En l’espace de quarante-huit heures, deux câbles de télécommunications ont été coupés en mer Baltique. Si le trafic internet n’a pas été affecté, plusieurs pays avancent l’hypothèse d’un sabotage russe.
Des milliers de kilomètres de câbles. Ce dimanche 17 et lundi 18 novembre, deux câbles sous-marins de communications à fibres optiques qui relient la Suède à la Lituanie et la Finlande à l’Allemagne ont été mystérieusement coupés.
Ce qui s’est passé?
Baptisé C-Lion 1, le câble qui relie la Finlande à la Suède a été mis en service en 2006. Long de 1 172 kilomètres, il relie Helsinki à Rostock, un port de la mer Baltique au nord-est de l’Allemagne. Il a été brisé le 18 novembre selon son opérateur, le groupe technologique finlandais Cinia.
Le tronçon, situé au sud de l’île d’Öland dans les eaux suédoises, à quelque 700 km d’Helsinki, a entraîné la coupure de toutes les connexions en fibre optique.
De son côté, Arelion, le câble qui relie la Suède à la Lituanie, a été coupé dimanche 17 novembre, selon une annonce faite à l’AFP par le ministre suédois de la Défense civile. En conséquence, “la bande passante Internet a été réduite d’un tiers à cause de l’incident”, a déclaré Andrius Semeskevicius, directeur technique de l’entreprise, à la chaîne de télévision lituanienne LRT.
Le trafic Internet n’est pas affecté
Environ 450 câbles (soit 1,3 million de kilomètres) reposent désormais au fond des mers et relient les continents. Ces installations transportent ainsi la quasi-totalité des données de communication dans le monde.
Qu’est-ce qu’un câble sous-marin ? Avec Aurélien Vigano (Orange)
Un câble coupé présente donc un risque d’internet dégradé, voire de panne d’électricité pour nos ordinateurs, nos smartphones, et globalement toute notre économie, nos échanges financiers et tout ce qui dépend entièrement d’internet.
Mais le risque d’une panne totale en Europe après cet incident reste faible. En fait, le trafic Internet n’a pas été affecté par cette double panne, en raison des nombreuses autres connexions internationales disponibles dans cette région du monde.
Les navires de réparation sont prêts à se rendre sur place. Mais les délais peuvent être longs. « Généralement, pour les câbles marins, le délai de réparation est de 5 à 15 jours », estime Cinia.
Plusieurs hypothèses avancées
Pour le Service finlandais de sécurité et de renseignement (Supo), il est « trop tôt » pour déterminer la cause de la rupture. Un porte-parole souligne que « 200 ruptures de câbles sous-marins surviennent chaque année dans le monde » et qu’elles peuvent être liées à « des activités humaines, comme la pêche ou le mouillage ».
De mauvaises conditions météorologiques pourraient également être à l’origine de cette panne. « Des perturbations surviennent de temps à autre et peuvent avoir diverses causes. Par exemple, les câbles sont sensibles aux intempéries et aux dommages causés par le transport », explique Samuli Bergström, responsable des communications au Centre national finlandais de cybersécurité Traficom pour Yle.
L’hypothèse d’un mouvement de sol provoqué par l’activité sismique a également été évoquée.
Soupçons de sabotage russe
Mais la piste la plus souvent évoquée reste celle du sabotage. En effet, un navire chinois, le Yi-peng 3, qui se trouvait dans la zone des deux câbles au moment de leur coupure, laisse penser à un acte de malveillance délibéré, et non à un accident.
Une enquête pour « sabotage » a été ouvert par la Suèdeavec le soutien de l’Allemagne, concernant les deux câbles endommagés. La police finlandaise et la société Cinia ont également ouvert des enquêtes distinctes.
La Suède et la Lituanie se sont déclarées « profondément préoccupées » par la rupture du câble reliant leurs deux pays.
“Les situations de ce type doivent être évaluées en tenant compte de la menace croissante que représente la Russie dans notre voisinage”, ont déclaré les ministres de la Défense des deux pays, citant “un nombre croissant d’activités hybrides en Europe”.
De leur côté, les ministres des Affaires étrangères d’Allemagne, Annalena Baerbock, et de Finlande, Elina Valtonen, ont évoqué une « menace russe ». « Notre sécurité européenne n’est pas seulement menacée par la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, mais aussi par des guerres hybrides menées par des acteurs malveillants », ont-ils déclaré. “Un tel incident fait immédiatement soupçonner des dommages intentionnels.”
Dans une déclaration commune, les ministres des Affaires étrangères de six pays européens, dont la France, ont accusé la Russie de mener une « escalade des activités hybrides contre les pays de l’OTAN et de l’UE ».
Cette « guerre hybride » fait référence aux actions menées par Moscou pour nuire aux pays européens depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022. Elle combine des actions militaires et non militaires comme des cyberattaques, des sabotages ou encore de l’espionnage.
“Personne ne croit que ces câbles ont été coupés par accident (…) Il faut partir du principe (…) qu’il s’agit d’un sabotage”, a ajouté le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius. Mardi 19 décembre, avant une rencontre avec ses homologues européens.
Le Kremlin juge cette hypothèse « risible » et « absurde ». “C’est risible étant donné l’absence de réaction face aux activités de sabotage de l’Ukraine en mer Baltique”, a ironisé mercredi 20 novembre le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, en faisant référence au sabotage des gazoducs Nord Stream en septembre 2022 pour lequel Moscou a accusé Kiev.
Une série de tensions dans la région
Ce n’est pas la première fois que des incidents ont lieu en mer Baltique, zone maritime partagée entre la Russie et plusieurs pays européens dont la Pologne, l’Allemagne et les pays nordiques. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les incidents suspects se multiplient dans cette mer très disputée.
En octobre 2023, un gazoduc sous-marin entre la Finlande et l’Estonie ainsi que plusieurs câbles de communication ont été endommagés et fermés après avoir été heurtés par l’ancre d’un cargo chinois. l’enquête n’a pas permis d’établir si l’action était accidentelle ou intentionnelle.
Un an plus tôt, en septembre 2022, les gazoducs Nord Stream avaient été endommagés par une explosion, sans qu’un responsable ne soit identifié. En août dernier, Le Wall Street Journal a accusé l’Ukraine d’en être responsable, ce que Kyiv nie.