Les québécois sur le point d’être trop chers

Les québécois sur le point d’être trop chers
Les livres québécois sur le point d’être trop chers

Le prix des québécois a longtemps résisté à l’inflation. Nous croyions presque qu’il résisterait encore et encore à cet envahisseur. Mais la réalité rattrape les éditeurs – et par effet domino, toute la chaîne du livre. De 2014 à 2024, le prix de vente moyen en librairie a augmenté de 19 %, selon une étude dévoilée par la Société de gestion des banques de titres francophones (BTLF). Les éditeurs estiment qu’ils vont bientôt devoir franchir le « seuil psychologique » du prix de leurs livres. Certains grugent déjà leurs marges de rentabilité.

Pour la même période, la hausse de l’Indice des prix à la consommation a été de 30 % au Québec, soit une hausse nettement supérieure à celle du prix des livres.

Dans les librairies du Québec en 2018, le prix moyen d’un livre de langue française publié au Canada était de 17,86 $. En 2021, il atteignait 19,85 dollars, selon le rapport Gaspard. Pour 2024, jusqu’à présent, c’est 22,29 $. Une augmentation constante.

Ce prix moyen est tiré à la baisse par les fortes ventes de livres jeunesse plus économiques, rappelle Patrick Joly, directeur général de la BTLF.

«Il faut dire qu’on avait du rattrapage à faire», a déclaré Marc-André Audet, fondateur des éditions Les Malins. « Les livres au Québec se vendaient pratiquement au même prix qu’il y a 25 ans. »

Et oui, Les Malins, qui ciblent les jeunes et les adolescents, fait partie de ceux qui « font passer les livres de 14,95 $ à 19,95 $ depuis plusieurs années… et pourtant c’est beaucoup moins rentable maintenant ».

À 20 $, il y a un vrai seuil psychologique, estime M. Audet. Faut-il le traverser ?

Transports et papier

L’étude BTLF met en avant la forte croissance du coût de transport des livres : +69%, depuis 2014. L’analyse a été commandée par l’Association des Distributeurs Exclusifs de Livres de Langue Française (ADELF), celles qui assurent la circulation des livres et leur stockage.

«Nos coûts explosent depuis une dizaine d’années», explique le directeur général, Benoît Prieur. C’est pour documenter cette réalité que l’ADELF a commandé cette analyse. « Nous avons décidé de révéler les résultats à nos partenaires. »

Les augmentations de coûts ont un impact sur la rentabilité de la distribution de livres et sur « l’économie globale de l’industrie ». Il faut réfléchir ensemble à cette question», estime M. Prieur.

L’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) a réagi par communiqué, soulignant que le coût de production des livres a également explosé, notamment entre 2020 et 2023.

Plusieurs maisons d’édition font état d’une hausse des coûts d’impression de 40 à 50 %, dans un contexte où les subventions stagnent et ne sont pas indexées au coût de la vie, poursuit la présidente, Geneviève Pigeon.

«Les éditeurs et libraires subissent des hausses qui affectent la production, l’expédition du service de presse et les frais de retour des nouveautés invendues», estime Antoine Tanguay, président fondateur d’Alto.

Le coût du papier a augmenté deux fois et demie, estime Marc-André Audet. « Tsé, avant, est-ce que tu voyais des romans pour enfants écrits en très gros caractères, pour faciliter la lecture ? Aujourd’hui, plus personne n’en fabrique : trop de papier, trop cher. »

M. Audet a désormais fixé un nombre maximum de mots pour les manuscrits qu’il accepte, alors qu’avant, sourit-il, « on avait juste un minimum. Maintenant, si vous me donnez un manuscrit de 80 000 mots, nous le diviserons en deux volumes. »

De meilleurs droits d’auteur

Plusieurs éditeurs cherchent donc à réduire les coûts, « et oui, un peu, la qualité de l’objet livre », observe Antoine Tanguay. Il fait le pari d’entretenir son amour des jolis livres, de « faire des choix esthétiques – tamponnage, vernissage, etc. – sans augmenter le prix », en profitant de ses marges.

L’ANEL s’inquiète : « Les maisons d’édition souhaitent que le livre reste à la portée de tous et soit compétitives face à l’importation massive de livres européens. Mais à quel prix ? Cela devient un défi pour nous. »

Selon le rapport Gaspard 2023, le prix moyen d’un livre en édition étrangère est encore un peu plus élevé. L’année dernière, il coûtait 22,60 $, tandis que l’édition canadienne coûtait 20,71 $.

Peut-on franchir des seuils de prix psychologiques ? Oui, admet Marc-André Audet, puisque c’était 15 $ pour le livre jeunesse, qui peut maintenant monter jusqu’à 19,95 $. « Mais nous avons toujours peur. Avec quel auteur vais-je tenter cette chance ? Avec un nouvel auteur ? Et si ça ne marche pas, tant pis pour elle ? Nous sommes prudents car nous ne voulons pas que ce soient les auteurs qui paient. »

C’est peut-être l’avantage de cette augmentation de prix. La part des droits d’auteur, qui se situe généralement entre 8 % et 12 %, augmente en dollars avec le prix du livre. « Quant à Joueur », illustre le propriétaire des Malins, la série à succès de Pierre-Yves Villeneuve. Lancé en 2016, son premier volume s’est vendu 12,95 $. Maintenant, c’est 14,95 $. Et le tome 11 coûte 19,95 $. « C’est génial pour les auteurs, pour qui ça fait une différence. Mais pour nous, ça ne paie plus. »

Des solutions ? Les idées, en général, des différents interviewés : un dégel des subventions accordées par le Fonds du livre du patrimoine canadien ; tarification spéciale pour l’envoi de produits culturels ; aide à la participation aux salons du livre. Mais aucune de ces solutions n’est magique, et ceux qui les proposent le savent et le disent.

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