« Comme le monde économique, le sport repose sur la fiction selon laquelle le travail mène à la réussite » – .

« Comme le monde économique, le sport repose sur la fiction selon laquelle le travail mène à la réussite » – .
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Le sport est-il sur le point de devenir un totalitarisme comme les autres ? C’est la thèse défendue par le philosophe Christian Godin, à travers l’ouvrage qu’il a publié sur les Jeux Olympiques. Dans L’empire olympique, l’auteur s’attache à montrer comment le Comité International Olympique (CIO) est un élément clé de la mondialisation capitaliste et de la finance internationale, structuré comme une multinationale en expansion permanente. Malheureusement, selon le philosophe, l’image humaniste que véhicule l’institution empêche toute critique sérieuse.

Marianne : Votre livre est une critique radicale des Jeux Olympiques dont vous dénoncez le caractère « totalitaire ». Comment vont-ils?

Christian Godin : Les Jeux Olympiques ne sont pas totalitaires en eux-mêmes, mais comme ils prétendent rassembler l’humanité derrière un spectacle organisé de manière despotique, et qu’ils n’admettent aucune critique, ils présentent un caractère totalitaire.

Pierre de Coubertin (1863-1937), entre autres admirateur de l’hitlérisme, est celui qui rétablit les Jeux Olympiques en 1896. Comment expliquez-vous qu’il soit toujours honoré ?

C’est le signe que le sport est devenu notre totem et notre tabou, qu’il est intouchable. On parle de démystifier les statues de Colbert à cause du Code Noir, tandis que des centaines de gymnases, stades, rues et boulevards portent le nom de Pierre de Coubertin dont la vision du monde a été marquée par l’eugénisme, le racisme, la misogynie et, enfin, le fascisme.

La référence qui est parfois faite aux Jeux d’Athènes des Grecs anciens est, à votre avis, une usurpation. Pour quoi ?

Tout d’abord, ce sport, dont les Jeux Olympiques constituent le couronnement, est apparu dans l’Angleterre impériale au XIXe siècle.e siècle. Elle transpose la concurrence et la logique du marché capitaliste sur le stade. Les Grecs n’auraient jamais eu l’idée de mesurer les performances de leurs athlètes. De plus, leurs Jeux avaient une signification religieuse que les Jeux modernes n’ont pas, même si l’on continue à utiliser des mots comme « cérémonie ».

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Le titre du film Olympiede Leni Riefenstahl, propagandiste des Jeux de Berlin de 1936, a été traduit en français par Les dieux du stade. S’il y a des dieux dans les stades, c’est parce que les dieux sont morts.

La flamme olympique a brûlé pour la première fois lors des Jeux d’Amsterdam en 1928. Quel sens lui donnez-vous aujourd’hui ?

Allumée par le feu du Soleil à Olympie, la torche olympique participe justement à cette fiction du patrimoine antique. Cela donne à nos Jeux Olympiques une solennité qui serait sacrée. Le Soleil était un dieu pour les Grecs, ce qui n’est évidemment pas le cas pour nous.

Les valeurs sur lesquelles repose le sport moderne “sont les valeurs de la techno-économie capitaliste”, vous écrivez. Le sport en général ou les Jeux olympiques en particulier ?

Les Jeux Olympiques sont la mise en scène périodique et mondialisée du sport professionnel, structurée partout par les impératifs de la techno-économie capitaliste : marchandisation de l’intégralité de la réalité humaine, compétition entre équipes gérées comme de véritables entreprises, etc.

Le CIO est une entreprise multimilliardaire. Je précise qu’il convient de bien distinguer le sport, système industriel et commercial, dont le sens est aussi politique (aux Jeux Olympiques, il y a aussi, et même avant tout, compétition entre Etats), et l’activité physique, essentiel à la santé humaine et au développement.

Vous ne semblez pas croire à l’intégration des jeunes de banlieue par le sport. Pour quoi ?

Comme tous les spectacles de masse, le sport donne des illusions, tant chez les champions et ceux qui aspirent à l’être que chez les spectateurs. Le pouvoir d’intégration des jeunes des banlieues par le sport est l’un des arguments favoris de l’idéologie sportiviste. Un jeune ne s’engage pas dans le football pour faire une activité physique, mais pour être Zidane.

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Il a à peu près autant de chances de devenir champion que de remporter un jackpot à la loterie ou de devenir patron du CAC 40. Et puis, pour ceux qui réussissent, en quoi consiste exactement l’intégration ? Sans sport, ils pourraient rester de petits voyous. Grâce au sport, ils deviennent de grands voyous.

La Charte olympique stipule que « Faire du sport est un droit humain ». Cela vous révolte !

Et comment ! Cet article confirme le diagnostic de tendance totalitaire des Jeux Olympiques en même temps que la dégénérescence de notre conception du droit. Un droit de l’homme est un droit naturel et universel : tout être humain, par exemple, exerce sa liberté. S’il ne le peut pas, c’est que ce droit a été violé par un pouvoir despotique. Dire que faire du sport est un droit de l’homme, c’est comme dire que regarder la télévision en est un.

Les Jeux sont aussi l’occasion de tester de nouvelles méthodes de vidéosurveillance de la population. N’est-ce pas légitime face à la menace terroriste ?

Bien sûr. Mais cette vidéosurveillance, dont la technique progresse d’Olympiade en Olympiade, serait réalisée même en l’absence de menace terroriste. Les Jeux olympiques de Moscou et de Pékin ont permis de renforcer le contrôle et la surveillance de la population. Les régimes démocratiques suivent une logique similaire.

Pour les Jeux de Paris, un comité Paris 2024 a été créé. Il a rédigé une Charte éthique. Pensez-vous que c’est une frimerie ?

Plus une institution est corrompue, plus elle a intérêt à afficher sa prétendue pureté et sa prétendue transparence. La Constitution stalinienne de 1936 était, selon la propagande de l’époque, ” le plus démocratique du monde » : en le lisant, on voit que c’était vrai.

Pensez-vous que les Jeux olympiques favorisent la discrimination sexuelle ? Ce n’est pas faux. Mais les hommes et les femmes devraient-ils rivaliser ensemble ?

La discrimination réside dans la mise en avant d’une certaine infériorité physique des femmes (voir la différence des records en athlétisme) et dans l’importance respective accordée aux compétitions masculines et féminines par les retransmissions.

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Le sport, qui est une guerre menée par d’autres moyens, est, comme la pornographie, intrinsèquement masculin. L’égalité des femmes ne devrait pas consister à leur permettre de se comporter de manière aussi vulgaire et brutale que les hommes.

En matière de sport, l’égalité des chances est à vos yeux une pure fiction. Pour quoi ?

Comme le monde économique et social, le sport repose sur la fiction selon laquelle le travail (entraînement, discipline) aboutit à la réussite. Les inégalités physiologiques initiales, tout comme les inégalités sociales, sont ainsi niées. Il existe des sports pour les riches, comme l’équitation, et des sports pour les pauvres, comme la boxe. Le dopage systémique tourne en dérision la notion de mérite.

Ni les intellectuels ni les supporters ne trouvent grâce sous votre plume au sujet du sport mondialisé. Que proposez vous ?

On observe, dans le rapport qu’entretiennent les intellectuels avec le sport, que leurs pères méprisaient à juste titre quand il ne leur était pas indifférent, une véritable trahison des clercs.

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Ils ont abandonné leur fonction critique pour jouer leur petite musique d’accompagnement. Je ne peux rien offrir, je regrette.

Enfin, pensez-vous que les athlètes russes devraient participer aux Jeux olympiques cet été ?

Les athlètes russes sont bien plus que des représentants de leur pays, ils sont des fonctionnaires de leur État. Leur absence est donc politiquement nécessaire.

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Christian Godin, L’empire olympique. Une mystification politique,QS ? éditions, 162 p., 20 euros.

 
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