Donald Trump a remporté les élections du 5 novembre 2024 parce qu’il a offert aux Américains une chance de renouer avec la grandeur de leur histoire nationale. La majorité des Américains lui ont donné leur vote parce qu’ils aspirent à retrouver une Amérique dans laquelle ils se reconnaissent. Il y a eu la perte d’influence de la première puissance mondiale sur la scène internationale : départ désorganisé et sans gloire d’Afghanistan, méfiance à l’égard de la Russie, de la Chine, de l’Iran, montée au pouvoir des Brics. La victoire de Trump surmonte ces contingences extérieures. Pour ceux qui suivent depuis dix ans ce qui se passe aux États-Unis, le retour de Trump est la rencontre entre un homme qui promet la restauration d’un destin national et un peuple qui ne veut pas disparaître.
Trump est-il un populiste ? À moins de refuser de souligner les nuances du populisme, le cas Trump nécessite une analyse qui doit être replacée dans le contexte des débats et des contradictions en cours au sein de la société américaine. Après son retour fracassant, je me suis demandé s’il était possible de tirer un signe d’égalité entre le prétendu populisme de Trump et celui arrivé au pouvoir au Sénégal. L’une des raisons de la victoire de D. Trump, à mes yeux cruciale, est le rejet total d’une idéologie dont les métastases ont profondément fracturé la société américaine : le wokisme. En votant massivement pour Trump, les Américains ont rejeté le wokisme, qui présente à bien des égards des similitudes troublantes avec le pastefisme.
Le wokisme est un amalgame de théories aussi explosives qu’étranges voire absurdes, ayant pour dénominateur commun l’exaltation de l’identité minoritaire. Les minorités sont essentiellement et éternellement des victimes. Les bourreaux : l’homme blanc, le patriarcat, l’hétérosexuel. Ils sont la cause de toutes les injustices sociales, du racisme, des discriminations, de la rationalité viriliste, de l’insécurité des minorités sexuelles ou de genre et de tous autres motifs de victimisation. Toutes les minorités éveillées, c’est-à-dire éveillées, se retrouvent ainsi dans une coalition hétéroclite de vengeurs sous la bannière de l’intersectionnalité. Le mot d’ordre : minorités donc victimes, victime d’un jour, victime pour toujours. La victime a tous les droits. Le bourreau est condamné sans procès au repentir perpétuel. Ecouter sa défense ou ses dénégations, c’est discuter avec lui. Le wokiste ne discute pas. Il efface, ostracise, pathologise, intimide le contradicteur, avant de le bannir du cercle de la respectabilité publique.
Au départ, nous croyions à une autre originalité créatrice des facultés de Lettres et de Sciences Humaines, utile pour employer des universitaires sans talents comme le philosophe identitaire Ibram X Kendi avec sa Théorie Critique de la Race ou Judith Butler et son manifeste Undoing Gender ou encore le sociologue dérangé Robin. DiAngelo à la fragilité blanche. Le virus Wokist s’est échappé du laboratoire universitaire et s’est répandu dans l’espace public comme idéologie dominante, avec ses corollaires : bien-pensance, politiquement correct, progressisme, censure de tout ce qui conteste plus ou moins ses dogmes. Il a présenté les médias, le New York Times ou CNN, Hollywood, le monde des affaires. Ces élites ont fait sienne la cause de ces victimes d’une espèce nouvelle qui doivent absolument s’abstenir de tout crime sous peine de boycott, d’interdiction, d’expulsion du champ du Bien. Mieux encore, ils ont soutenu cette idéologie au prix du divorce avec les gens ordinaires de la vraie vie. Ces Américains de la vraie vie ont été moqués, qualifiés de vestiges de la vieille Amérique du « privilège blanc » à déconstruire.
L’Amérique, qui ne comprend rien au racisme systémique, qui considère le genre comme un fait biologique et non comme une option, est considérée comme raciste et transphobe. L’Amérique méritocratique, qui conteste le « privilège blanc », n’a pas compris qu’il s’agit du péché originel de l’homme blanc dont les ancêtres ont opprimé les noirs et les indigènes. L’Amérique, qui considère stupide de parler de masculinité toxique, ignore que la masculinité est la cause de toutes les violences dans le monde, contre les femmes, les animaux et les guerres. L’Amérique, qui exprime des réserves face aux enchères difficiles et à l’omniprésence publique et médiatique de la propagande LGBT+, est moquée par les machistes du pays profond. L’Amérique, qui rejette la promotion de l’avortement ainsi que la possibilité pour les femmes de disposer de leur corps comme elles le souhaitent, est vilipendée, réduite à une congrégation d’obscurantistes congénitaux indestructibles. C’est à cette idéologie stérile et lucrative du ressentiment, du progressisme revanchard, dont les excès tarderaient à s’inscrire ici (menace pour la cohésion de la nation américaine, pour l’essence de son rêve), que les électeurs de Trump ont dit : Passez au rétro !
Prouver que Pastef est wokiste est une entreprise intellectuelle trop vaste pour être exposée dans cette contribution. En revanche, des méthodes communes peuvent être identifiées : pensée unique, refus du débat, délégitimation, manichéisme. Le terrorisme intellectuel de Pastef se traduit par des attaques contre tous ceux qui osent exprimer une opinion différente, prétexte au débat. Pourtant, le troupeau d’insultes rappellera au contradicteur téméraire qu’il est destiné au débat d’idées, même s’il n’oppose insultes et anathèmes qu’à la moindre affirmation argumentative. Comme les Wokistes qui empêchent des conférences et annulent des professeurs, Pastef est un débat impossible. La délégitimation, que j’emprunte au brillant compatriote Hamidou Anne, est le fait de refuser à l’autre le droit d’exprimer son opinion. On lui refuse la responsabilité de son opinion. Il est illégitime de parler au seul motif de son appartenance réelle ou présumée à un parti ou de parler contre cette cause. Les wokistes ne font pas autrement lorsqu’ils estiment qu’une personne blanche, par exemple, n’a pas le droit de parler de racisme, simplement parce qu’elle est blanche. Il faut être racialisé pour discuter de racisme. Enfin, sous son nom Les Patriotes, Pastef divise la société entre les patriotes et ceux qui ne le sont pas simplement parce qu’ils ne sont pas de leur côté. Ils sont le camp du bien et les autres sont le camp du mal. Les wokistes fonctionnent de la même manière. Vous êtes issu d’une minorité, donc victime de fait appartenant au domaine du bien. Vous n’êtes pas une minorité, vous êtes un oppresseur, du côté du mal.
La trinité pastéfienne est en 3D : Déni-Diffamation-Délégitimation. Le déni est un autre nom pour le sectarisme. Le raisonnement argumentatif n’a aucune prise sur le sectaire. Léon Festinger, dans un livre écrit avec Henry Riecken, Stanley Schachter, Failure of a Prophecy, l’illustre assez bien : « Dites [au sectaire] votre désaccord vous tourne le dos. Montrez-lui des faits et des chiffres, il vous demandera leur origine. Il utilise la logique, il ne voit pas comment cela l’affecte. » Pastef est l’éviction de la raison par une foi sans lumière ni salut. La phrase attribuée à Tertullien colle parfaitement à Pastefien : « credo quia Strangeum » « Je crois parce que c’est absurde ». La diffamation semble faire partie de l’ADN de Pastef. La litanie des personnes livrées à l’opinion publique, dont l’honneur ou la considération sont bafouées sur la base des accusations du leader de Pastef, sans qu’il n’existe à ce jour de preuve, ne se compte plus. Les wokistes ont excellé dans ce domaine en détruisant les réputations et les carrières d’hommes politiques, d’artistes, de journalistes, de professeurs, les condamnant à la mort sociale.
Évidemment, le populisme attribué à D. Trump est l’autre nom d’une entreprise visant à restaurer une nation fracturée par une idéologie de vengeance minoritaire. Le populisme pastéfien est une entreprise en 3D dans laquelle un gang constitué dans le Déni se comporte comme des « coupe-langues » essayant de faire taire toute opinion contraire à la leur et comme des « coupe-têtes » pour liquider socialement, pas encore physiquement, celles qui sont contradictoires, par la diffamation et la délégitimation. En cela, Pastef répond à tous les besoins du wokisme.
Louis Mory MBAYE