“Pendant que Mozart était humilié, le chevalier de Saint-Georges, né esclave en Guadeloupe, avait une audience immense”, raconte Alain Guédé

Outre-mer la 1ère vous propose un podcast en six épisodes de 30 minutes sur le parcours exceptionnel du Chevalier de Saint-Georges (1745-1799). Des entretiens avec des écrivains, des historiens et des archives illustrent l’histoire. En prime, un article d’interview accompagne le podcast. Quatrième épisode : Saint-George ou les mélodies du bonheur.

Le Chevalier de Saint-Georges, en plus d’être un escrimeur exceptionnel, pratiquait également la natation, l’équitation et même la danse. Mais il était surtout connu comme un violoniste virtuose. Chef d’orchestre populaire et compositeur inspiré, il était en tête de l’affiche à Paris. Après sa mort en 1799, sa musique tomba dans l’obscurité. Depuis quarante ans, l’œuvre de Saint-George est de plus en plus jouée. Nous avons choisi de vous raconter le parcours du chevalier en six épisodes de 30 minutes. Le récit est vivant, enrichi de nombreux entretiens avec des écrivains, des historiens, des musiciens et des archives.

Pour chaque épisode, nous vous proposons en bonus un extrait écrit de l’entretien avec l’un des invités du podcast. Cette semaine, il s’agit de l’écrivain et journaliste Alain Guédé, président de l’association Le concert de monsieur de Saint-George et auteur d’une biographie intitulée Monsieur de Saint-George, le nègre des Lumières (Actes Sud).

Outre-mer 1er : De son vivant, Saint-George connaît bien plus de succès avec ses œuvres instrumentales que ses opéras. Il composa également des romances, ces chansons de l’époque très appréciées. C’était un compositeur estimé publique. Les critiques ont-elles eu du mal avec Saint-George ?

Alain Guédé : Oui et non. Certains étaient très élogieux et d’autres lui critiquaient la médiocrité de ses livrets d’opéra. Les librettistes qu’il a choisis n’étaient vraiment pas da Ponte (NDLR : Lorenzo da Ponte est l’auteur des livrets des trois grands opéras de Mozart). Quand on les regarde, quand on les lit, c’est souvent assez pauvre. Il y a beaucoup de sentimentalité et les critiques ne lui ont pas pardonné.

Il n’est cependant pas responsable de la médiocrité des livrets.

Saint-George choisit toujours ses librettistes. Ceci dit, da Ponte est un génie, car quand on lit la colossale littérature lyrique de l’époque, il y a souvent de la sentimentalité. : les amours des deux domestiques, la gentillesse des maîtres… Dans un dé à coudre, on montait un opéra et ses gens, c’est vrai, ne sont pas très bons, c’est dommage. En revanche, la musique est toujours considérée comme sublime avec parfois un écho raciste de la part de certaines critiques qui estiment que Saint-George est très doué dans l’art d’imiter les autres musiciens. Ce qui est ridicule, car c’est tout le contraire qui s’est produit. Historiquement, ce que l’on voit, ce sont des emprunts à Saint-George et non des emprunts à Saint-George.

Voulez-vous dire qu’on a emprunté plus à la musique de Saint-George qu’à d’autres compositeurs ?

Oui, le premier est Mozart. Il y a des pages entières de Saint-Georges dans le répertoire de Mozart. Ce n’est pas seulement moi qui le dit ! Le Mozarteum de Salzbourg (NDLR : Ecole Supérieure de Musique) le montre. Il y a cinq ou six prêts selon eux. J’ai trouvé plus que ça, plus spectaculaire aussi. Mais le Mozarteum – c’est assez drôle – estime que Mozart a certes emprunté à Saint-Georges, mais moins que Beethoven !

Beethoven a aussi emprunté à Saint-Georges ?

Il y a aussi des emprunts à Beethoven, mais je trouve que ceux de Mozart sont bien plus significatifs.

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Orchestre de la salle Montansier (Zistoir Épisode 4 du Chevalier de Saint-George)

©BNF

Que sait-on de la relation de Mozart avec le chevalier de Saint-Georges ? Se sont-ils croisés ? Ils vivaient à la même époque. Mozart s’est rendu à plusieurs reprises à Paris, où ils auraient logiquement pu se rencontrer

Dans l’abondant courrier de Mozart à son père. Il n’y a pas un mot sur Saint-George. Mozart a du mal avec beaucoup de compositeurs français. Il se plaint beaucoup de ne pas avoir d’argent dans ses lettres à son père. Il se plaint d’avoir été maltraité. Et c’est vrai, par exemple, lorsqu’il souhaite créer sa symphonie parisienne à l’orchestre du Concert Spirituel. Le directeur du Concert Spirituel, Joseph Le Gros, ne Je ne peux pas jouer pour lui parce qu’il a perdu le score. Vous imaginez, Mozart qui se considérait à juste titre comme le génie du monde, arrivant et modeste directeur de théâtre ayant perdu sa partition ! Il était en effet très humilié. A cette époque, il y avait un autre musicien qui montait en calèche, qui vivait sous la dorure, qui avait un public immense. C’était Saint-Georges. Son père lui ordonne donc d’aller jouer au Concert des amateurs, dont le directeur était Saint-George. Et Mozart ne lui répond pas. Quand on lit les échanges de lettres de Mozart à son père, aucune lettre du père ne restait sans réponse du fils. Les seuls que je vois sans réponse, c’est lorsqu’il lui demande d’aller jouer à Saint-George.

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Le Chevalier de Saint-Georges (Zistoir- Épisode 2 du Chevalier de Saint-Georges)

©Mather Brown, William Ward (National portrait gallery de Londres)

Il y a peut-être un deuxième épisode où ils auraient pu se rencontrer. Il faut savoir que le grand génie musical de l’époque, aux yeux du public, c’était Haydn en Europe. Et l’on sait que Saint-Georges se rendit à Vienne pour commander à Haydn les symphonies parisiennes qui devaient être jouées pour Marie-Antoinette. Avec mon association, nous avons retrouvé des dizaines de Saint-Georges à Vienne qui ne pouvaient venir qu’avec lui. Saint-George reste donc encore quelques semaines – le voyage était long à l’époque – voire quelques mois lorsque Mozart mettait la dernière main aux quatuors pour Haydn qu’il avait écrits. On peut donc supposer que si Saint-George est resté quelques semaines chez Haydn, il a forcément vu Mozart. Et ce d’autant plus que Saint-Georges est un franc-maçon de haut rang en France et que Mozart venait d’être initié à la maçonnerie. Il me semble donc très plausible que cette fois-ci, ils ne se soient pas vus comme des concurrents et ne se soient pas évités, mais qu’ils se soient vus comme des francs-maçons. D’autant que très probablement, le vénérable maître de la loge de Haydn était un homme noir.

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Affiches présentant les concerts du Chevalier de Saint-George pour Zistoir (épisode 4)

©Gallica / Odile Paul édition

A la fin du XVIIIe siècle, l’œuvre du Chevalier de Saint-Georges était-elle exécutée ailleurs que dans le Royaume de France ?

Oui bien sûr. Nous voyons ses partitions à Bologne donc elles ont été jouées à Bologne en Italie. Et nous qui croyions jusqu’à présent qu’il n’avait écrit aucune œuvre religieuse, nous nous trompions, puisqu’un membre de notre association appelé Ronan Bellec a trouvé à Wiesbaden un Laudato Dominum écrit par Saint-Georges. Ainsi en Allemagne, il écrit et dirige une œuvre religieuse à Wiesbaden.

A Londres, on l’a aussi joué, car il existe une partition de Saint-George. Là, il passait plus de temps à gagner sa vie avec son épée à la main qu’à jouer de la musique. Mais en tout cas, nous en avons la preuve grâce à cette partition écrite de sa main que nous avons retrouvée à Londres.

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La grande ruelle Müller Johann (Zistoir-épisode 4 du Chevalier de Saint-Georges)

©Gallica

Retrouvez Alain Guédé dans les six épisodes de Zistoir consacrés au Chevalier de Saint-Georges et notamment le quatrième qui se concentre sur sa musique.

 
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