l’essentiel
Originaire de Villefranche-de-Rouergue, Nicolas Issaly est basé à Valence, en Espagne, depuis 2008, avec son épouse Ana, une Valencienne rencontrée à Dijon lors de leur post-doctorat à l’Institut National de la Recherche Agronomique. Ils sont les heureux parents de deux enfants franco-espagnols nés à Toulouse : Pablo, 20 ans, étudiant vétérinaire à Saragosse, et Maria, 17 ans, lycéenne en dernière année. Ils ont vécu les premières heures des inondations à la télévision, incrédules et choqués par un désastre qui a atteint une ampleur que personne ne pouvait imaginer. Rassurés de savoir que leur famille espagnole n’a pas été touchée, et après avoir donné de bonnes nouvelles à ceux basés en France, tous les quatre se sont portés volontaires pour donner un coup de main armés de pelles et de seaux. Depuis le 1er novembre, ils se rendent très régulièrement dans les quartiers ravagés par des torrents de boue. D’un ton neutre, même s’il vit en Espagne depuis 16 ans, Nicolas Issaly met en avant la solidarité espagnole, notamment auprès des jeunes qui hésitent à abandonner ou à abandonner. Tout en étant critique à l’égard de la gestion, et surtout du manque de direction, des différents partis politiques.
Où étiez-vous lorsque l’eau a englouti certains quartiers de Valence ?
Tout d’abord, je voudrais souligner que l’eau n’est pas arrivée à Valence parce que nous sommes « protégés » par le lit du nouveau tracé de la rivière Turia, construit après les inondations de 1956. Il borde la ville à l’ouest et rejoint le port marchand de Valence, le 4ème de ce type en Europe. Autant dire qu’il a parfaitement rempli son rôle en protégeant la ville d’un désastre qui aurait été bien plus meurtrier. En à peine une heure, ce canal, habituellement à sec, s’est transformé en une rivière aux courants dévastateurs. Malheureusement, les villes de la banlieue sud-ouest ont été englouties par des mètres cubes d’eau et de boue provenant des rivières locales qui trouvent leur embouchure dans le parc naturel de l’Albufera avant de se jeter dans la mer.
Mardi 29 octobre, vers midi, les premières images d’inondations dans des communes plus à l’ouest (Utiel, à 50 km de Valence) ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. Il ne pleuvait pas et il n’a pas plu à Valence ce jour-là. Je suis rentré vers 18 heures et ce n’est que vers 20 heures que nous avons pris conscience de l’ampleur de la situation, en voyant les premières images de la banlieue sur la chaîne d’information locale, puis au JT. au niveau national à 21 heures. Si je me souviens bien, ce n’est que vers 20 heures que l’alerte a été donnée lorsque tous les téléphones se sont mis à sonner à l’unisson dans la maison.
Quelles ont été vos réactions ?
C’est d’abord l’incrédulité qui nous a envahis à la vue des premières images (ponts détruits, torrent d’eau dans les rues emportant tout sur son passage…). Nous avons entendu notre neveu qui habite Carlet (zone inondée mais épargnée par rapport aux autres banlieues proches) qui nous a rassuré que lui et sa famille étaient hors de danger. Je pense que nous sommes restés éveillés très tard dans la nuit pour regarder les informations en direct. Comme nous vivons à Valence, nous sommes allés travailler le lendemain et Maria est allée au lycée. Devant l’ampleur des dégâts (pas de métros ni de trains, aéroport fermé pendant 24 heures, rocades partiellement détruites et impraticables) rendant la circulation impossible autour de Valence, nous avons télétravaillé jeudi 30 octobre.
Le bénévolat était-il une évidence pour vous ?
Oui, sans l’ombre d’une hésitation. Les Espagnols ont une conception de la solidarité, du volontariat, une empathie émotionnelle naturelle qui ferait pâlir d’envie n’importe quel Aveyronnais. C’est donc tout naturellement que nous nous sommes rendus à Picanya, vendredi 1er novembre (jour férié), pour aider la famille d’un collègue de travail de mon épouse. On ne s’est même pas posé la question, c’était dans l’ordre des choses d’y aller. Nous sommes partis très tôt le matin car depuis Valence, il faut compter une bonne heure de marche pour arriver au « ground zero »*. Devant nous, la dévastation et le malheur de la population locale… Mais, en même temps, un flux continu de volontaires armés de pelles et de seaux nous a donné la dose de courage dont nous avions tous besoin. Nous sommes trois jours après le début de la catastrophe et pas un seul policier, militaire ou pompier (du moins là où nous sommes). Je voudrais souligner un point : parmi le flux incessant de bénévoles qui traversent le nouveau « cauce del rio Turia » (« lit de la rivière Turia »), il y a toute la jeunesse valencienne (lycéens, étudiants et trentenaires). C’était incroyable. Le lendemain, Maria est allée aider dans une école ; nous nous sommes rendus dans l’un des nombreux centres de collecte de nourriture et de produits de première nécessité.
Comment vous êtes-vous organisé pour cela ?
J’ai repris le travail le lundi 4 novembre, en télétravail, et ma femme – qui travaille dans un centre de recherche régional (l’équivalent de l’INRA en France) – y est revenue dans la semaine avec ses collègues de travail et le petit. matériel utilisé sur le terrain (pelles, brouettes, etc.) car ils étaient autorisés à circuler dans des véhicules utilitaires accrédités par la région. Jeudi 7 novembre, Pablo est venu avec deux amis de la faculté vétérinaire de Saragosse pour l’aider.
Nous sommes rentrés en famille ce week-end dernier, à Benetússer, cette fois armés d’outils, de masques et de gants ; l’odeur et le risque d’infection étant élevés du fait de l’eau stagnante et je préfère laisser de côté le reste. Parmi les volontaires, nous avons rencontré des gens de Castellón, Alicante, Murcia, Madrid.
Les élus et même le roi furent accueillis comme des « assassins ». Qu’en penses-tu?
Je crois pouvoir parler au nom des Valenciens en disant que l’attitude de Felipe VI et de la reine Letizia a été exemplaire de dignité ; qu’ils étaient à la hauteur de la tâche. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant de Carlos Mazón (président de la région de Valence, membre du Parti populaire) et de Pedro Sanchez (chef du gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol) qui se reprochent mutuellement leur inaction depuis le début.
Le premier nommé a tardé à donner l’alerte (vers 20 heures, il était déjà trop tard), d’autant qu’il avait été prévenu dans la matinée par l’agence météorologique ; le second n’a pas envoyé l’aide nécessaire dans les jours suivants, affirmant qu’elle ne lui avait pas été demandée. Personnellement, nous ne sommes pas allés à la manifestation de samedi dernier, organisée par l’opposition de gauche-extrême gauche et les syndicats, pour réclamer la démission de Carlos Mazón – qui devra rendre des comptes, le contraire serait inacceptable –, et nous ne le ferons pas non plus. rendez-vous ce week-end à la manifestation organisée par l’extrême droite pour réclamer la tête de Pedro Sánchez. Nous préférons nous armer de pelles et de seaux et nous nous sentons plus chez nous qu’avec une pancarte à la main.
Selon vous, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?
Toute la chaîne décisionnelle n’a pas fonctionné, et qui continue de mal fonctionner. On atteint ici la limite des institutions espagnoles qui restent, on a tendance à l’oublier, une jeune démocratie. Partage des pouvoirs et décentralisation, lorsque les administrations respectives sont de bords politiques différents, il n’y a pas de meilleur moyen de marquer contre son camp ou, pour imaginer un sport qui m’est plus familier, de jouer aux portes des saloon sur un terrain de rugby. Au-delà de ce constat factuel entre le gouvernement de Valence, à droite, et le gouvernement de Pedro Sanchez, à gauche, ce sont des décennies de politique urbaine, où le béton a envahi la Costa Blanca, qu’il faut pointer du doigt si l’on veut savoir quelque chose de ce drame. Ce n’est pas la pluie à Valence qui est responsable des inondations, mais le phénomène de « gota fria » (réchauffement climatique et climat méditerranéen) et le ruissellement des eaux vers Valence qui ont conduit à la formation de ce torrent de boue. Alors que la Cop29 s’ouvre à Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, la réélection d’un climato-sceptique à la tête des États-Unis est le pire signal possible.
Comment voyez-vous l’avenir de ces quartiers ?
Je pense qu’il va falloir un bon mois pour faire le ménage et retrouver un semblant de vie en petite couronne. Pour ceux qui ont tout perdu (maison, emploi, magasin, voiture), cela prendra des années. Nous parlons de plus de 120 000 véhicules mis à la casse. Quand on sait le temps qu’il faut pour commander un nouveau véhicule, je n’imagine pas le temps qu’il faudra pour renouveler le parc automobile de la ville. Sans parler des prix de l’occasion qui vont s’envoler dans les prochains mois. Il faut reconstruire les voies ferrées (trains et métros), les grands axes routiers qui desservent Valence, les ponts, les écoles… Le projet est immense. Mais l’Espagne a des ressources et ce n’est pas par habitude ici d’abandonner ou d’abandonner. Quand on voit l’énergie que les jeunes mettent à tout nettoyer, « hay futuro » comme on dit ici.