Depuis un an, pas un jour ne se passe sans que le mot « génocide » soit brandi pour dénoncer les bombardements qui ne cessent d’alourdir le nombre de morts à Gaza. Israël rejette avec véhémence cette accusation de génocide, mais que dit le droit international à ce sujet ? Y a-t-il génocide, et pourquoi certains insistent-ils tant sur la reconnaissance de ce qu’on a appelé le « crime des crimes » ?
Le 7 octobre 2023, des combattants du Hamas pénètrent sur le territoire israélien pour massacrer des civils, déclenchant une imposante réponse militaire de Tsahal, l’armée israélienne. Peu de temps après, face au décompte douloureux des morts civiles, des allégations de « génocide » ont commencé à circuler. Début novembre, des experts consultés par Devoir a fait valoir qu’il était trop tôt pour parvenir à cette conclusion, sur la base des critères juridiques pour la définition du génocide. Ils ont toutefois affirmé que leurs commentaires ne revenaient pas à minimiser ce qui se passait à Gaza ou à ignorer les atrocités commises par le Hamas.
Un an plus tard, des missiles sont toujours tirés vers Gaza, et plus de 40 000 Palestiniens ont perdu la vie, selon le gouvernement du Hamas, le mouvement islamiste au pouvoir. Devoir donc revisité la question.
Institutions internationales
La question de savoir si un génocide a eu lieu ou non a été examinée par diverses institutions internationales, notamment la Cour internationale de Justice (CIJ), la plus haute juridiction de l’ONU.
La Cour n’a pas été chargée de décider à ce stade si un génocide est effectivement en cours à Gaza. Mais saisie en urgence du dossier – un appel interjeté par l’Afrique du Sud –, elle a néanmoins jugé « plausible » en janvier dernier que certains droits des Palestiniens de Gaza ne soient pas respectés, dont celui « d’être protégés contre les actes de génocide ».
La CIJ a donc émis des « mesures provisoires », une forme d’injonction, ordonnant à Israël de « prendre toutes les mesures en son pouvoir » pour empêcher la commission d’actes de génocide., notamment le meurtre des membres d’un groupe et l’imposition de conditions de vie susceptibles de provoquer son anéantissement.
Puis, en mars, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, a rendu son rapport cinglant intitulé Anatomie d’un génocide. Selon elle, « il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil permettant de qualifier la situation de génocide a été atteint ».
Israël a rejeté ses conclusions. Il maintient que ses frappes militaires sont dirigées contre le Hamas et non contre le peuple palestinien. Il plaide la légitime défense contre l’agression sauvage du 7 octobre – que le Hamas promet de répéter. Rappelons que, selon Israël, environ 1 200 personnes ont été tuées ce jour-là et 251 ont été prises en otages. L’État juif a déclaré que c’était le Hamas qui avait des projets génocidaires, visant l’anéantissement d’Israël.
Les experts
Lorsqu’on lui demande si un génocide est en cours, selon les définitions du droit international, Marie Lamensch, coordonnatrice de projet à l’Institut de Montréal pour l’étude du génocide et des droits de l’homme à l’Université Concordia, Montréal répond qu’il faudra encore des années pour déterminer si tel est le cas. ou non. Même les plus grands juristes le disent, ajoute-t-elle : ils veulent attendre toutes les preuves avant de prendre une décision définitive.
Parce que la preuve du génocide est complexe, et pour obtenir une condamnation, il est nécessaire de démontrer à la Cour « l’intention » précise de le commettre.
Et c’est là que réside la difficulté : il n’existe évidemment pas de procès-verbal détaillant les intentions des dirigeants, constate le professeur de droit William Schabas, expert mondial des droits de l’homme et référence en matière de génocide.
Le professeur, qui enseigne à l’université de Middlesex à Londres, rappelle que la CIJ se penche actuellement sur la question. Il qualifie la cause menée par l’Afrique du Sud de « très forte », avec de bonnes chances de succès.
Nous sommes plus proches de la conclusion du génocide que l’année dernière, estime M.moi Site.
Un droit déconnecté de la réalité du terrain ?
Mais pendant que les experts argumentent, les morts s’accumulent et beaucoup ne se soucient pas de savoir si les critères juridiques du génocide sont remplis ou non : ils veulent que les attentats meurtriers cessent.
“On débat des termes juridiques, mais on parle peu de la situation humanitaire”, qui est “horrible”, déplore Marie Lamensch : il y a la famine, les coupures d’eau et d’électricité, les hôpitaux de Gaza n’ont presque plus rien pour fonctionner et les maisons sont détruites.
Et bien qu’elle s’appelle Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, « en réalité, c’est une convention de répression ». C’est-à-dire qu’elle permet de condamner des actes après coup – pas avant, note M. Schabas.
Il y a bien sûr eu les mesures provisoires ordonnées par la CIJ, mais Israël ne les a pas respectées, affirment les deux experts.
Cela ne signifie pas pour autant que le droit international est inutile : les décisions de justice peuvent avoir un fort impact sur l’opinion publique et inciter les États à agir et à faire pression.
Le mot « génocide » est souvent brandi lors des conflits pour son pouvoir évocateur et sa symbolique : il peut pousser les États à tenter de faire beaucoup plus, notamment en termes de sanctions, estime Marie Lamensch. Car tous les signataires de la Convention ont cette obligation de prévenir le génocide, même s’il n’a pas lieu sur leur territoire. Cela peut aller des efforts diplomatiques aux sanctions économiques et aux embargos sur les armes.
Le Canada l’a signé et a donc cette obligation. Mais à part des « déclarations », il ne fait pas grand chose, juge-t-elle.
Selon M. Schabas, une condamnation par la Cour pour génocide ne permettrait pas aux États d’agir plus concrètement sur le terrain qu’une condamnation pour crimes contre l’humanité. Il existe cependant une raison juridique pour laquelle certains insistent sur les allégations de génocide, ajoute-t-il. La majorité des États membres des Nations Unies n’acceptent pas la compétence générale de la CIJ, mais se soumettent à elle pour l’application de traités spécifiques, dont la Convention sur le génocide. Alléguer ce crime est donc le seul moyen de traduire Israël devant la CIJ, souligne le professeur.