« les autorités algériennes ont compris que leur combat pour le Polisario était perdu »

« les autorités algériennes ont compris que leur combat pour le Polisario était perdu »
« les autorités algériennes ont compris que leur combat pour le Polisario était perdu »

Dans cet entretien avec Le360l’historien, géographe et ethnologue français Bernard Lugan analyse les points saillants de son nouvel opus « Le Sahara occidental en 10 questions » publié aux Éditions Ellipses (Paris), allant de la marocanité du Sahara occidental et oriental d’un point de vue historique et juridique jusqu’à à la déroute du régime algérien dans ce dossier, notamment au principe de la loi Baïa et au réchauffement en cours dans les relations entre le Maroc et la France.

Le360 : dans votre dernier livre « Le Sahara occidental en 10 questions », vous optez pour une méthodologie didactique et pédagogique. Comment vous est venue l’idée d’écrire un tel livre ? Était-ce un exercice facile ou plutôt difficile ?

L’idée m’est venue après la publication de mon « Histoire du Maroc ». J’ai donné pas mal de conférences en Europe et chaque fois que je donnais une conférence, des questions étaient posées sur le Sahara occidental. En Europe, les gens ont été un peu déformés par la propagande algérienne. Alors ils m’ont posé des questions. Je me suis dit qu’il fallait sortir un livre qui fasse vraiment le point sur le sujet pour expliquer en quelques dizaines de pages la réalité historique de la marocanité du Sahara. Au Maroc, tout le monde le sait et a conscience de ce lien ombilical, mais pas en Europe.

Lire aussi : Bernard Lugan : « Si le Maroc avait appliqué les décisions de l’ONU, il aurait récupéré le Sahara bien avant 1975 »

Il s’agit donc d’un livre fait pour un public européen et nord-américain. Les Marocains y trouveront également leur bonheur. J’ai réalisé en donnant mes cours au Maroc et dans ses universités que les Marocains sont patriotes. Pour eux, il n’y a pas de débat : le soi-disant Sahara occidental est marocain. C’est un livre destiné à fournir des arguments aux Marocains et à introduire cette problématique aux Européens et aux Américains.

Dès le début de votre livre, vous soulevez un point important, à savoir celui du droit international et de la résolution 1514 de l’ONU de décembre 1960. Développez un peu plus cet aspect juridique, et pourquoi n’est-il pas suffisamment exploité ? dans l’argumentation marocaine ?

C’est fondamental. Nous sommes en présence d’une collision entre deux versions du droit international. Il y a la version qui dit que les frontières issues de la colonisation sont les frontières officielles des Etats postcoloniaux, ce qui permettra à un pays comme l’Algérie de dire qu’il n’y a pas de discussion possible sur les frontières séparant le Maroc et l’Algérie puisqu’elles sont issues de la colonisation. Le problème est que l’ONU ne dit pas exactement cela. Dans sa résolution 1514, l’ONU déclare : «Les territoires coloniaux arrachés à un pays souverain ne peuvent connaître aucune forme de décolonisation autre que leur réintégration dans le pays d’origine dont ils ont été dissociés.» L’article 6 de la même résolution stipule dans le même sens que «si un État a été démembré par le colonialisme, il a le droit de recouvrer son intégrité territoriale après sa décolonisation« .

« Comment voulez-vous faire comprendre la notion de Baia à un juriste international européen qui opère selon le système des droits individuels et de la séparation des pouvoirs ?

— Bernard Lugan

Le principe du droit des frontières hérité de la colonisation s’applique donc aux pays autres que le Maroc. Cela s’applique aux nouveaux pays nés de la décolonisation. Mais les empires bimillénaires comme le Maroc et l’Éthiopie ont une logique complètement différente. Et le Maroc, comme l’Ethiopie, sont amputés au profit de nouveaux Etats. L’Éthiopie a été amputée au profit de l’Érythrée qui est une pure création coloniale, et le Maroc est amputé du soi-disant Sahara occidental ainsi que de Gourara, Tidikelt, Tindouf, etc. Il y a une opposition entre deux conceptions juridiques. Et je trouve que la partie marocaine devrait se battre davantage sur cette définition.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette incompréhension par le légalisme international et européen du Baia, principe fondamental du droit national marocain ?

Tout simplement parce que le droit international est un droit postcolonial créé après les deux conflits mondiaux. Ces deux conflits étaient européens et ont conduit à la création d’un droit international qui s’applique aux conceptions européennes et non au reste du monde. Cette loi internationale ne s’applique pas à la Chine, à l’Inde ou au Maroc. Comment voulez-vous faire comprendre à un juriste international européen qui opère selon le système des droits individuels et de la séparation des pouvoirs la notion de Baia qui signifie que le Souverain détient à la fois l’auctoritas et la potestas.

“Dès le XVIe siècle, il existait des accords internationaux entre le Maroc et l’Espagne concernant la reconnaissance espagnole du soi-disant Sahara occidental comme possession marocaine.”

— Bernard Lugan.

Vous affirmez que les puissances européennes ont toujours considéré le Sahara comme marocain. Comment expliquez-vous l’aveuglement actuel de ces mêmes puissances envers la marocanité du Sahara ?

Ignorance historique et calculs politiques. Dans mon livre, je cite de nombreux textes. Dès le XVIe siècle, il existait des accords internationaux entre le Maroc et l’Espagne concernant la reconnaissance espagnole du soi-disant Sahara occidental comme possession marocaine. Tout simplement parce que les Espagnols sont installés aux îles Canaries où ils développeront une activité de séchage du poisson au sel. Et bien sûr, les Espagnols négocieront des accords avec les sultans marocains pour sauver les marins qui pourraient faire naufrage ou être capturés sur les côtes de ce qu’on appelle le Sahara occidental. Il existe également des textes anglais et français et jusqu’à la veille du protectorat, nous avons des accords entre le Maroc et les puissances européennes concernant la présence de ce qu’on appelle le Sahara occidental. Nous avons des textes marocains qui accordent par exemple des droits de pêche aux Canariens. Si le sultan accordait des droits, c’était parce qu’il était lui-même souverain de cette région.

Vous affirmez que la question du Sahara occidental n’est, en réalité, qu’un conflit artificiel qui a permis à l’Algérie de mettre de côté le processus de décolonisation qu’elle aurait dû mener chez elle en 1962 en restituant au Royaume des territoires historiquement marocains comme Tindouf, Saoura, Touat, Colomb-Béchar, Gourara, Tidikelt, etc. Expliquez un peu plus ce point précis.

Si la résolution 1514 de l’ONU avait été appliquée, l’Algérie aurait dû, en 1962, soit restituer ces anciens territoires marocains détachés du Maroc par la France, soit organiser un référendum et demander aux populations de Tindouf, Tidikelt, Gourara, Touat, Saoura et Colomb-Béchar s’ils voulaient retourner dans leur patrie d’origine ou accepter de se rattacher à leur nouvelle patrie née des partitions coloniales et de la volonté coloniale française. L’Algérie n’a pas réalisé ce référendum au sein de ces territoires du Maroc et a affirmé vouloir imposer un référendum sur les territoires marocains qui étaient sous colonisation espagnole et que l’Espagne a décolonisés en 1975, et qui sont revenus au Maroc.

« Les discours royaux marocains sont des discours d’ouverture, de pacification et de fraternité. En revanche, les discours algériens sont des discours de récrimination.»

— Bernard Lugan.

Aujourd’hui, le Sahara est dans son Maroc, mais, en face, l’Algérie continue de s’enliser dans un extrémisme sans précédent et dans une impasse extrêmement difficile. Que reste-t-il au régime algérien comme prochaine étape ?

Pour l’observateur extérieur que je suis, c’est assez frappant. Je me suis beaucoup intéressé ces dernières années aux textes et déclarations officielles d’Alger et de Rabat. Quand on compare les discours de Sa Majesté Mohammed VI avec ceux de Tebboune, on est frappé par une chose : les discours royaux marocains sont des discours d’ouverture, de pacification et de fraternité. Le roi du Maroc tend la main et, en face, les discours algériens sont de durs discours de récrimination. L’analyse que l’on peut faire est que les autorités algériennes ont compris que la cause était perdue et n’ont pas su saisir l’opportunité de sortir vainqueur offerte par le plan marocain d’autonomie qui était un moyen pour l’Algérie, consciente que son le combat pour le Polisario était perdu, pour ne pas perdre la face et s’imposer en adhérant d’une manière ou d’une autre à ce plan.

“L’Algérie, héritière de la France, regarde toujours derrière, tandis que le Maroc regarde devant.”

— Bernard Lugan.

La France a reconnu économiquement la marocanité du Sahara en attendant une reconnaissance politique. Comment voyez-vous ce réchauffement dans les relations entre le Maroc et la France et quelles seraient ses conséquences sur les relations entre Paris et Alger ?

La France a toujours reconnu les droits des Marocains. Elle ne l’a pas officiellement affirmé par une loi ou une déclaration gouvernementale, mais la France a été l’un des premiers pays à reconnaître le processus.

Lire aussi : Dans un livre explosif, Bernard Lugan explique la question du Sahara occidental aux nuls

Je n’aime pas parler de la politique de mon pays à l’étranger, d’autant plus que je suis très critique à l’égard de cette politique. La seule chose que je peux dire, c’est qu’il existe en France un lobby algérien très fort, qui est essentiellement un lobby de gauche. La gauche française a toujours eu de la sympathie pour l’Algérie. Pour faire simple, la droite française est pro-marocaine et la gauche française est pro-algérienne, à quelques exceptions près. Et cela renvoie à des conceptions idéologiques très anciennes. L’Algérie, héritière de la France, regarde toujours derrière, tandis que le Maroc regarde devant.

“Les populations du soi-disant Sahara occidental ont été tournées par les Baia vers les sultans du Maroc et la prière a été dite au nom des sultans.”

— Bernard Lugan.

Vous expliquez que le Sahara occidental est une définition géographique, mais que l’Algérie a toujours essayé d’en faire une définition politique. Pourquoi penses-tu?

Le Sahara occidental n’existe pas. Il y a le Sahara occidental, le Sahara central et le Sahara oriental. Le Sahara est un désert qui s’étend de la mer Rouge à l’Atlantique. Dans ce désert, il n’y a jamais eu d’État du Sahara occidental, tout comme il n’y a jamais eu de peuple du Sahara occidental. Il s’agit d’une définition purement géographique. L’Algérie a transformé cette définition pour tenter d’en faire une réalité politique, qui ne correspond ni à la réalité géographique, ni à la réalité politique, ni à la réalité ethnographique, ni à la réalité religieuse. Les populations du soi-disant Sahara occidental étaient tournées par les Baia vers les sultans du Maroc et la prière était dite au nom des sultans du Maroc.

Par Saad Bouzrou, Youssef El Harrak, Khalil Essalak Et Abderrahim Et-Tahiry

16/05/2024 à 14h28

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV choc à Wembley pour remporter le prestigieux trophée de la Ligue des Champions ! Suivez le match en direct
NEXT qui est Varvara Gracheva, la Russe naturalisée française qualifiée au 8e tour de Roland-Garros ? – .