’un autre diocèse prenait des notes et assurait le secrétariat. Les journées étaient assez chargées : sept entretiens par jour, d’une durée d’environ une heure chacun. Trois quarts d’heure pendant lesquels l’intéressé s’est exprimé librement.
Ensuite nous relisons les notes, les corrigeons si nécessaire. Une fois le texte de la déclaration convenu, il a été signé par la personne, le secrétaire et moi. Cependant, je n’ai pas réussi à joindre tout le monde. Sinon j’y serais encore ou presque. Mais les gens ont pu m’envoyer des déclarations écrites. Certains l’avaient fait spontanément en apprenant la visite. D’autres encore continuent et le dossier se boucle progressivement.
Qu’avez-vous appris de ces discussions ?
J’ai appris qu’il existe de profondes divisions dans le diocèse. Parmi des gens qui apprécient leur évêque, qui trouvent en lui un homme dynamique, facile d’accès, qui a beaucoup d’initiatives, des gens qui sont contents des propositions faites par le diocèse. Et d’autres, plus critiques, qui trouvent une approche trop cléricale, trop autoritaire, qui ne la comprennent pas toujours sur le plan liturgique.
La question derrière tout cela est de savoir s’il s’agit de petits incidents, et est-il normal que tout le monde dans un diocèse ne soit pas satisfait de tout, ou est-ce que cela reflète une plus grande difficulté, qui ne permettrait plus de garantir l’unité, la communion ?
A Pau par exemple, plusieurs fidèles se demandent comment l’Église peut laisser un évêque mettre une congrégation traditionaliste à la tête de la maison diocésaine.
A Pau, en effet, c’est particulièrement marqué. Mais la question des chanoines de Lagrasse, quoi qu’ils fassent, est, en un sens, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est-à-dire que, pour un certain nombre de personnes, les choses n’allaient pas.
Vous avez également reçu le principal intéressé, l’évêque. Il n’a probablement pas été surpris par les critiques à son égard ?
Une fois tous les entretiens terminés, nous avons reçu l’évêque, à la fois pour lui raconter ce que nous avions entendu et pour connaître son point de vue sur la situation du diocèse. Il a fait ça assez longtemps (plus de deux heures, ndlr), et c’est normal. Mgr Aillet est un combattant. C’est une personne qui a des convictions et qui n’a pas peur de les affirmer. Il connaissait les critiques qui lui étaient adressées. Mais encore une fois, l’essentiel est de savoir quelle importance on leur accorde et surtout à quoi ils font référence.
Quand avez-vous soumis le rapport et recommandé des mesures à prendre ?
J’ai remis mon rapport fin juillet. Tout d’abord on retrouve tous les textes des auditions. J’ai également transmis tout ce qui m’est arrivé au Vatican par courrier électronique ou postal. Pour ma part, j’ai rédigé les conclusions, une synthèse des questions que nous pourrions nous poser, sur environ 25 pages. Je recommande également des mesures sur certains points. Mais ce n’était pas une visite apostolique. Nous n’en sommes pas encore là.
Quelles décisions pourraient alors être prises ? Et quand ?
Il existe plusieurs options. Le dicastère des évêques, destinataire du rapport, l’étudie. Mais avant toute décision, le préfet du dicastère, Mgr. Prevost, rencontrera Mgr. Aillet, à Rome, lui fera part du contenu du rapport et l’écoutera. Il lui fera également part du point de vue du Vatican, des raisons de ses inquiétudes ou non à l’égard du diocèse. De là, il verra si Mgr. Aillet veut changer certaines choses ou s’il pense que tout est assez bien comme ça. Des recommandations suivront à ce stade. A moins que des mesures ne soient prises immédiatement, mais il n’y a aucune raison.
Pourrait-il y avoir une visite apostolique ?
Si le Vatican le juge utile. Cette visite serait ensuite effectuée par deux évêques (pas moi), pour arriver à des décisions. J’en ai fait un dans le diocèse de Fréjus-Toulon (où a travaillé Marc Aillet, plus tard prêtre puis vicaire général, ndlr). Par la suite, il y a eu la nomination d’un évêque coadjuteur à Toulon, c’est-à-dire un successeur, mais déjà doté de pouvoirs particuliers : c’est lui qui gère actuellement les prêtres et les communautés religieuses. Comme une sorte de protection. Mais nous ne sommes pas là à Bayonne.
Quand le saurons-nous ?
La rencontre avec Mgr Prévost aura sans doute lieu avant la fin de l’année. Nous pouvons donc nous attendre à des décisions d’ici début 2025.
Mgr Aillet se dit rester mobilisé dans sa mission
Invité à faire le point sur cette visite fraternelle, Mgr. Marc Aillet n’a pas souhaité s’exprimer “tant que les conclusions de cette visite ne seront pas connues”, a-t-il répondu. Jusqu’à présent, l’évêque a très peu parlé officiellement de cet audit. En lisant ses éditoriaux sur le site du diocèse, on peut parfois trouver, entre les lignes, des réponses à ses adversaires, notamment celle de novembre lorsqu’il parle de la « coresponsabilité » de la mission de l’Église, « des prêtres et des laïcs ». , qui doit cesser d’être considéré selon une logique de concurrence des pouvoirs ». Mais il a plus particulièrement insisté sur la visite fraternelle dans une interview enregistrée le 2 octobre sur Radio Lapurdi et Radio Présence Lourdes Pyrénées. “Je le vis de manière très sereine, je suis abandonné à la volonté du Seigneur qui passe par la volonté de l’Église” dit alors le prélat. Il a confirmé avoir été reçu par Mgr. Hérouard « qui m’a fait part des quelques reproches découlant des plaintes reçues par le Saint-Siège. J’ai pu répondre calmement aux questions lors d’une réunion qui a duré environ deux heures et demie. Dans une ambiance sereine et fraternelle.” Marc Aillet précise également avoir fourni une note écrite de 46 pages, hors pièces jointes, qu’il a adressée directement au préfet du dicastère des évêques, avec copie au nonce apostolique. Le prélat a dit attendre plutôt des recommandations du Vatican, « il faudrait quelque chose de très sérieux pour qu’une visite apostolique soit activée. Mais je n’ai pas l’impression que ce soient des choses très sérieuses même s’il faut écouter les petites choses qui se disent.” Finalement, en attendant la décision, il a annoncé qu’il ne serait pas démobilisé. « Je suis dans ma vocation, dans ma mission. Avec mes défauts, qui existent. Pouvoir profiter de cette visite pour me remettre en question est un grand avantage pour moi et pour le diocèse. »
« Si nous ne sommes pas écoutés, l’hémorragie continuera, l’Église perdra des fidèles »
Parmi les paroissiens qui ont alerté le Vatican figurent le collectif Catholiques 64 et plusieurs fidèles palois. Ils espèrent que cette visite apportera un changement.
“Il y a une vraie anticipation.” Les fidèles qui dénoncent le gouvernement Aillet, en bons chrétiens, restent dans l’espérance. Mais leur premier espoir, le plus concret, est d’être écoutés par les autorités religieuses.
Cette visite fraternelle est un premier signe, mais selon eux, après des années d’alerte, il s’agit de lettres envoyées à l’archevêque de Bordeaux, au nonce apostolique (l’ambassadeur du Vatican en France) ou encore au président de la Conférence épiscopale de France.
« Finalement, c’est le collectif qui a fait la différence, car jusqu’ici nos lettres individuelles avaient été rejetées », constate un croyant palois. Ce collectif, c’est Catholiques 64, né de l’opposition à l’installation des chanoines de Lagrasse à Pau, une autre dérive traditionaliste selon ces paroissiens, une de trop, surtout, qui a permis de rassembler colère et indignation.
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Ils sont déjà plus de 400, sans compter les groupes basques qui luttent eux aussi « depuis des années » contre les méthodes de Mgr. Aillet. Avec l’arrivée de Monseigneur Hérouard, chacun a pu, directement ou par écrit, développer ses griefs contre l’évêque de Bayonne. « Et certains continuent de le faire. C’est important parce que Mgr. Aillet s’attache à la forme, mais le fond ne change pas du tout, bien au contraire” constate un paroissien de Pau.
Dans le viseur de ces fidèles, le « cléricalisme » prôné par le prélat, qui relègue les laïcs très loin, « malgré les propos de Mgr. Mais c’est le contraire du Synode qui se déroule à Rome, avec un Pape qui dit que chacun doit prendre sa place dans l’Église catholique”, murmure un autre fidèle.
Et déplorer l’exercice de prêtres « qui ont tous les pouvoirs », qui, pour certains, « croient qu’ils sont le Christ lui-même… Pas étonnant, c’est pour cela que nous les avons formés. Des prêtres avec ce même profil, que nous collectons dans toute la France pour la personnalité de Mgr. Aillet», murmure-t-il.
Selon le collectif « le diocèse est désormais fracturé. Monseigneur Hérouard l’a constaté. Même le presbytère, entre ceux de la génération précédente et ceux qui arrivent. »
Conserver Aillet jusqu’à la retraite ?
C’est pourquoi les attentes sont élevées. « Soit Rome entend ce qui est dit, les souffrances et les problèmes des fidèles, et veut y mettre un terme, soit l’hémorragie continuera. Les gens quitteront l’Église catholique, s’ils ne l’ont pas déjà fait, parce qu’ils ne s’y reconnaissent plus. »
Le collectif estime que si le résultat de cette visite se limite à des recommandations, « elle ne servira à rien. L’évêque fera ce qu’il voudra.” Quant au départ du prélat, ou à la nomination d’un assistant, certains l’espèrent, comme les Basques du groupe Aintzina Xutik. « Mais qui voudrait reprendre un diocèse dans cet État… Et où irait Mgr. Aillet ? J’ai peur qu’on doive la garder jusqu’à sa retraite, soit encore huit ans”, ajoute sans le vouloir un fidèle Palois.
Quant à la sérénité affichée jusqu’ici par le prélat, la communauté en doute. «S’il était si paisible, s’il n’avait rien à se reprocher, cela ne justifiait peut-être pas ses mémoires de 46 pages. Ni une telle agitation entreprise avec des lettres de soutien qui n’étaient en réalité que le copier-coller d’une lettre de base préparée par le diocèse lui-même”, affirment les opposants de l’évêque.
Ils affirment toutefois « rester confiants dans l’Église catholique ».