Interdire ces interdictions | La presse

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La première fois que j’ai signé une pétition, j’étais en sixième. Mes camarades de classe et moi protestions contre une règle interdisant aux filles et aux garçons de jouer ensemble pendant la récréation.


Publié à 1h41

Mis à jour à 5h00

Malgré leurs mérites, nos revendications ont été très mal accueillies par la direction de notre école privée catholique du nord de la ville. Cette première demande à vie m’a valu une première punition à vie. Oubliez la récréation ! Oubliez la diversité ! Oubliez l’égalité ! Détention pour toute la classe ! Cela vous apprendra à vouloir jouer ensemble dans la cour d’école…

Cette histoire absurde qui m’a appris à 11 ans que les adultes n’ont pas toujours raison m’est revenue à l’esprit lorsque j’ai lu l’enquête de mes collègues Gabrielle Duchaine et Ariane Lacoursière sur les écoles primaires qui multiplient les interdictions dans les cours de récréation.

Les écoles devraient promouvoir le bien-être, le développement et une socialisation saine des enfants, tant en classe que sur la cour de récréation. On pourrait s’attendre à ce qu’il soit conforme aux recommandations des experts les plus récentes. Or, c’est tout le contraire qui se produit dans de nombreuses écoles. Alors que la Société canadienne de pédiatrie recommande d’encourager les jeux à risque chez les enfants, la tendance est à les restreindre, ont constaté mes collègues en examinant les codes de conduite et règlements de plus de 450 écoles primaires au Québec.

Même si on n’interdit plus le jeu mixte comme dans la cour d’école de mon enfance, la liste des activités interdites est vertigineuse. Il est interdit de lancer des boules de neige. Pas de jeu dans les flaques d’eau. Il est interdit de se tenir debout sur une plaque de glace ou d’y glisser les pieds. Interdit de jouer à la guerre…

Au nom de la sécurité à tout prix, on confond risque et danger, combat simulé et véritable combat, saine querelle et intimidation.

On oublie que le jeu libre est essentiel au développement et à la santé physique et mentale de l’enfant. Nous oublions également que le jeu risqué présente des avantages sous-estimés.

À l’heure où les enfants passent trop de temps devant les écrans, c’est une manière de prévenir plusieurs problèmes de santé liés à la sédentarité. C’est aussi une manière d’apprendre à mieux gérer son anxiété, de s’exposer à la peur et à l’incertitude pour mieux les surmonter.

Chaque fois qu’une règle est mise en place dans une école, il faut se demander si elle est réellement conçue pour le bien-être de l’enfant. Cela s’applique à la réglementation idiote imposant des dîners silencieux aux élèves du primaire ainsi qu’aux interdictions concernant les activités à risque qui contribuent à leur sain développement.1.

« Lorsque nous invoquons la sécurité, nous devons nous demander : de qui exactement la sécurité ? Celui de l’enfant ou celui de l’adulte qui ne veut pas avoir trop de choses à gérer ? », me raconte Réjeanne Brodeur, présidente du conseil d’administration de l’Association québécoise de la garde scolaire.

Personne n’est contre les mesures de prévention de base, cela va de soi. Loin de moi l’idée d’être nostalgique de l’époque où les enfants ne portaient ni ceinture de sécurité ni casque de vélo. Mais sur le chemin de la prévention, notre époque qui alimente la peur est parfois en proie à des mouvements de panique injustifiés.

Souvenons-nous de l’hystérie sécuritaire des écoles qui ont fermé leurs portes le jour de l’éclipse au lieu de s’organiser pour faire de l’événement astronomique du siècle une merveilleuse expérience collective pour leurs élèves. Au nom de la sécurité à tout prix, une belle opportunité d’apprentissage a été manquée.

Si beaucoup d’écoles ont compris que les interdictions injustifiées sont des interdictions d’apprendre, on constate trop souvent des contradictions entre théorie et pratique, déplore Réjeanne Brodeur. Celui qui compte 31 ans d’expérience en tant qu’éducateur enseigne désormais à la relève. Le jeu actif (et forcément risqué) fait partie intégrante des bonnes pratiques enseignées dans le cadre des formations exigées par le ministère de l’Éducation, souligne-t-elle.

« Je me suicide en disant à mes futurs éducateurs qu’ils doivent être des agents de changement pour défaire certaines pratiques ! »

Il s’agit d’une responsabilité collective, rappelle M.moi Brodeuse. Car les règles imposées en milieu scolaire ne reflètent pas seulement la vision de l’éducation du personnel, mais aussi celle des parents qui en discutent au sein du conseil d’établissement. Si l’on a affaire à des parents surprotecteurs qui paniquent à la moindre égratignure, on ne peut pas s’étonner de voir des directions pécher par excès de prudence.

Aujourd’hui, les poursuites sont si courantes. Alors on se protège. Mais nous nous protégeons en tant qu’adultes. Nous ne pensons pas du tout au bien-être de l’enfant. Un retour du balancier s’impose.

Réjeanne Brodeur, president of the board of directors of the Association québécoise de la garde scolaire

L’équilibre peut être difficile à trouver lorsque l’école fait face à une pénurie de personnel qualifié et accueille des enfants ayant des besoins particuliers. Dans un tel contexte, la tentation d’ajouter des interdictions pour simplifier la gestion est grande. Mais faire les choses différemment n’est pas une mission impossible.

« Plusieurs milieux incluent des enfants présentant un trouble du spectre autistique et ça se passe toujours bien », souligne l’enseignante. Lorsqu’on travaille au respect d’autrui avant de jouer, lorsqu’on fait des activités de prévention à caractère social et émotionnel, les enfants sont capables de comprendre qu’on ne peut pas tout faire lorsqu’on joue dehors ou au gymnase. »

Il existe toujours un moyen de marquer intelligemment les jeux de hasard plutôt que de les interdire. Par exemple, si l’on craint que l’autorisation de lancer des boules de neige ne devienne un laissez-passer pour le harcèlement, on peut facilement désigner une zone de la cour d’école pour cette activité ou installer des cibles au mur.

Il faut aussi garder à l’esprit que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, le jeu turbulent et désorganisé, même lorsqu’il comporte son lot de bousculades et de bagarres, n’est pas mauvais en soi pour les enfants. Des études lui attribuent une multitude de vertus : diminution des cas de harcèlement, augmentation des compétences en gestion des conflits, meilleure estime de soi, plus grande concentration.2

Si l’on se soucie vraiment du bien-être des enfants, tout cela vaut bien le risque d’interdire tous ces interdits.

1. Écoutez une entrevue avec le président de la Fédération québécoise des directeurs d’établissements d’enseignement au 98,5 FM

2. Consultez un document de la Société canadienne de pédiatrie

Lire le dossier « Interdictions à la tonne dans les cours d’école »

 
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