L’anglais est fait d’emprunts au français, souligne Bernard Cerquiglini

L’anglais est fait d’emprunts au français, souligne Bernard Cerquiglini
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Le linguiste Bernard Cerquiglini ne tourne pas autour du pot à propos de son nouveau livre : « Au fond, je dis que la langue anglaise est ce que le français a fait de mieux ! Mon livre est volontairement de mauvaise foi ! » L’ancien recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie use de l’humour et de la provocation, dans un dosage bien trouvé.

« La quasi-totalité du vocabulaire soutenu de l’anglais appartient à la langue française », souligne l’auteur de La langue anglaise n’existe pas ». C’est du français mal prononcé. « L’anglais international vient du français. Une variété de français semé en Angleterre a transmué les Anglo-Saxons, qui se sont ainsi lancés à la conquête du monde. » Au point de faire dire en riant Bernard Cerquiglini que l’Angleterre fut, un temps, la capitale de la francophonie.

« Jusqu’à la rédaction de ce livre, nous parlions principalement en termes quantitatifs. On disait que 35 %, 40 %, voire 45 % du dictionnaire anglais était composé de mots français. J’étais intéressé par l’aspect qualitatif. J’insiste sur le fait que ce qui vient du français est la partie essentielle de la langue anglaise. Ce qui le rend international. Lorsque vous utilisez l’anglais pour faire des affaires, de l’administration internationale, pour prendre un avion à l’aéroport, vous utilisez la partie française du lexique anglais. » Pour lui, c’est un fait. Ce n’est pas du tout une provocation.

Plus d’un tiers du vocabulaire anglais est en effet d’origine française. M. Cerquiglini le montre en multipliant les correspondances et les exemples. Il plonge au cœur de l’origine des mots. Étrangerétranger, vient du vieux français champ de foiredepuis Forisc’est-à-dire à l’extérieur. Soldatsoldat, trouve son origine dans le vieux français soldatde la vente. Ciblecible, est un diminutif de cibleun bouclier en vieux français.

Au fond, la chair, ce qui rend l’anglais international, vient du français.

Êtes-vous fatigué d’entendre vos enfants vous dire que c’est bon ? Sache que bonen ancien français, signifiait d’abord idiot et niais, avant de prendre par la suite une valeur positive.

Les exemples sont presque infinis. Émeuteémeute, vient tout droit de émeutesignifiant querelle en vieux français. Histoire n’est qu’une forme de vieux normand histoire de qui une lettre a été envoyée. Mot paix ? Du vieux français tout simplement paix. Et guerre ? De l’ancien Normand guerreMême direction.

Anglais international

« Je ne remets pas en cause toute l’architecture de la langue anglaise, le squelette, toute la grammaire, même si, en un chapitre, je montre que la grammaire anglaise a été assez francisée. Mais au fond, la viande, qui rend l’anglais international, vient du français. »

De nombreux mots anglais ont été empruntés au vieux français, mais aussi au normand. « L’été dernier, j’étais en Normandie. J’ai parlé à une association de Normands. J’ai exposé les thèses de mon livre. Il y avait là un vieil homme qui parlait normand. Tous les mots que j’avais cités et qui étaient passés en anglais, il les reconnut comme étant normands. »

En lisant et en écoutant Bernard Cerquiglini, on finit vite par se rendre compte que l’anglais est une langue faite d’emprunts au français.

Une noblesse

Jusqu’au 15e siècle, poursuit en souriant Bernard Cerquiglini, la langue anglaise est avant tout une question de classe sociale. « Le français est une langue de cour, avec un registre élevé. » Elle affirme très tôt son prestige, dès le XIIIee siècle face à un monde populaire qui parle anglais. « Tout le lexique noble britannique est emprunté au français : baron, compter, monarque, la monarchie, noble, prince, régent, Royal, sire, souverain, trône, vassal. » Et ce n’est pas pour rien que la devise de la monarchie britannique s’affirme en français : « God and my right ». La devise est clairement visible tant au Parlement du Québec qu’à celui d’Ottawa. « Il y a tout un aspect francophone dans la monarchie britannique qui a perduré. »

En 1066, le duc de Normandie, Guillaume le Conquérant, est couronné en Angleterre. Dès lors et jusqu’en 1260, l’usage du français et du normand dans ce royaume fut extrêmement important. « L’aristocratie gouverne l’Angleterre en français. Jusqu’en 1260, le français était la langue d’une élite. Ce sont les avocats et les commerçants qui parleront plus tard français. » Les emprunts au français furent endossés dans la langue courante et populaire entre 1260 et 1400.

Ce qui fait dire au linguiste que la francophonie a commencé en Angleterre au XIVee siècle. « Les Français sont un butin de guerre qu’une population s’est approprié. Elle l’a utilisé. » Puis, à partir du 15e siècle, la nouvelle langue qui s’établit, s’appuyant sur une quantité de mots français, entreprend un essor fulgurant. Les grands écrivains anglais, montre-t-il, ont une langue nourrie par le français.

Au siècle des Lumières, c’est le vocabulaire politique anglais, capable de véhiculer des idées révolutionnaires, qui est importé en France. Des mots comme majorité, parlement, convention, motion apparaissent en français. Des mots bientôt en usage au cœur de la Révolution française. Or ces mots anglais, observe M. Cerquiglini, ne faisaient que revenir d’où ils étaient partis ! Ils étaient en effet d’origine française.

Surtout depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous sommes bien conscients de la dimension mondialisée de l’anglais. « L’anglais a pu détrôner le français en ayant d’abord pillé le français », souligne le linguiste.

L’invasion inversée

En France, c’est à partir de l’après-guerre qu’on redoute une invasion des Anglais. « Pas n’importe quel Anglais en tout cas. Mon ami Michel Serres parlait du « californisme », car c’est encore un langage d’innovation qui fait son chemin. » Avant, en France, c’étaient plutôt les emprunts à l’italien qui étaient notables, constate-t-il.

« Au Québec, cette préoccupation à l’égard de l’anglais est apparue avant 1945. C’est l’Église catholique, dans la lutte contre le protestantisme, qui a constitué un rempart pour la défense du français. L’Église crée des manuels contre les impropriétés du langage. Nous essayons d’éviter la prolifération de provincialismes originaires de l’ouest de la France », au nom du « bien parler ».

La thèse du maintien d’une langue française ancienne est bonne, mais il est certain que vivre sous la pression directe d’un continent anglophone joue un grand rôle au Québec.

Dans cette tradition, Bernard Cerquiglini juge que le linguiste québécois Michel Parmentier a fait un travail utile en publiant un Dictionnaire d’expressions et d’expressions calqué sur l’anglais. Il regrette cependant que “dès qu’une expression n’est pas conforme au français, il y voit un anglicisme”. L’expression «to fall in love», apparemment copie de l’anglais, était une expression en usage au XVIIee Siècle français. De nombreuses expressions québécoises proviennent d’usages anciens et ne sont en rien fausses, estime Bernard Cerquiglini.

N’est-il pas tout de même abusif de croire, chemin faisant, que tous les emprunts au Québec sont le résultat du maintien d’une langue ancienne qui aurait perduré de génération en génération ? « La thèse du maintien d’une langue française ancienne est belle, mais il est certain que le fait de vivre sous la pression directe d’un continent anglophone joue un grand rôle au Québec. J’ai séjourné au Québec très souvent. Quand j’entends « on va se promener », je sais que ça ne vient pas du vieux français ! »

L’anglicisme du voisin

M. Cerquiglini ne cache pas son enthousiasme pour la politique linguistique du Québec. « J’adore les politiques linguistiques du Québec, la loi 101, tout ça. Je trouve cela étonnant. »

Les intrusions de l’anglais en France sont inquiétantes, dit-il. « Quand les Québécois arrivent à Paris, ils sont frappés par la place que prend l’anglais. » Ils ont raison de s’inquiéter, dit-il, tout en ajoutant qu’on voit toujours mieux ce qui ne va pas chez les autres que chez soi.

« Nous voyons les anglicismes des uns et des autres et nous ne voyons pas les nôtres. Je ne dis pas qu’il y a beaucoup d’anglicismes dans le français québécois. Je ne me le permets pas. Mais il y en a encore ! Un mécanicien répare votre freins ! Chacun a ses anglicismes. Lorsqu’un Québécois arrive à Paris, il est légitimement choqué d’entendre le président Macron interrompre une réunion en disant qu’il est désolé mais qu’il a un appel. »

Que voulait faire Bernard Cerquiglini en affirmant dans un livre vivant et joyeux que « la langue anglaise n’existe pas » ? « Derrière la provocation de ce livre, j’essaie de penser la francophonie. Je le fais de manière audacieuse. Je crois au monde francophone. Et je dis en gros ceci : « soyez fier de votre langue ». »

“La langue anglaise n’existe pas.” C’est du français mal prononcé

Bernard Cerquiglini, Gallimard, Paris, 2024, 196 pages

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