mère et fils jugés pour meurtre

mère et fils jugés pour meurtre
mère et fils jugés pour meurtre

A la cour d’assises de Pau, le médecin légiste explique d’une voix blanche l’état dans lequel il a trouvé la victime. Renaud Leprince, 66 ans, était allongé sur le dos, la main droite tendue dépassant d’une pile de vêtements, le visage tuméfié. Il présentait de multiples blessures de défense et son corps était lacéré par 34 coups de couteau. Sa gorge et son œsophage étaient remplis de verre concassé et de résidus de mercure : il a été contraint, de son vivant, d’avaler un néon, qui s’est brisé dans son tube digestif et ses voies respiratoires… Une barbarie sans nom.
— En quatorze ans, je n’ai pas vu une telle mort, soupire le professionnel, rattrapé par ses souvenirs les plus crus. La victime a dû ressentir une douleur aiguë suite à cette ingestion…
Dans la salle, figés d’horreur, tous les regards se tournent vers la loge vitrée, où les deux accusés se tiennent à bonne distance, séparés l’un de l’autre. D’un côté, une femme de 53 ans au visage ravagé par les excès, son menton donnant l’impression d’avoir perdu toutes ses dents. De l’autre, un jeune homme musclé en chemise blanche, âgé de 23 ans, au crâne rasé, avec une barbichette bien taillée et des yeux plus noirs que l’obscurité. Quatre ans après les faits, Leïla Abaiji et Sofiane Triboulet s’accusent mutuellement du massacre. Classique? Pas autant. Car le plus étonnant dans cette affaire, c’est qu’il s’agit d’une mère et de son fils, désormais prêts à tout pour envoyer l’autre au trou pour le reste de son existence… Deux êtres que tout devrait unir et qui se livrent désormais à une combat sans merci. Mot contre mot. Mais lequel des deux ment ?
A l’origine du procès qui tient en haleine la ville de Pau, fin mai 2024, se trouve la triste vérification du proverbe « trop beau, trop bête ». Dans le rôle de la victime, le pauvre Renaud Leprince, un petit monsieur à casquette, ancien instituteur un temps reconverti au nucléaire, tombé dans la pauvreté à l’approche de la retraite. Au milieu des années 2010, l’homme n’avait plus goût à grand-chose. Divorcé, il a perdu son emploi et ne survit désormais que grâce aux minima sociaux, dans le petit appartement en duplex de la rue Léon-Say, à Pau, qu’il a pu racheter en héritant de son père. Déprimé, il noie sa solitude dans l’alcool. Et c’est dans ces circonstances qu’un soir de beuverie, il rencontre Leïla Abaiji, encore plus assoiffée et perdue que lui. A 45 ans, le tempétueux Marocain possède encore quelques vaillants accros, et un reste de charme qui ne laisse pas les hommes indifférents. Renaud Leprince se prend à rêver : et si elle était sa bouée de sauvetage ? Et si avec elle, il recommençait à zéro ? Alors il entreprend de la séduire. Alors que nous nous dirigeons droit vers des ennuis.

Leïla Abaiji est une manipulatrice hors pair

En quelques phrases bien formulées, l’affaire est réglée. Leïla Abaiji emménage chez lui. Mais pas dans son lit : dans la chambre d’amis. Le reste sera pour plus tard, lui laisse-t-elle croire. Des mots, des mots. Car en réalité, Leïla Abaiji est une manipulatrice hors pair. Pas d’argent, pas de toit, elle a simplement trouvé le pigeon parfait pour répondre à ses besoins. Plus question de lâcher prise.
On ne sait pas ce que la quadragénaire a dit d’elle-même à son nouveau prétendant à l’époque, mais certainement pas la vérité. Arrivée en France à l’âge de 4 ans, elle ne fait que planer depuis l’adolescence. Cannabis. Cocaïne. Héroïne. Vodka au niveau du cou. Toute sa vie, elle l’a mené en draguant tout le monde, avant d’être invariablement larguée pour son comportement odieux. Résultat : trois enfants adoptifs de trois pères différents, une famille dont la plupart des membres ne veulent plus lui parler, une vieille voiture pourrie comme chambre d’amis et un besoin urgent d’argent. Mais voilà, miraculeusement, elle a une solution à tout : Renaud Leprince !

Elle parvient facilement à le mettre dans son portefeuille

En promettant à l’homme naïf des faveurs qu’il n’obtiendra jamais, elle parvient facilement à lui mettre un coup au portefeuille. Puis très vite, elle se contente de le frapper, comme le supposent les voisins, qui l’entendent beugler à toute heure. Lui, dépassé, se laisse faire. Trop généreuse, la pauvre ne bronche même pas lorsqu’au bout de quelques semaines, elle ramène à la maison son dernier fils, Sofiane, 13 ans, que tout le monde appelle Maxime. Pas un cadeau non plus. Initié aux pétards par sa mère, le gamin fume déjà comme un pompier. Ballotté entre les familles d’accueil et la maison de sa grand-mère, il est optimiste, impulsif, résistant à toute autorité. A peine arrivé, le voilà qui s’immisce à son tour chez son amie Samantha. Chez Renaud Leprince, c’est le squat général ! Leïla amène aussi ses amis ivres. Ça monte, ça rugit, ça fait basculer les bouteilles. Le pigeon de service paie pour tout. Et lorsqu’il n’y a plus de place dans son propre lit, il se retrouve à dormir sur le paillasson… Jusqu’au jour où, n’y tenant plus, il finit par aller se réfugier chez sa vieille mère. Libre règne au squatteur et à sa horde de dépravés !
Lorsque Renaud Leprince retrouve enfin son logement, deux longues années plus tard, tout est à refaire. Mais heureusement, il n’y a plus personne à poursuivre. Leila a mis les voiles au bras de son dealer. Le petit Sofiane/Maxime est parti à l’Ile de Ré avec sa miss. Les ivrognes locaux mijotent quelque part. La fin du cauchemar ? Non!
Car après un coup de peinture, la fureur est de retour. Elle vient de se brouiller avec son dealer, qu’elle a envoyé en prison pour violences. Sans surprise, elle cherche un toit au-dessus de sa tête. L’ancien professeur lui ouvre-t-il grand les bras ? On en doute : il connaît la musique désormais. Mais on ne sait par quelle manipulation, elle parvient quand même à se frayer un chemin. On y va encore une fois. Un peu plus tard, Renaud Leprince se confiait à un ami, désespéré. Leïla Abaiji lui a encore volé ses clés, sa carte bancaire, son téléphone. Il a peur d’elle et de la tournure que pourraient prendre les choses. Hélas, même dans ses pires angoisses, le pauvre homme ne peut imaginer le millième du sort qui lui est réservé…

Le dealer-amant dit qu’elle a tué quelqu’un

L’alerte a été donnée le 16 octobre 2020. Le dealer-amant de Leïla, sorti de prison, raconte aux flics qu’elle a tué quelqu’un. Une patrouille se précipite au 5, rue Léon-Say. Le squatteur est là, complètement ivre avec un ami. Il y a du sang partout dans les escaliers. La police est montée au duplex et a trouvé la chambre principale verrouillée. Leïla Abaiji dit ne pas savoir où se trouve la clé et feint un malaise grotesque lorsqu’on lui demande de la chercher. Mais les agents passent par le balcon, où flotte une insupportable odeur de charogne. Et c’est par la porte-fenêtre qu’ils découvrent l’horreur. Un matelas souillé posé à terre sous lequel dépasse une main blanche.

Ils lui ont mis un tube de néon dans la gorge

Brigade criminelle, police scientifique, médecin légiste… Le sexagénaire a été massacré, on l’a vu, de 34 coups de couteau. Un tube de néon lui a été enfoncé dans la gorge, ce qui lui a causé d’horribles blessures. Il est là depuis plusieurs jours, pourrissant. Leïla Abaiji est immédiatement placée en garde à vue, mais elle est trop ivre pour répondre aux questions. Et ce n’est que le lendemain qu’elle fut définitivement entendue. Oui, avoue-t-elle en pleine gueule de bois, c’est elle qui a tué son bienfaiteur. Mais ses cinq neurones reconnectés, elle se rétracte désormais : selon ce qu’elle dit désormais, c’est son fils Sofiane qui a massacré le pauvre type ! Cette nuit-là, dit-elle, ils étaient tous les trois à l’appartement. Renaud Leprince et Sofiane se seraient disputés à propos d’une sombre histoire de moto d’occasion. Troublée par leurs éclats, elle sortait boire un verre le soir à l’épicerie avec un ami. Et quand il revint, il était trop tard : le gamin avait massacré le vieux !
Arrêté peu après sa mère, Sofiane donnera sa version des faits. Et ce n’est pas du tout ce qui se serait passé ! Oui, ils étaient tous les trois à l’appartement. Mais c’est avec sa mère que le jeune homme s’est disputé, car elle disait préférer son ancienne petite amie ! Renaud Leprince aurait pris le parti du nouvel élu, le ton serait encore monté un peu plus. Sofiane, épuisé, serait sorti téléphoner. Et quand il revint, il était trop tard : sa mère avait massacré le bonhomme !
Mot contre mot. Quatre ans plus tard, les positions n’ont pas changé, alors que le jeune garçon raconte à nouveau la scène devant le tribunal correctionnel de Pau :
— Quand je suis revenu, M. Leprince était par terre en bas de l’escalier. Et là, je vois ma mère le poignarder sur le haut du corps ! Il avait la bouche ensanglantée et des morceaux de néon à côté de lui. Elle me dit « Il est mort » et elle lui donne encore quatre coups de lame pour me le montrer. Je lui ai dit : « Bougez, bougez ! » J’ai pris le pouls de Renaud. J’ai retiré le couteau de sa gorge. Et je suis allé vomir.

Il aurait lui-même jeté le couteau dans un parc voisin.

Sofiane raconte alors avoir appelé son amie Marie, elle-même poursuivie ailleurs, pour l’aider à remonter le corps, “car le chat aurait pu le grignoter”. Par réflexe filial, il s’est lui-même débarrassé du couteau dans un parc voisin. Mais ce sont les seuls agissements qui pourraient lui être imputés. Parce que pour le reste, il n’a rien fait ! Sauf qu’à côté de lui dans la loge, l’air ulcéré sous ses cheveux d’étoupe, sa mère affirme que tout est faux. Elle n’a rien fait non plus !
— Mais alors pourquoi t’es-tu dénoncé en premier ? lui demande le président.
— C’était un lapsus ! explique Leïla Abaiji avec une assurance étonnante. Je ne me sentais pas bien, je dormais à moitié… J’avais envie de dire « ce n’est pas moi, c’est lui », et en fait, j’ai dit le contraire !
Cette ligne de défense, qui ne correspond en rien au procès-verbal d’audience, laisse le tribunal sans voix. Mais la fureur n’est pas terminée. Maintenant, elle se souvient de tout !
— Maxime avait trouvé la culotte de son ex sous l’oreiller de Renaud ! explique-t-elle pour appuyer le scénario du gamin en colère.
Nous commençons à nous perdre. Le président recadre les débats :
— Si tu es innocent, pourquoi ton fils t’accuse-t-il ?
— Ça me fait mal, c’est mon fils, je l’ai porté pendant neuf mois et il m’accable… Je ne sais pas pourquoi, alors que c’est lui qui a tué Monsieur Leprince !
Puis se tournant vers Sofiane, le magistrat double la question :
— Si tu es innocent, pourquoi ta mère t’accuse-t-elle ?
— Honnêtement, ça m’attriste vraiment ! J’ai toujours tout fait pour ma mère, mais je ne vais pas assumer la responsabilité de quelque chose que je n’ai pas fait !
C’est alors que le jeune homme s’adresse directement à la femme qui lui a donné naissance :
— Je te regarde droit dans les yeux ! Assumez la responsabilité de ce que vous avez fait ! Dis-le !
Mais rien pour ébranler le toxicomane en déclin.
— Je sais et tu sais que c’est toi ! lui a-t-elle craché dessus. Je n’aurais pas tué mon ami !
Commence alors un défilé de témoins qui ne font qu’embrouiller encore un peu plus les choses. Le fils aîné de Leïla affirme que sa mère a toujours été « ultra-menteuse ». « Elle est la seule à pouvoir le faire ! » “, il dit. La grand-mère, quant à elle, défend l’accusé, prétendument « incapable de faire du mal à une fourmi ». Et dans son élan, c’est son petit-fils qu’elle charge, évoquant une vieille histoire d’attouchements de petits cousins… Face aux jurés médusés, cela devient vite une de ses enchères. « Sofiane a frappé sa mère ! » « C’est une manipulatrice ! » » « Il a martelé ma voiture ! » » « Je n’ai aucune confiance en elle ! »
Face à cette insupportable cacophonie, les jurés ont finalement tranché. Ils rejoignaient l’intuition du pathologiste, pour qui un tel massacre avait probablement été commis par deux personnes. Vendredi 31 mai, ils ont mis la mère et le fils dans le même sac en les condamnant tous deux à la prison à vie. Tous deux ont immédiatement fait appel, restant présumés innocents. A suivre dans le prochain épisode. Ça promet.

Un rapport judiciaire de Vincent Sénécal

 
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