En fin de matinée du samedi 8 juin, sur une plage de Tel-Aviv, un micro crépite soudain. C’est celle de la caserne des sauveteurs qui surplombe le rivage. Habituellement, ils n’interviennent que pour rappeler à l’ordre les nageurs imprudents. Cette fois c’est différent : « Chers tous, voici un message des sauveteurs de Tel-Aviv-Yaffo : nous vous annonçons que quatre otages ont été libérés par Tsahal à Gaza ce matin. Leurs noms sont : Noa Argamani, Almog Meir Jan, Andrey Kozlov et Shlomi Ziv… »
Immédiatement, des cris de joie éclatent et les nageurs applaudissent. Huit mois presque jour pour jour après les attentats du 7 octobre, la nouvelle d’un sauvetage héroïque digne de l’opération d’Entebbe (raid légendaire organisé par Israël en Ouganda en 1976) se répandit comme une traînée de poudre dans tout le petit pays.
Parmi les otages libérés, tous kidnappés sur le site du festival de musique Nova, Noa Argamani était devenue, malgré elle, l’un des symboles du massacre perpétré par les terroristes. Le monde entier se souvient de l’enlèvement filmé de cet étudiant de l’université Ben Gourion. Juchée sur une moto, terrifiée, elle est emmenée de force vers Gaza entre deux hommes en civil. En franchissant la barrière de sécurité neutralisée quelques heures plus tôt, on la voit crier, les mains liées : « Ne me tue pas ! »
Pour le libérer, l’armée israélienne n’a pas lésiné sur les moyens
Pour le libérer, ainsi que trois de ses compagnons d’infortune, l’armée israélienne n’a pas lésiné sur les moyens. Préparée de longue date, cette mission de sauvetage a été baptisée « Summer Seeds ». Selon le « New York Times », des analystes américains et britanniques présents sur le territoire israélien ont fourni des informations provenant de drones et du cyberespace pour aider à localiser les quatre otages. Le jour J, le Shabak, les forces armées des services de renseignement et le Yamam, le commando de police spécialisé dans l’exfiltration en zones urbaines dangereuses, ont pris le risque d’opérer en plein jour.
Déguisés en réfugiés gazaouis, les Israéliens sont montés dans un camion et une voiture portant des plaques d’immatriculation palestiniennes. Il a été décidé de lancer l’opération simultanément dans deux bâtiments séparés d’environ 200 mètres de peur que des terroristes du Hamas, informés d’une intervention dans l’un, ne tuent ou n’exfiltrent les otages détenus dans l’autre. Mais l’un des véhicules de secours, banalisé et immatriculé à Gaza, est resté bloqué dans les ruelles du camp où le Hamas appelait les civils au rassemblement. Les tirs visant à le libérer ont été intenses, entraînant de nombreux morts, de l’aveu même des forces israéliennes. Un officier affirme n’avoir pas éprouvé « un tel sentiment de folie au cours des huit derniers mois ».
Le reste après cette annonce
Bombardements de l’armée de l’air, tirs d’hélicoptères, de la marine et des drones : un déluge de tirs s’est soudainement abattu sur le camp de Nousseirat, situé au milieu de la bande de Gaza pour couvrir l’évacuation des captifs et la sortie des troupes prises sous le feu, celles de la 98ème Division Parachutiste, les fantassins de Kfir, les combattants de la 7ème Brigade, la Patrouille Givati et la 13ème Flotte. L’équipe de combat de la Brigade parachutiste et des membres des forces spéciales ont transporté les otages libérés jusqu’au point de dépôt par hélicoptère sur la plage. Dès leur arrivée sur place, les hélicoptères de sauvetage ont essuyé des tirs de missiles sol-air. La rue où ont été détenus Noa Argamani, 26 ans, Almog Meir Jan, 22 ans, Andrey Kozlov, 27 ans, et Shlomi Ziv, 41 ans, n’est plus qu’un champ de ruines.
Si de nombreuses zones d’ombre subsistent, quelques éléments permettent de lever un coin du voile. Selon les témoignages des proches de Noa, les quatre captifs semblent avoir été détenus dans des conditions « humaines ». Le médecin Itay Pessach, chargé de les examiner et de les soigner, a témoigné sur CNN que les quatre otages étaient « régulièrement battus » et que leur captivité « avait un impact significatif sur leur santé ». Tous étaient hébergés dans des familles palestiniennes, dont les appartements étaient gardés par des hommes armés du Hamas.
Les combats les plus éprouvants et les plus tendus ont eu lieu dans l’appartement où étaient détenus Almog, Andrey et Shlomi. Son propriétaire, Abdullah Al-Jamal, était un contributeur du site Palestine Chronicle et un contributeur de la chaîne qatarie Al-Jazeera. Selon Tsahal et le Shin Bet, le journaliste tué lors de l’opération était sans aucun doute membre de l’organisation terroriste. Au cours de l’assaut, l’officier Arnon Zamora, entré le premier pour diriger son équipe, a été mortellement blessé par des tirs du Hamas. La mission de sauvetage a depuis été rebaptisée Opération Arnon, en hommage à son héroïsme.
246 jours de captivité
Noa aurait été déplacée plusieurs fois d’une maison à l’autre depuis le 7 octobre, mais toujours à l’air libre, jamais dans des tunnels, comme elle l’aurait confié à ses proches. Confinée la plupart du temps, elle a rarement vu la lumière durant ses 246 jours de captivité. La maison où elle a été secourue appartenait, dit-elle, à de riches Gazaouis. Le patriarche de la famille lui aurait dit qu’elle « était bénie par Dieu » d’être détenue chez lui.
Durant sa première période de captivité, elle dit que la nourriture était rare. Son quotidien s’améliore dès son arrivée dans cette maison, même si elle est traitée comme une servante, obligée d’effectuer des tâches ménagères. « Ils ont ouvert la porte de ma chambre sans frapper pour m’ordonner d’aller faire la vaisselle », témoigne-t-elle.
Au fil des semaines, Noa a appris un peu d’arabe pour pouvoir communiquer. On lui donnait à manger quand elle le voulait, mais elle devait demander à prendre une douche. Le matin de sa libération, la jeune femme faisait la vaisselle. Des hurlements retentirent. En courant dans le salon, elle se retrouve nez à nez avec des hommes masqués : « Nous sommes Tsahal ! » criaient-ils en hébreu.
Sous le choc, Noa a mis du temps à comprendre ce qui se passait. Jusqu’à ce qu’un militaire lui demande s’il pouvait la hisser sur son épaule : « C’est alors, explique-t-elle, que j’ai compris que j’étais en train d’être sauvée ! » Quelques heures plus tard, de retour en territoire israélien, elle court au chevet de sa mère, Liora, au centre médical Sourasky (hôpital Ichilov) à Tel Aviv. En phase terminale d’un cancer, elle est inconsciente. Aurait-elle pu ressentir la présence de cette jeune fille tant pleurée dont elle ne cessait d’espérer le retour ?
Couronnée de succès, l’opération qui, selon le Hamas, a fait 274 morts côté palestinien et des centaines de blessés pourrait cependant avoir des conséquences néfastes sur les 116 autres otages israéliens. Masqué par son keffieh rouge, Abou Obeida, porte-parole fantôme du Hamas à Gaza, a menacé sur Telegram : « Cette opération représente un grand danger pour les prisonniers ennemis que nous détenons. Cela aura un impact dévastateur sur leurs conditions de vie. » Il a en outre affirmé que le commando israélien avait tué des « prisonniers » lors de leur manœuvre, sans fournir leurs identités.
Mais ses déclarations ont peu de résonance en Israël. Pas plus d’ailleurs que les mauvaises nouvelles qui ont émaillé le retour des quatre otages : la maladie avancée de la mère de Noa Argamani, la mort du père d’Almog Meir Jan, retrouvé sans vie à son domicile le jour même, puis que l’armée est venue annoncer la libération de son fils. Car depuis l’attentat du 7 octobre, aucune victoire symbolique n’est venue à ce point remonter le moral d’un pays perdu dans le brouillard et la sidération.
Le succès de cette opération commando a redonné espoir aux familles des otages sans que l’on sache vraiment combien sont encore en vie. Pour autant, fera-t-il oublier le goût amer laissé par une classe politique soupçonnée de n’avoir ni les compétences ni l’esprit d’unité nécessaires pour mener Israël à la victoire ? Alors que le chef de l’opposition, Benny Gantz, a annoncé le 9 juin sa démission du conseil de guerre, rien n’est moins sûr.