Comme une sorte de douleur – .

Comme une sorte de douleur – .
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” Le documentaire Une famillepar Christine Angot, connaît un grand succès en salles depuis sa sortie il y a un mois. C’est mieux ainsi. Je l’ai vu, j’ai été choqué, abasourdi, j’ai pleuré cinq fois. Mais c’est peut-être lors d’une intervention médiatique d’Angot elle-même que j’ai été le plus choqué. L’auteur et réalisatrice raconte comment, chaque jour, depuis plus de trente ans, la pensée de l’inceste dont elle a été victime dans sa jeunesse refait surface dans sa vie.

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Face au journaliste Augustin Trapenarddans le spectacle La Grande Librairie sur France 5, Christine Angot se livre à un moment d’émotion rare : « J’ai réalisé que dans ma vie de tous les jours, il y a toujours au moins un moment, le jour, la nuit, ça peut être de descendre les escaliers à la maison, ça peut être de ranger des choses, enfin quand je ne suis pas vraiment occupé avec quelque chose de très précis. , où tout d’un coup je me dis : ‘Tu n’as pas vécu ça ?’ Je me dis : “C’est pas vrai que tu as vécu ça ?” [Elle pleure] C’est dommage… [Long silence] Et puis j’arrive en bas de l’escalier, et je me dis : ‘Oui, oui, j’ai vécu ça.’ Cela arrive presque une fois par jour. Comme ça. Comme… [Un temps] Une sorte de douleur.

Une sorte de douleur. J’ai regardé la vidéo une dizaine de fois, et c’est toujours à ce moment précis, en écoutant ces quatre mots, que les larmes me viennent aux yeux. Comme c’est souvent le cas chez Christine Angot, qui s’exprime à l’oral d’une manière assez proche de son écriture, la formule paraît assez banale, presque évidente. Cela s’avère néanmoins frappant. J’ai depuis tenté de le déplier, de comprendre ce qui avait pu me frapper à ce stade de sa déclaration.

Je me suis d’abord demandé : pourquoi « une sorte de » ? L’auteur aurait pu simplement dire : « Je me sens triste. » Mais non, elle ajoute ce mot, “une sorte de”, ce qui brouille la description de son émotion. Je décèle plus qu’un tic linguistique : une difficulté à saisir, malgré le recul, les livres publiés, la psychanalyse ou encore la mort du père incestueux, la vérité de l’émotion qui la hante. Est-ce seulement de la douleur, ou un peu aussi de l’incompréhension, de l’abattement, du désespoir ? Ressent-on parfois une émotion dans toute son ampleur, « oui, c’était 100% et seulement de la douleur, j’en suis sûr », sans qu’elle ne déborde sur d’autres réalités internes qui lui sont liées ? Comment être certain de vivre ce que l’on dit vivre, au point d’y attacher un seul mot, « douleur », point final ? Il me semble que le travail de l’écrivain, qui recommence toujours, qui tente de se rapprocher de la vérité sans forcément y parvenir parfaitement puisque son livre Incestepublié en 1999, transparaît dans cet humble “une sorte de”prononcé en larmes.

D’où une autre question : pourquoi le mot « punition » ? Nous disons rarement que nous nous apitoyons sur notre sort. Le chagrin est généralement un sentiment que nous éprouvons envers les autres, comme la pitié, l’amour ou l’empathie. Christine Angot a pitié de Christine Angot, comme si elle avait pitié d’un autre qu’elle-même. Sans vouloir le ventriloquer – et au risque de le faire quand même – j’interprète cet usage comme la reconnaissance, plus ou moins consciente, d’une forme de dissociation psychique. La réalisatrice est à la fois sujet et objet, témoin et actrice de sa vie. Peut-être que cette dualité est propre au métier d’artiste. Mais peut-être que cela survient aussi après certains traumatismes, dont celui de l’inceste : il faut mettre ses affects à distance, apprendre à se rendre étranger à soi pour ne pas se laisser submerger par les souvenirs, les cauchemars et la souffrance. . Essayez d’adoucir notre regard sur nous-mêmes et de nous diviser pour qu’une partie de nous puisse consoler l’autre, voire se réconcilier avec elle.

Enfin, il y a un élément caché dans ce vocabulaire utilisé qui me semble jouer un rôle dans le trouble que je ressens : le double sens du mot « phrase ». Après avoir lu de nombreux livres d’Angot, vu une pièce de théâtre et un film écrit par elle, et suivi longtemps ses apparitions à la télévision Laurent Ruquier, je crois avoir compris qu’elle analysait souvent les mots de façon lacanienne, par leur sonorité et les associations qu’on peut faire entre eux. Dans Une famille, elle fait par exemple remarquer à son compagnon, qui est noir, que le nom de famille de sa mère est Schwartz, qui signifie « noir » en allemand, et que selon elle ce n’est pas une coïncidence. Cependant, le mot « chagrin », synonyme de « tristesse », est aussi « condamnation ». La punition est une punition, une punition. La douleur d’être victime d’un inceste, semble dire Christine Angot, est vécue comme une damnation. Même lorsqu’on descend les escaliers ou qu’on range ses chaussettes, on n’en sort pas, on est enfermé comme dans une prison dont on peine, justement, à s’échapper. Parfois, quelques mots suffisent pour exprimer la tragédie d’une vie. »

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