“Depuis que je suis parti, je dors quatre heures par jour”

Justine Mettraux, 38 ans, photographiée ici sur son bateau aux Sables-d’Olonne, le 5 novembre, avant le départ du Vendée Globe.

AFP

Dans l’eau, Justine Mettraux ne se montre pas trop franche. « Le lien n’est jamais évident, nous avons de la chance là-dedans », confirme-t-il. Depuis son départ des Sables d’Olonne dimanche, le Genevois n’a parlé à personne. “Je préfère répondre aux félicitations par SMS, cela me permet de communiquer quand j’en ai vraiment l’occasion.” Pour nous, alors qu’elle navigue au large des îles Canaries, le skipper de TeamWork-Team SNEF revient sur le début de son aventure, le cinquième jour de son premier Vendée Globe.

Justine, nous étions censés parler tôt jeudi matin. Mais on nous a dit que vous rencontriez des conditions compliquées. Rien de sérieux?

Non non, c’est juste qu’au moment de notre rencontre c’était l’aube. Il y avait des rafales et le vent était très instable, tant en force qu’en direction. Donc ce n’était pas vraiment le bon moment pour te parler (sourire).

Avec du recul, comment se passe ce début d’aventure depuis dimanche ?

Jusqu’à présent, c’est à peu près ce à quoi je m’attendais. Je suis en mode course sur l’Atlantique mais il faut garder à l’esprit que le bateau doit faire le tour du monde. J’essaie de trouver le bon équilibre entre aller fort et ne pas pousser trop fort.

Passer de la foule immense avant le départ au silence et à la solitude en mer, comment gérer cela ?

Je me suis préparé mentalement à cela. Il y avait tellement de monde près des quais avant le départ, ça m’a fait chaud au cœur de voir autant d’enthousiasme du public. Une fois que nous commençons, nous passons en mode course. Cette étape est importante mais je pense qu’elle s’est faite de façon tout à fait naturelle pour moi.

On a vu les deux autres Suisses, Alan Roura et Oliver Heer, en larmes alors qu’ils disaient au revoir à leurs proches. Pas toi.

Il y a eu beaucoup d’émotion à ce moment-là. Mais je ne voulais pas montrer de tristesse. Je voulais qu’il soit heureux de me voir relever ce défi, pas qu’il s’inquiète. Alors, avant de monter sur le bateau, je me suis récupéré. Car ce n’est pas l’image que je souhaitais laisser à mes proches.

En préparant cette interview, nous avons lu que des gens du secteur, vos collègues, vous surnommaient la « machine ». Pour ça ?

Je pense que c’est parce que quand je suis sur un bateau, je suis un combattant. Je n’abandonnerai pas. Ou peut-être par rapport aux efforts que je mets dans mes projets. Mais je vous assure que je ne suis pas une machine (monter). Je fais parfois des erreurs et c’est certainement le cas depuis mon départ. Cela fait partie du jeu, j’apprends.

Le Vendée Globe est une aventure pleine d’incertitudes. Est-ce difficile de ne pas avoir le contrôle ?

Non, je le vois plutôt comme un défi à relever. J’essaie d’aborder la course par tronçons, cela enlève l’appréhension et me permet de progresser petit à petit. En Vendée, nous savons que les choses peuvent s’arrêter du jour au lendemain, en cas d’accident ou de problème technique. J’essaie donc de le prendre un jour à la fois.

Justine Mettraux travaillant sur son bateau, au milieu de l’eau, ça ressemble à quoi ?

J’écoute, j’analyse mais surtout j’essaie de prendre le temps pour arriver au bon endroit. Une fois que je sais clairement où je veux aller, c’est là que je vais rapidement, souvent. Quand on doute, quand on n’est pas sûr de sa stratégie, c’est souvent qu’on navigue moins bien.

Justine Mettraux al momento della partenza da Sables-d’Olonne.

IMAGO/ABACAPRESS

Combien de temps as-tu dormi depuis dimanche ?

Je dirais quatre heures par jour. C’est du sommeil interrompu, des petites siestes. Nous avons eu des conditions assez musclées après le départ, avec beaucoup de manœuvres. Cela va se calmer, avec ce long bord pour descendre vers la dépression. On risque de dérouler un peu plus donc cela nous permettra de nous reposer un peu plus. Après, même si on s’allonge, on n’arrive pas toujours à dormir. Il faut quelques jours pour se familiariser avec la course et son rythme. Mais depuis 48 heures, à chaque fois que je me couche, je m’endors directement. Cela vous permet de récupérer plus efficacement.

Lorsque vous n’êtes pas alerte ou que vous ne dormez pas, prenez-vous le temps de vider votre esprit ?

Disons simplement que je n’ai pas encore eu le temps (sourire). Je mange, je prends le temps de répondre aux compliments. Il y avait beaucoup de choses à faire dès le départ : des empannages, des changements de voiles, beaucoup de stratégie. Et c’est vrai que j’utilise mon temps libre avant tout pour me reposer. Mais j’espère que les passe-temps viendront plus tard.

Qu’est-ce que tu vas faire?

J’ai collectionné beaucoup de choses à écouter, notamment de la musique. Un ami m’a fait des playlists. Mon beau-frère m’a fait des livres audio, j’ai une liseuse et des podcasts.

Jeudi, vous étiez 10ème après avoir choisi une option plus au nord que certains concurrents. Est-ce que le sentiment est bon ?

Oui, je ne pense pas qu’il se passera grand-chose dans les prochains jours. Le top 10 a choisi le même itinéraire pour descendre vers le Pot au Noir. Peut-être que ceux qui sont derrière reviendront un peu. Mais nous ne devrions pas avoir trop de vent ce week-end.

Avec toutes les décisions que vous devez prendre en fonction de la météo, n’avez-vous pas l’impression de jouer au poker tout le temps ?

Oui, mais je pense que je préférerais le comparer aux échecs, car c’est plus intellectuel. Nos décisions sont plus réfléchies, même s’il n’est pas toujours facile de les prendre quand on est fatigué. Il faut savoir lire les situations. Parfois, les choix sont évidents car nous avons peu d’options. Et si on en a plusieurs, il faut tenir compte des probabilités.

Justine, que vas-tu faire juste après avoir raccroché ?

J’ai un peu d’huile d’olive qui s’est répandue dans le bateau, je dois donc finir de la nettoyer (éclate de rire). C’est un super produit qu’une de mes baskets m’a ramené d’Espagne mais il n’était pas très étanche et j’en ai perdu une partie. Mais je m’en remettrai.

 
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