La Mojana, ou l’impuissance face aux inondations

La famille Berrio vit les pieds dans les eaux putrides qui ont envahi leur modeste maison en brique. Les lits et les meubles étaient surélevés sur des blocs de fortune pour être installés sur des planches.

Dans la région colombienne de La Mojana, les inondations constantes causées par la déforestation et l’exploitation minière provoquent une crise humanitaire qui se répète inévitablement chaque année et s’aggrave avec le temps.

De plus, l’autorité qui devrait gérer cette catastrophe naturelle est confrontée à un méga-scandale de corruption autour de la construction défectueuse d’une digue de sacs de sable.

Le 6 mai, cette digue construite à grands frais et qui protégeait les quelque 500 000 habitants de cette plaine du nord du pays s’est brisée, faisant au moins 32 000 victimes selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies.

Les crues des puissants fleuves San Jorge, Magdalena et Cauca ont inexorablement envahi ces vastes zones, inondant des milliers d’hectares dédiés à l’agriculture et à l’élevage.

José Ruendes ne voyage qu’en canoë depuis sa maison inondée après le débordement de la rivière Cauca suite à l’effondrement du barrage artificiel « Caregato » à La Mojana, dans le nord de la Colombie, le 20 mai 2024 (AFP – Luis ACOSTA)

« Tout a été noyé. Les quelques animaux qui restent survivent debout, les pattes dans l’eau, pour finir par mourir petit à petit. Cette eau est très contagieuse», déplore Rosiris Berrio (47 ans), qui vit ici comme elle peut. avec son conjoint et ses deux jeunes enfants.

La famille se promène autour de la maison, en équilibre sur des planches pour éviter l’eau trouble qui leur arrive aux genoux. « On trébuche, on se gratte. Pourtant, il faut continuer à vivre au quotidien», murmure la mère de famille qui affirme n’avoir reçu aucune aide de l’État.

Dans le village sous les vagues, les habitants se déplacent en canoë d’une maison à l’autre. D’autres ménages, plus chanceux, où l’eau s’est retirée, pataugent dans la boue.

– Où aller? –

Chevaux sur les terres inondées de La Mojana après le débordement de la rivière Cauca suite à l’effondrement du barrage artificiel « Caregato », dans le nord de la Colombie, le 20 mai 2024 (AFP – Luis ACOSTA)

« Nous avons été inondés quatre années de suite. Économiquement, c’est catastrophique. Avant de cultiver cette terre, nous étions heureux», regrette José Ruendes, un agriculteur de 59 ans contraint d’abriter son vélo, son lit et son matériel électrique dans le grenier.

En 2023, la ministre de l’Environnement Susana Muhamad a expliqué que la sédimentation augmente dans les rivières en raison de la déforestation, ce qui les rend plus susceptibles de déborder.

Carlos Carrillo, directeur de l’Unité nationale de gestion des risques et catastrophes (UNGRD), pointe également du doigt un autre coupable : l’exploitation minière et ses imposantes dragues qui détruisent les sols et les fonds des rivières. “Le dragage génère des changements très complexes dans la dynamique des courants”, explique-t-il à l’AFP.

Et selon les autorités, l’eau est contaminée en amont par l’exploitation illégale de l’or au mercure.

Vue aérienne de La Mojana après le débordement de la rivière Cauca suite à l’effondrement du barrage artificiel « Caregato », dans le nord de la Colombie, le 20 mai 2024 (AFP – Luis ACOSTA)

Entre 1998 et 2020, la région a subi 338 inondations, selon les chiffres officiels. La dernière en date s’est produite alors que ses habitants, pour la plupart de modestes agriculteurs, se remettaient de ceux qui ont balayé leurs récoltes en 2021.

Le président Gustavo Petro, qui s’est rendu sur place à la mi-mai, estime que la solution à long terme serait de reloger les victimes sur des terrains plus élevés achetés par l’État.

L’idée divise cependant. « Mais où allons-nous aller ? Ce n’est pas facile de repartir de zéro, de chercher du travail », s’inquiète Rosiris.

Non loin de là, dans un camp précaire de personnes déplacées, Ana Dolores Valerio se dit prête à aller « ailleurs ».

S’occupant de 13 enfants et petits-enfants, elle aspire à « la terre ferme pour pouvoir travailler ». C’est la cinquième fois au cours des 20 dernières années que des inondations l’obligent à camper dans des hébergements de fortune.

– Inhumain –

Vue aérienne des maisons inondées de La Mojana après le débordement de la rivière Cauca suite à l'effondrement du barrage artificiel
Vue aérienne de maisons inondées à La Mojana après le débordement de la rivière Cauca suite à l’effondrement du barrage artificiel « Caregato », dans le nord de la Colombie, le 20 mai 2024 (AFP – Luis ACOSTA)

Au-delà de ce débat, les dirigeants locaux appellent à une action immédiate pour faire face à ce que les Nations Unies considèrent comme une « grave crise humanitaire ».

“Certaines familles ne prennent qu’un seul repas par jour, c’est inhumain”, dénonce Nestor Ortiz, président du village de La Sierpita, l’un des plus touchés. Là-bas, la seule école a été fermée et les aqueducs se sont effondrés, déversant des eaux usées dans les maisons.

Les habitants dénoncent également la corruption dans les travaux de reconstruction de la digue. Depuis son échec, une enquête est en cours sur des détournements présumés d’argent public par des responsables de l’UNGRD, un scandale qui a conduit à la démission du directeur de cette institution et mis le président en difficulté. Petro.

Son nouveau patron, M. Carillo, admet que les travaux, d’une valeur de 34 millions de dollars, n’avancent pas au rythme prévu : « L’entrepreneur ne semble pas faire tout ce qu’il peut pour combler le vide » d’environ 70 mètres.

Pendant ce temps, l’orage au loin avertit les habitants de La Mojana que la saison des pluies dans les montagnes en amont ne fait que commencer et que les rivières seront bientôt encore plus fréquentées.

“Nous savons déjà ce qui va se passer”, commente avec fatalisme Cristo Sánchez, un vieil homme dont la maison ressemble déjà à une île au milieu de l’eau.

 
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