Comme le démontre une grande étude de l’IRIS datée du 19 août 2021, le secteur énergétique au Nigeria se caractérise par le poids dominant de l’industrie gazière qui fournit 75% des recettes du budget national et 95% des recettes publiques liées aux exportations. L’approvisionnement en gaz de l’Europe fait donc l’objet de questions géostratégiques décisives. L’Algérie et le Maroc s’affrontent sur des projets rivaux
Abderrahmane MEBTOUL, professeur des universités, expert international
Depuis de nombreuses années, nous assistons à des déclarations contradictoires aux plus hauts niveaux du gouvernement nigérian concernant le fameux gazoduc censé avoir une capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes. Des lettres d’intention ont été signées avec l’Algérie et le Maroc qui, sans engager les différents partenaires, constituent des signaux forts de volonté de coopération.
Le 21 septembre 2021, le ministre nigérian de l’Energie a déclaré dans un entretien à la chaîne de télévision CNBC Arabia en marge de la conférence Gastech que son pays mettait en œuvre la construction d’un gazoduc pour acheminer le gaz vers l’Algérie. Les ministres de l’énergie algérien et nigérian ont signé, le 28 juillet 2022, un protocole d’accord sur le gazoduc transsaharien, le TSGP, censé permettre l’acheminement du gaz nigérian vers l’Europe. Récemment, dans une déclaration à la presse à l’issue de l’audience accordée au ministre du Pétrole de la République du Niger, le 23 septembre 2024, le ministre algérien de l’Energie a précisé que les deux parties conviennent d’avancer dans la réalisation du projet de gazoduc transsaharien et de tenir une réunion ministérielle des trois pays concernés dans les plus brefs délais.
À quel jeu joue le Nigeria ?
Cependant, selon l’AFP et Reuters, un autre accord, un mémorandum pour la mise en œuvre de ce projet, a été signé le 15 septembre 2022 à Rabat, au Maroc, entre la CEDEAO et la République fédérale du Nigeria. L’agence marocaine devait mentionner, le 16 juin 2023, qu’une délégation de l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) a eu des entretiens à Abuja avec le directeur général de la National Oil Company of Nigeria (NNPC).
Le gazoduc Maroc-Nigéria, dont le coût est estimé par IRIS entre 25/30 milliards de dollars et avec une durée de construction de 8/10 ans, mesure environ 6 000 kilomètres de longueur.. Ce pipeline longera la côte occidentale de l’Afrique depuis le Nigeria, en passant par le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Libéria, la Sierra Leone, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Gambie, le Sénégal et la Mauritanie, le Sahara occidental jusqu’au Maroc. Il sera connecté au gazoduc Maghreb-Europe et approvisionnera les États enclavés du Niger, du Burkina Faso et du Mali. A terme, il sera connecté au gazoduc Maghreb Europe et au réseau gazier européen. Le protocole d’accord confirme l’engagement de la CEDEAO et de tous les pays traversés par le gazoduc à contribuer à la faisabilité, aux études techniques, à la mobilisation des ressources et à sa mise en œuvre.
Dans la phase actuelle, les Etats se sont réunis ainsi que la CEDEAO pour signer des accords relatifs à sa construction mais aussi pour valider les volumes de gaz disponibles pour l’Europe et entamer les discussions avec les opérateurs du champ » Tortue » (ressources gazières) au large du Sénégal et de la Mauritanie (ces deux pays ont signé en décembre 2018 un accord pour l’exploitation conjointe du champ gazier de Tortue-Ahmeyim. Ce projet vise à relier les ressources gazières nigérianes à plusieurs pays africains, deux gazoducs existent déjà dans la zone Afrique du Nord-Ouest, les «Pipeline ouest-africain », qui relie le Nigeria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo, et le gazoduc Maghreb-Europe (appelé aussi « Pedro Durán Farell “) à travers l’Espagne (Cordoue) par le détroit de Gibraltar et le Maroc.
Le gazoduc algérien le plus rentable
Le gazoduc qui traverse l’Algérie devrait avoir une longueur de 4 128 km, dont 1 037 km en territoire nigérian, 841 km au Niger, malheureusement complètement détruit, et 2 310 km en Algérie. Lors de l’accord signé le 3 juillet 2009, le coût était estimé à 10/11 milliards de dollars mais en 2024 il est estimé à 19/20 milliards de dollars selon une étude de l’Institut français des relations internationales (IFRI). La route qui passe par l’Algérie est plus rentable avec des coûts inférieurs de 8/10 milliards de dollars.
Ce gazoduc partira de Warri au Nigeria et se terminera à Hassi R’Mel en passant par le Niger. Ce projet pourrait être connecté à Transmed, le plus grand gazoduc de l’anneau GO3 qui permet une augmentation de capacité de 7 milliards de mètres cubes auxquels s’ajouteront 26,5 pour GO1/GO2 permettant une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes de gaz. Elle est longue de 550 km en territoire algérien et de 370 km en territoire tunisien, vers l’Italie.
Ce projet est stratégique pour l’Algérie, qui a fourni à l’Europe 19% du total en 2023 et ambitionne de monter à 20-25%. Selon plusieurs rapports du Ministère de l’Energie, ce gazoduc permettra d’augmenter les capacités d’exportation de gaz, les réserves traditionnelles de gaz de l’Algérie sont estimées à environ 2.400 milliards de mètres cubes de gaz mais avec une consommation intérieure élevée en raison d’une politique de subventions généralisées et non ciblées, qui se rapproche de exportations actuelles car d’ici 2023 le développement des énergies renouvelables ne représente que moins de 2% de la consommation interne, avec pour objectif de porter ce taux à 35/40% entre 2030/2035.
La rentabilité du projet Nigeria Europe présuppose quatre conditions.
-Tout d’abordla faisabilité implique de déterminer le seuil de rentabilité en fonction de la concurrence des autres producteurs, du coût et de l’évolution du prix du gaz, qui influence la décision de lancer un tel investissement, d’où la démarche de lancer une étude de marché pour déterminer la demande de gaz avant de décider s’il faut s’engager dans ce projet.
-Deuxièmement, sécurité et accords avec certains pays, le projet qui traverse plusieurs zones instables beaucoup plus pour le Maroc que pour l’Algérie ce qui peut mettre en péril sa fiabilité avec des groupes militants armés qui déstabilisent l’approvisionnement et l’approvisionnement en gaz. Il faudra impliquer les États traversés qui devront négocier le droit de passage (paiement des redevances), évaluant ainsi les risques économiques, politiques, juridiques et sécuritaires.
-TroisièmementElément déterminant du projet, la mobilisation des savoir-faire et des financements a dû impliquer des groupes financiers internationaux tant pour le Maroc que pour l’Algérie, mais ayant dans une moindre mesure les sources de financement.
–In-4, impliquer le principal client européen et sans son accord et sa contribution financière il sera difficile voire impossible de démarrer ce projet, l’attitude de l’Europe étant fonction de sa future structure de consommation énergétique 2030/235 et donc de sa politique de transition énergétique.