Par Didier Rebut, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas, Directeur de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris, Membre du Club des Juristes
Dans quel contexte la CPI a-t-elle émis des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant ? Quel est leur contenu ?
Ces mandats d’arrêt ont été émis dans le cadre d’une enquête ouverte par le procureur de la CPI sur « la situation dans l’État de Palestine ». Cette enquête a amené le procureur de la CPI à demander des mandats d’arrêt le 20 mai 2024 contre M. Benyamin et Yoav Gallant, les accusant d’être responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui auraient été commis par l’armée israélienne dans le cadre des opérations de guerre qu’elle mène. dans la bande de Gaza depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023. C’est en réponse à cette demande que la Chambre préliminaire I de la CPI a émis ces deux mandats d’arrêt le 21 novembre.
Un mandat d’arrêt n’est pas a priori pas publique. La chambre préliminaire a toutefois décidé de communiquer sur le contenu des deux mandats d’arrêt émis contre Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, expliquant que des actes similaires à ceux visés par ces deux mandats d’arrêt sont en train d’être commis. Elle semble donc considérer que la divulgation de leur contenu serait justifiée par la nécessité d’alerter sur la poursuite actuelle des crimes visés par ces mandats d’arrêt alors qu’ils concernent la période comprise entre le 8 octobre 2023 et le 20 mai 2024, date à laquelle de la demande du Procureur. Elle ajoute que cette communication se fait également dans l’intérêt des victimes et de leurs familles. On peut aussi penser que les magistrats de la chambre préliminaire ont surtout voulu se communiquer sur ces mandats d’arrêt pour éviter les spéculations et les fausses informations qui n’auraient pas manqué si elles étaient restées secrètes. Cette publicité avait déjà été faite par le procureur de la CPI lors de la présentation de sa demande le 20 mai 2024, puisqu’il avait fait conjointement une déclaration très précise sur les faits qui justifiaient selon lui sa demande. Le communiqué de la Chambre préliminaire sur le contenu des deux mandats d’arrêt s’inscrit donc dans la continuité de la publicité donnée à cette procédure.
Concernant leur contenu, les informations communiquées par la chambre préliminaire révèlent que les deux mandats d’arrêt soutiennent largement la demande du Procureur, ce que ce dernier a souligné dans un communiqué publié le même jour.
Comme le Procureur l’a demandé, les deux mandats d’arrêt incriminent MM. Netanyahu et Gallant pour la perpétration de crimes de guerre entre le 8 octobre 2023 et le 20 mai 2024, qui auraient consisté en l’utilisation de la famine comme méthode de guerre. Le communiqué indique qu’ils ont sciemment privé la population civile de Gaza de nourriture, d’eau, de médicaments, de carburant et d’électricité en bloquant ou en limitant l’aide humanitaire. Il précise que la chambre préliminaire a considéré que ces restrictions ne répondaient pas à un objectif militaire et que seule une aide humanitaire minimale était autorisée.
Les mandats d’arrêt incriminent également MM. Netanyahu et Gallant pour crimes contre l’humanité conformément à la demande du procureur. La chambre préliminaire a ainsi considéré que les opérations de guerre menées par l’armée israélienne dans la bande de Gaza avaient donné lieu à une attaque généralisée et systématique contre sa population civile et que, dans ce contexte, les crimes contre l’humanité à travers les meurtres, les persécutions et d’autres actes inhumains.
Le communiqué explique ces qualifications. Ainsi, le crime contre l’humanité pour meurtre se caractériserait par la destruction d’une partie de la population civile de Gaza en raison du manque de nourriture, d’eau, d’électricité, de carburant et de fournitures médicales ; les actes inhumains se caractérisent par le fait que les médecins de Gaza ont été contraints d’effectuer des opérations sans anesthésie, y compris sur des enfants, du fait que l’armée israélienne aurait limité, voire intentionnellement empêché, l’approvisionnement de Gaza en médicaments anesthésiques ; les persécutions consisteraient en la privation de la population civile de Gaza de ses droits fondamentaux à la vie et à la santé et alors que cette population aurait été ciblée pour des raisons politiques et/ou nationales. En revanche, les mandats d’arrêt ne retenaient pas la qualification de crimes contre l’humanité par extermination qui avait été demandée par le Procureur.
Les mandats d’arrêt accusent MM. de ces crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Netanyahu et Gallant sont co-auteurs, ce qui signifie que leur commission leur est directement et personnellement reprochable. Ils les accusent également de crimes de guerre en tant que supérieurs civils pour avoir intentionnellement dirigé une attaque contre la population civile.
Quels sont les effets de ces mandats d’arrêt contre MM. Netanyahou et Gallant ?
Ces mandats d’arrêt n’ont pas d’effet immédiat pour MM. Netanyahu et Gallant qui vivent en Israël, qui n’est pas partie à la CPI. La population israélienne semble résolument les soutenir. Ils n’ont donc rien à craindre de ces mandats d’arrêt dans leur pays.
Le principal effet de ces mandats d’arrêt est a priori de les empêcher de se rendre dans un Etat qui a adhéré au statut de la CPI car cette adhésion leur impose de respecter ses décisions et notamment d’exécuter les mandats d’arrêt émis par elle s’ils sont en mesure de le faire. Un État partie à la CPI devrait donc arrêter MM. Netanyahu ou Gallant s’ils se rendent sur son territoire. Bien entendu, cette arrestation n’est pas certaine car elle dépend de la décision de chaque État de donner effet à ces mandats d’arrêt sur son territoire. Mais il est difficile pour un Etat de droit de refuser de respecter les mandats d’arrêt qui lui sont imposés en vertu d’une convention internationale à laquelle il a librement accepté d’adhérer. En ce sens, le gouvernement italien a indiqué qu’il serait obligé de faire arrêter M. Netanyahu en Italie, même s’il a en même temps fermement condamné la décision de la CPI. Les mandats d’arrêt de la CPI mettent donc MM. Netanyahu et Gallant à être arrêtés dans les pays qui ont rejoint la CPI. Cela devrait les dissuader de s’y rendre sauf, peut-être, dans des cas exceptionnels où ils auraient reçu l’assurance de ne pas être inquiétés. Par exemple, M. Victor Orban, Premier ministre de Hongrie, pays membre de la CPI, a indiqué qu’il n’avait pas l’intention de donner effet aux mandats d’arrêt et qu’il avait même invité M. Netanyahu à visiter son territoire.
En revanche, les mandats d’arrêt de la CPI n’ont aucun effet dans les pays qui ne sont pas parties à son statut. C’est bien entendu le cas des États-Unis, qui ont vivement critiqué la CPI et qui prendront probablement des mesures de rétorsion à son encontre. C’est également le cas par exemple de la Chine, de l’Inde ou de la Russie qui n’ont pas adhéré à la CPI. MM. Netanyahu et Gallant peuvent s’y rendre sans aucun risque d’être arrêtés, puisque les mandats d’arrêt de la CPI n’y ont aucune valeur.
La chambre préliminaire de la CPI a également émis le même jour un mandat d’arrêt contre Mohamed Deïf, chef militaire du Hamas.
Le Procureur de la CPI avait simultanément demandé des mandats d’arrêt contre MM. Netanyahu et Gallant et contre Ismaël Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, Yahya Sinouar, chef du Hamas dans la bande de Gaza et Mohammed Deif, chef militaire du Hamas. Cette simultanéité avait suscité des critiques qui lui reprochaient d’avoir placé sur le même plan les dirigeants d’une organisation terroriste et les dirigeants élus d’une démocratie.
Ismaël Haniyeh et Yahya Sinouar ont été tués par l’armée israélienne avant que la chambre préliminaire ne prenne sa décision, ce qui a conduit le procureur de la CPI à retirer ses demandes. En revanche, la demande d’un mandat d’arrêt contre Mohammed Deif a été maintenue car la preuve de son décès, fortement présumé, n’a pas été apportée. C’est cette demande qui a conduit la chambre préliminaire à émettre un mandat d’arrêt contre lui le même jour que ceux émis contre MM. Netanyahou et Gallant. Ce faisant, la chambre préliminaire a poursuivi l’approche du procureur consistant à ne pas faire de distinction entre les crimes accusés par Israël et ses dirigeants et les crimes accusés par le Hamas et ses dirigeants. Cela lui permet aussi très commodément de ne pas émettre de mandat d’arrêt uniquement contre MM. Netanyahu et Gallant, alors qu’il semble y avoir peu de doutes sur la mort de Mohammed Deif.
Le mandat d’arrêt contre Mohammed Deif porte sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Les faits en cause sont ceux commis le 7 octobre 2023. Les mandats d’arrêt précisent que Mohammed Deif serait co-auteur de ces crimes, qu’il en aurait ordonné ou encouragé la commission et n’aurait pas exercé un contrôle approprié sur les forces sous contrôle. son commandement et son contrôle effectifs qui auraient commis ces crimes. Comme cela a été dit, ce mandat d’arrêt devrait rester inefficace compte tenu de la mort présumée de Mohammed Deif.