Dans un café du quartier Côte-des-Neiges à Montréal, Zhanna caresse son ventre qui commence à s’arrondir et est ravie de pouvoir donner naissance à un enfant dans un pays en paix. Il y a cependant un bémol : sa carte d’assurance maladie expirera en février 2025, comme celle de nombreux Ukrainiens établis ici.
Ce qui l’inquiète, c’est qu’elle ne sait pas si elle accouchera juste avant ou juste après la fin de validité de sa carte. La différence pourrait lui coûter 30 000 $.
Cette jeune femme est originaire de la région de Kharkiv, dévastée par les bombes et désormais occupée par la Russie. Arrivée au Canada en octobre 2022, elle a bénéficié, comme son mari, de l’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine (AVUCU), créée par le gouvernement fédéral dès le début des attentats.
Diplômée en hôtellerie, Zhanna travaille comme préposée aux chambres dans un hôtel de Montréal. Son mari est ébéniste dans une entreprise. Dès notre arrivée au Québec, nous avons commencé à travailler. Même maintenant, je suis enceinte de 22 semaines et je travaille toujours
souligne-t-elle dans un très bon français, qu’elle avait commencé à apprendre lors d’un stage à Paris.
Ottawa a décidé cette année de prolonger leÉVITER jusqu’en 2027. Zhanna, qui souhaite rester au Québec, a donc renouvelé son permis de travail ouvert pour trois ans jusqu’en octobre 2027.
Elle a alors souhaité renouveler sa carte d’assurance maladie du Québec, qui expirait en octobre 2024. À sa grande surprise, la nouvelle carte n’était valide que jusqu’en février 2025. « Ils ne l’ont prolongée que de trois mois », dit-elle avec déception et inquiétude.
Sa date d’accouchement est le 28 février. Mais une semaine avant, une semaine après, on ne sait jamais quand
fait-elle remarquer. Si par exemple j’accouchais en mars 2025, je n’aurais plus de carte d’assurance maladie [à ce moment-là]. Cela signifie que je devrais payer pour la naissance.
Le prix d’une naissance au Québec peut atteindre 30 000 $. Une seule nuit passée à l’hôpital coûte environ 5 000 dollars.
C’est énorme pour les gens qui ne sont pas riches.
» raconte Léna Leblanc, une Ukrainienne qui vit au Québec depuis longtemps et qui fait du bénévolat auprès des nouveaux arrivants.
Ils travaillent au salaire minimum. Et s’il y a des complications, si le bébé est prématuré, si la mère a besoin de quelque chose, si elle a une infection, quoi que ce soit, cela va coûter des milliers et des milliers de dollars.
Zhanna et son mari n’en auront pas les moyens. Ils se demandent s’ils devraient changer de province et aller en Ontario, par exemple, pour continuer à bénéficier de l’assurance maladie. L’idée n’enchante pas cette femme de 28 ans, qui j’adore le Québec
et qui je préfère parler français
.
Retour en Ukraine ? C’est très, très dangereux. Je n’ai plus de maison là-bas à cause de la guerre
Jeanne répond. Presque toute sa famille et ses amis ont quitté le pays, alors qu’ici, on s’occupe bien d’elle. J’ai ma mère, qui travaille aussi, mon beau-père et mon mari. Nous vivons tous ensemble. Je ne vais pas y accoucher seule !
Une mère dans CHSLD
Sergiy, un employé de la Ville de Montréal, montre une photo sur son téléphone. C’est Marioupol, la maison de ma mère !
Un bâtiment en ruine aux fenêtres sans verre.
C’est ici que la mère de Sergiy a vécu jusqu’en 2022, à Marioupol, en Ukraine.
Photo de : Sergiy
La mère de Sergiy, aujourd’hui âgée de 79 ans, n’a plus de maison ni de mari, tué dans un bombardement, et ne sait plus dans quel pays elle se trouve. Elle perd la tête.
Son fils s’en est rendu compte lorsqu’il l’a amenée au Canada et l’a d’abord accueillie avec lui. Il fallait la surveiller tout le temps : elle pouvait sortir et se perdre.
En perte d’autonomie, elle a pu être hébergée dans une résidence pour personnes âgées avec du personnel ukrainien, puis dans un CHSLD du quartier Rosemont, parce que le APR fermé pour effectuer des travaux de rénovation.
Sergiy has just called the Régie de l’assurance santé du Québec (RAMQ). Février de l’année prochaine est terminé
lui dit le fonctionnaire.
Il a déjà bénéficié d’une prolongation, obtenue par le bureau du député de Rosemont, Vincent Marissal. C’est une couverture discrétionnaire
comme il se l’accorde parfois par bonté de cœur. Dans ce cas-ci, il s’agissait d’éviter de jeter à la rue une vieille dame atteinte de la maladie d’Alzheimer.
Mais que se passera-t-il après la nouvelle échéance ? Nous devons retourner au bureau, faire un peu [appels]faire [démarches]parfois personnellement, avec le ministre
répond le député de Québec solidaire, d’obtenir ou non une prolongation discrétionnaire
.
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Au coin du parc Ukraine, dans le quartier Rosemont, à Montréal
Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry
Sergiy, avec son travail de col bleu dans l’entretien des parcs municipaux, ne pourra pas payer le centre d’hébergement et de soins de longue durée pour sa mère. Il s’enquit du prix.
Le CHSLD sans le RAMQcela coûte environ 50 000 $ par mois !
s’exclame-t-il. Sur le site Internet du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île de Montréal, par exemple, on peut lire que le tarif est de 41 900 $ par mois pour non-résidents du Canada
.
Bien entendu, dans son état actuel, cette vieille femme ne pouvait pas retourner en Ukraine, dans une ville détruite et occupée, sans que personne ne s’occupe d’elle. Elle ne pourrait pas non plus déménager ailleurs au Canada. Je ne peux pas envoyer ma mère seule dans une autre province, a déclaré son fils. Et je ne peux pas vendre ma maison, changer de travail. Changer de métier pour ma femme, c’est vraiment trop compliqué !
Parent célibataire et atteint de cancer
Dernier cas, celui d’Olena Karlash, 38 ans. Arrivée à Montréal il y a un peu plus de deux ans, cette maman d’un garçon de huit ans est employée comme caissière dans une épicerie de Saint-Léonard.
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Olena et son fils Tymur ont fui Kharkiv.
Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry
Environ un an après son arrivée au Québec, Olena apprend qu’elle est atteinte d’un cancer de la thyroïde, une glande située dans le cou. Elle a déjà subi une intervention chirurgicale, mais elle devra en subir d’autres et prendre des médicaments pour le reste de sa vie, avec des rendez-vous réguliers, « pour être sûre que cela ne revienne pas ».
Son assurance maladie du Québec est valide jusqu’à l’été 2025, malgré son permis de travail valide jusqu’en 2027.Après, je ne sais pas quoi faire
dit-elle, inquiète. Elle voit tous ses compatriotes ukrainiens se voir refuser le renouvellement de leur carte. On leur dit qu’avec leur statut, ils ne peuvent plus prétendre à RAMQ.
Vraiment, j’ai peur, parce que je suis seule ici avec mon fils. J’ai peur de ne pas avoir assez d’argent pour les médicaments et les rendez-vous chez le médecin. Sans médicaments, je ne peux pas vivre, c’est tout.
Cette mère célibataire avec un emploi de caissière au Smic n’aura pas les moyens de payer son salaire. Elle a aussi peur pour son garçon de huit ans, qui dépend entièrement d’elle. S’il m’arrive quelque chose, c’est lui qui en souffrira vraiment aussi.
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Dès leur arrivée, les Ukrainiens ont reçu des dons et le soutien de la population de cette église orthodoxe ukrainienne du quartier Rosemont à Montréal.
Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry
Appel à la compassion
Sur les 300 000 Ukrainiens accueillis au Canada, 30 000 ont choisi le Québec, dont 25 000 dans la région de Montréal.
Nous avons dit : « Venez, nous allons vous aider ! Alors, que faisons-nous de ce monde ?
» demande Michael Shwec, président du Congrès ukrainien canadien pour le Québec. Les Québécois n’ont pas seulement ouvert leurs mains, leurs portes, ils ont aussi ouvert leur portefeuille pour aider
il se souvient. C’est dans les valeurs des Québécois.
Il souligne les efforts du gouvernement québécois qui, dès l’arrivée des Ukrainiens, a immédiatement offert une couverture d’assurance maladie, valable pour la durée de leur permis, l’AVUCU. Nous étions tellement fiers du Québec! Puis, trois ans plus tard, le gouvernement dit : « Bon, c’est fini !
se lamente-t-il.
La guerre est de retour. Le besoin d’abris est toujours là. Nous aimerions que nos députés et nos ministres fassent encore preuve de la compassion qu’ils avaient il y a trois ans.
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Michael Schwec a grandi à Montréal et a appris l’ukrainien lorsqu’il était enfant. Sa famille est arrivée au Canada il y a 100 ans, pendant la Première Guerre mondiale.
Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry
Dans le cas des demandeurs d’asile ou des réfugiés, la couverture des soins de santé est automatique. Mais dans ce cas-ci, les Ukrainiens sont arrivés avec un permis de travail ouvert, un type de permis qui ne leur offre pas cette protection, sauf exceptions prévues dans les règles d’éligibilité du RAMQ.
La décision politique a été prise de les admettre au RAMQ pour la durée initiale du programmeAVUCU, soit jusqu’en février 2025.
Le 5 novembre, le bureau d’Isabelle Poulet, députée caquiste de Laporte, à Longueuil, informait par courriel une Ukrainienne que le gouvernement du Québec, durant cette période, offrait un panier de services à ces personnes, dont RAMQ. Le gouvernement a mis fin à ce panier de services en juillet 2024
.
Pour être éligible au RAMQ avec un permis de travail ouvert, par exemple, vous devez attendre la résidence permanente après avoir obtenu le certificat de sélection du Québec.
Un grand nombre d’Ukrainiens n’ont pas encore atteint ce stade. C’est un processus qui prend du temps.
Coincé entre Québec et Ottawa
Pendant ce temps, à Rosemont, le quartier historique des Ukrainiens, les appels et les dossiers s’amoncellent au bureau du député de Québec solidaire.
Il souligne que la décision de mettre fin à la couverture du RAMQ pour les Ukrainiens vient bel et bien du ministre Dubé lui-même
comme son bureau le lui a confirmé. Il s’agit clairement d’une décision politique.