« Sans soins palliatifs à domicile, je n’aurai d’autre alternative que de me laisser mourir »

« Sans soins palliatifs à domicile, je n’aurai d’autre alternative que de me laisser mourir »
« Sans soins palliatifs à domicile, je n’aurai d’autre alternative que de me laisser mourir »

jeIls étaient reconnaissants de pouvoir faire entendre leur voix dans le brouhaha des débats sur le projet de loi « fin de vie ». Parce qu’ils sont là, à ce dernier moment de leur vie, face à leur mort. Celui qu’on appellera Pierre (1), 76 ans, souffre d’un cancer qui le mine à terre, Bruno, 51 ans, est atteint de la maladie de Charcot. L’un habite à Lormont en banlieue bordelaise, l’autre plus loin, à Eysines. A leur chevet, leurs proches se relaient, une infirmière, un médecin, une aide-soignante et l’équipe mobile de soins palliatifs Estey Mutualité de la métropole bordelaise. C’est par un après-midi orageux que nous avons accompagné le Dr Pauline Monnier, médecin coordonnateur, chef d’équipe, et Marjolaine Texier, infirmière. L’équipe d’une dizaine de personnes suit plusieurs centaines de patients pendant un an et se rend à leur domicile, non pas pour des soins médicaux, mais pour « élaborer au cas par cas le projet d’accompagnement en fin de vie », explique le Dr Monnier. . « On respecte quand tout le monde est prêt à en parler. Notre mission est également de faire en sorte que le patient soit « à l’aise » et souffre le moins possible. Nous garantissons que ses attentes seront respectées. »

Chez Pierre et Jeanne (1), il y a une grande table familiale dans la salle à manger, table où encore aujourd’hui, ses deux filles et leurs enfants viennent partager de joyeux dimanches. Un petit-fils s’occupe du jardin, l’autre remplit le réfrigérateur et porte les courses quotidiennes. « Nous sommes entourés de chaleur humaine, c’est une chance, souligne Pierre. Lui, dans son fauteuil médical, cache ce qu’il peut de son visage. Le cancer ORL contre lequel il lutte depuis 2015 s’est révélé plus fort que la science, les médecins ont capitulé après de nombreux essais thérapeutiques, traitements offensifs, laissant l’homme en partie défiguré et à bout de souffle.

« Je dois beaucoup aux services de santé français, avoue-t-il, malgré l’échec des traitements, les médecins ont tout essayé, mon corps était épuisé. En décembre dernier, les oncologues m’ont dit : « c’est fini, on ne peut plus rien faire ». Je me sentais abandonné. » Depuis, le cancer est devenu incontrôlable, Pierre est nourri par sonde, il boit au compte-goutte, parle avec difficulté et ne marche pratiquement plus. Mais il est là, profitant du jour qui se lève, de la pluie sur les fenêtres, du soleil entre les gouttes. Le rire des enfants.


Au domicile de Bruno, atteint de la maladie de Charcot.

DAVID Thierry/SO

Parlez-en, pour vous calmer

Jeanne à ses côtés veille sur lui sans relâche, nuit et jour. « Nous sommes entourés de notre famille proche, mais aussi de notre médecin généraliste, je peux l’appeler, elle est toujours en voyage, de jour comme de nuit. Lorsque l’infirmière nous a proposé de contacter l’équipe mobile d’Estey, nous n’avons pas hésité. Pierre a son jardin secret, il parle beaucoup avec le psychologue, de choses qu’il ne veut pas que j’entende. ” Il est d’accord. « Ma maladie évolue rapidement », admet-il. Quand cela devient trop douloureux, je ne veux pas imposer une mort terrible à la maison, je partirai. Pas question de mourir dans le lit conjugal, où elle sera ensuite seule. Je connais le dévouement de ma Jeanne, parfois trop, je dois la protéger. » Jeanne pince les lèvres pour retenir son chagrin et secoue la tête : « Il dit ça aujourd’hui, mais à ce moment-là, que voudra-t-il ? Je veux qu’il puisse changer d’avis jusqu’au bout… » Lui, « qui était tellement beau mec », murmure-t-elle avec tendresse, reste silencieux face à la résistance de sa femme. Mais il le sait.

« En entrant dans cette spécialité, il faut apprendre à faire le deuil de la perte de guérison, confie le Dr Monnier. C’est le plus difficile, car toute notre formation est axée sur la guérison. Notre mission n’est donc pas de guérir, mais d’accompagner les patients, leurs proches, dès le diagnostic d’une maladie incurable. Accompagnement psychologique, spirituel, social, avec expertise thérapeutique et clinique sur les protocoles de fin de vie. »

Chez Bruno, à Eysines, c’est lui en fauteuil roulant qui ouvre la porte. Ce père de famille, diagnostiqué « Charcot » en 2021, se bat pour conserver son statut de fonctionnaire. Son bras droit répond moins, il ne marche plus mais « mon cerveau est intact, et le restera jusqu’au bout ». Ainsi, trois fois par semaine, il se rend à son bureau de douane de l’aéroport de Mérignac. « J’ai besoin et je veux travailler et personne ne devrait m’en empêcher. Si je restais à la maison en attendant que le temps passe, je souffrirais beaucoup plus et la maladie gagnerait du terrain. Le moral, le maintien d’une activité, l’environnement font partie de mes soins. Mais je ne nie pas, je connais la suite. »

“La réalité de la fin de vie est la suivante : on change, ce n’est pas comme remplir un formulaire, je pourrais me tromper moi-même”

Rester maître de mon temps

Il a également de longues conversations avec le psychologue de L’Estey. « Sans soins palliatifs, je n’aurai d’autre choix que de me laisser mourir. Moi, dit-il, je veux vivre le plus longtemps possible, le mieux possible. Et l’équipe mobile m’entend, je reste maître de mon temps. Nous allons partir en Corse cet été avec mes enfants et je veux les voir réussir leurs examens et être heureuse pour eux. La proposition Estey évoluera en même temps que ma maladie évolue. J’ai rédigé mes directives anticipées avec eux, elles ne sont pas gravées dans le marbre, car je vais changer d’avis. J’ai déjà changé d’avis depuis l’annonce de mon diagnostic. La réalité de la fin de vie est la suivante : on change, ce n’est pas comme remplir un formulaire, je pourrais me tromper moi-même. »

Bruno pèse chaque mot, son besoin de reconnaissance de sa parole est immense : « J’ai été pris en charge très tôt par l’équipe mobile de soins palliatifs, cela m’a permis de démystifier mon rapport à la mort, de la comprendre. discuter et surtout nouer un lien de confiance avec eux. Ils ne me trahiront pas. J’ai la chance d’avoir le choix, la capacité de me renseigner afin d’avoir tous les éléments à ma disposition. Tous les patients en fin de vie auront-ils cette chance ? La question de l’euthanasie implique les soins palliatifs. Le droit de mourir doit passer après le droit de vivre. » Il parle de la colère de sa fille adolescente, face à cette maladie si peu prise en compte par la recherche. Justement, elle vient de rentrer de l’école, « salut papa » et l’embrasse sur le front.

L’équipe mobile de soins palliatifs de l’Estey à Bordeaux ne prend pas en charge plus de cinq demandes d’euthanasie chaque année. ” Autres ? Ils veulent vivre jusqu’au bout. »

(1) Les prénoms ont été modifiés

 
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